SENtract – Nous nous sommes entretenus avec la romancière Naïma Guerziz, auteure de plusieurs faits littéraires, qui a publié, le 16 juin 2021, Les tisseuses. Portrait du destin croisé de deux amies Joséphine et Espérance, ce roman met en langue deux voix, deux visions du monde, qui vivent et survivent l’une dans l’autre et inversement entre Paris et Bamako.
Comment s’est opérée la transition entre l’enseignante et l’écrivaine ?
Je viens d’une culture où la transmission orale est primordiale. J’ai toujours eu une grande admiration pour les romanciers et les romancières. Les auteurs et les autrices m’ont transmis tellement d’expériences, d’émotions et de connaissances qu’à mon tour j’ai voulu m’essayer à l’écriture.
Je suis encore enseignante, mais il est vrai que l’écriture prend de plus en plus de place dans ma vie.
Quelles sont les thématiques que vous abordez dans Les tisseuses ?
Les Tisseuses est né d’une volonté de mettre en lumière les réfugiés. La Méditerranée est un cimetière marin. C’est en partant de cette réalité cruelle que j’ai cherché à imaginer le récit d’une miraculée qui sort indemne d’un naufrage, Espérance.
L’artisanat africain, à travers le bogolan est également un élément important du roman autour duquel les liens humains se tissent et se détissent.
Est-il possible de considérer Les tisseuses comme l’instance de la célébration des liens entre des humains au-delà d’une cartographie particulière ?
Un monde meilleur est possible, si nous acceptons de considérer l’étranger comme un autre nous-même. Aucun être humain ne ressemble plus à un autre dans la douleur ou la joie. Aujourd’hui, nous sommes dans une période où le repli est en quelque sorte favorisé par certains extrêmes. Ils tentent de diviser grâce à un discours qui insiste sur les différences. Les différences peuvent isoler, moi j’ai voulu en faire un atout, une richesse. Mes personnages viennent d’horizons distincts, d’origines diverses, de lieux différents. Ils se rencontrent, s’aiment, s’entraident ou se détestent sans jamais cesser de se comprendre. La fiction a ceci de particulier, elle permet de développer des possibilités de destins insoupçonnées.
Au regard de la relation qui se tisse entre Espérance et Joséphine, esquissez-vous une nouvelle dialectique de la relation ?
Dans un monde ultra connecté la notion de lieu s’est profondément modifiée. Je peux être à Dakar ou à Paris sans bouger de mon siège grâce à mon smartphone. Le monde est devenu un lieu d’échange perpétuel.
Néanmoins, certains aspects de la société restent immuables ou difficilement modulables. Les barrières « sociaux-culturelles » sont difficilement franchissables. Les différences sociales sont encore plus criantes aujourd’hui. Les riches sont encore plus riches et les personnes défavorisées ont du mal à accéder à un statut social plus élevé et s’ils y parviennent c’est à force de courage et d’efforts pratiquement surhumain. Heureusement, les exceptions existent mais elles restent des exceptions.
La rencontre et l’amitié entre Joséphine, riche héritière, métisse et Espérance, réfugiée désargentée est possible dans une fiction. Qu’en est-il dans la réalité ?
Y-a-t-il un aspect autobiographique dans Les tisseuses?
Je n’écris pas de biographie fictive. Néanmoins, je me retrouve dans Espérance, comme beaucoup de femmes, je suis capable de connaître des épreuves, de faire face aux difficultés de la vie et pourtant rien ne me fera renoncer au bonheur.
Si j’évoque l’entreprenariat au féminin, c’est parce que c’est un domaine qui me fascine. J’ai cordonné un guide sur le sujet en 2018. On retrouve dans ce domaine pratiquement les mêmes injustices que dans la société. Les femmes qui se lancent dans cette aventure avec une aisance financière pérennisent et font croitre plus facilement leur entreprise que celles qui se lancent sans véritable assise monétaire. Des solutions existent, la solidarité féminine en est une.
Vous abordez des thématiques variées dans vos faits littéraires. On vous retrouve d’ailleurs dans le rayon « littérature jeunesse » avec La sorcière microba. D’un genre à un autre ou d’une œuvre à une autre, établissez-vous des liens ?
Le lien apparent entre tous mes écrits est la place de la femme dans notre société et celui des minorités. Longtemps la littérature a développé une palette de personnages masculins. La littérature était en majorité affaire d’hommes. Avec l’émergence des autrices, de plus en plus nombreuses, les héroïnes prolifèrent, le monde est appréhendé avec une nouvelle sensibilité, un regard moderne et audacieux.
Le monde est de plus en plus marqué par des violences généralisées : Le rôle de l’écriture littéraire dans tout ça…
Je suis née dans un quartier dit difficile en France. La lecture a été pour moi une échappatoire et elle m’a permis de me dérober à un certain fatalisme. Je crois aux bienfaits de la lecture. La lecture et l’écriture sont intimement liées.
Aujourd’hui, nous assistons à une recrudescence de lectrices et de lecteurs. Ce phénomène est en quelque sorte porteur d’espoir, dans un monde de plus en plus violent, le temps de la lecture est devenu un moment pour soi. La littérature ne réglera jamais toutes les difficultés de ce monde mais elle ouvre sans conteste une appétence pour les autres, une tolérance certaine.
Quels sont les auteurs qui ont marqué votre trajectoire jusqu’ici…
J’ai beaucoup lu et de manière éclectique. Les femmes et les hommes de lettres qui m’ont accompagné sont nombreux: Marcel Pagnol, Albert Camus, Rachid Boudjedra, Tahar Benjelloun, Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, Naguib Mahfouz, Luis de Sepulveda, Gabriel Garcia Marquez, Leila Sebbar, Assia Djebar, Pablo Neruda, Luis Borges, Alain Mabanckou, Frédéric Beigbeder, Nina Bouraoui, Faiza Guène, David Diop…Il en manque bien sûr.
La fréquentation de tous ces auteurs a suscité chez moi un amour des mots, l’envie d’écrire.
Quel message veut faire passer la romancière Naima Guerziz avec Les tisseuses ?
L’Afrique porte en elle tous les espoirs. Elle est riche de son art et de son artisanat. Espérance porte en elle les espoirs de tout un continent. Mon personnage est à l’image de L’Afrique, malgré toutes les épreuves qu’elle traverse, elle reste debout.
Baltazar Atangana Noah (Nkul Beti)
Critique littéraire
( noahatango@yahoo.ca)