[Tribune] Alioune Badara Ndao, Al Imam : ‘Djangue, Djouli, Bay’ (par Khadim Sylla, Niakhal)

SENtract – Dans la tradition islamique, l’imam est le guide spirituel qui officie aux heures de prière. Il doit avoir une bonne connaissance du coran et une maitrise de la jurisprudence. Sa bonne moralité lui confère un statut de réfèrent religieux dans les affaires de la société. Les conseils qu’il prodigue et sa guidance reposent sur la maitrise des hadiths et du coran. Alioune Badara Ndao possédait tous les attributs et les compétences requis pour l’imamat.

 

Il était reconnaissable à sa carnation de jais. Son sourire resplendissant laissait transparaitre un diastème emblématique d’où émanait l’expression d’une profonde sincérité, mitigeant la vague impression d’austérité qu’il pouvait dégager. Il arborait une barbe hirsute immaculée, portée dans la pure tradition prophétique. Sur son front apparaissait une hyperkératose, la tabaa, qui témoignait d’une pratique assidue de la prosternation, la marque d’une piété et d’une soumission à Allah, le Vénéré. Ses yeux pétillants, renvoyaient une candeur enfantine, fuyant par moment, que le prisme déformé des codes occidentaux ne saurait décrypter.

En vérité, son apparence extérieure était le reflet de ce qu’il couvait à l’intérieur : la profondeur d’une âme pétrie de piété et d’abnégation, comme en attestent aujourd’hui les nombreux témoignages posthumes qui lui sont adressés.

Comment a-t-on pu jeter en pâture l’honneur de cette personnalité exemplaire, appartenant à la caste des vertueux, incarnation du bien à un niveau supérieur ? Poursuivi injustement pour « apologie du terrorisme » et « association de malfaiteurs », il a été privé de liberté pendant près de trois années, subissant la torture et l’humiliation dans les geôles empestées de Dakar et Saint Louis. Disculpé des accusations mensongères qui lui étaient reprochées, il refusa toute forme de réparation pécuniaire que lui garantissait pourtant la loi. Au contraire, c’est par le pardon qu’il s’adressa à ses bourreaux conspirateurs, imitant en cela son prophète bien aimé, l’incarnation de la bonté et de la bienveillance, « la fine fleur de l’élite des vertueux »[1], Mohamed paix sur lui, lors de son retour triomphal à la Mecque après l’exil forcé de Médine.

Il était rompu aux sciences religieuses, mais aussi aux arcanes de la géopolitique internationale. Cette double compétence lui conférait des aptitudes uniques d’analyse et de compréhension des enjeux de société et de leurs ramifications internationales. Les prismes religieux et politique conjugués de sa lecture des faits sociaux le hissait à un niveau singulier de considération et d’audience, mais aussi de crainte par les autorités politiques, qui voyaient en lui un acteur potentiellement subversif, un prédicateur redoutable.

L’imam cultivait et prodiguait les bonnes manières et les bonnes mœurs dans la pure tradition islamique. Son militantisme pour la défense des valeurs sociétales et son prosélytisme religieux (Dawa) n’avaient rien d’ostentatoire ni d’agressif. Il procédait par l’exemplarité. Son effacement dans les assemblées d’oulémas était remarquable et témoignait de son engagement altruiste. Seul le triomphe de l’islam lui importait. Cette perspective le galvanisait et le motivait dans le travail intrépide qu’il menait sans cesse pour la communauté.

Il appartient à la lignée des bâtisseurs, entièrement dévoué à la défense et à l’expansion de l’islam par l’enseignement et la prédication, entreprises qu’il menait sans compromission aucune, avec pédagogie, mais aussi de manière pacifique et un sens de l’œcuménisme, né sans doute de sa trajectoire initiatique. Son père était un proche disciple d’El Hadj Malick Sy, guide émérite de la Tijania. Il reçut ses premières instructions à Koki auprès du maitre Ahmadou Sakhir Lo, lui-même instruit par Mame Cheikh Mbaye, père de l’érudit Serigne Sam Mbaye. Par la suite, il se rendra à Ndiareme (Diourbel) auprès de Serigne Mame Mor Cissé, un des pontes de la confrérie mouride. Il poursuivra ses études en Mauritanie puis en Arabie Saoudite, berceau du Wahhabisme. Ses pérégrinations studieuses ont certainement forgé sa personnalité et son esprit de tolérance. Le respect qu’il vouait à toutes les confréries et obédiences, est non seulement la marque d’une gratitude auprès de ses maitres, mais aussi l’expression d’une volonté de rapprochement de toute la Oumma islamique. Il était en dehors des polémiques stériles, des guéguerres picrocholines qui sapent les bases de la cohésion au sein de la communauté musulmane.

Il refusait toute forme de compromission. Ni pétrodollar, ni privilèges indus n’avaient de prise sur lui. Recouvert du manteau de la vertu, il menait une vie d’ascète dans son fief du Saloum, vivant modestement des fruits de son dur labeur, conformément à la tradition du DjaDjouBa[2], le triptyque fondateur de cette philosophie de vie rédemptrice, incarnée par la Quête du Savoir, la Dévotion au Seigneur et le Travail.

Il était un modèle, une référence, l’archétype de la vertu, une incarnation de nos aspirations collectives, à un niveau rarement égalé. Il laisse à la postérité un héritage moral à préserver et des leçons cardinales, dont l’observance pourrait baliser notre quête d’accomplissement ici-bas comme dans l’au-delà :

  • Le nécessaire engagement pour une transformation de la société ;
  • Le culte de l’excellence et du perfectionnement, qui doit s’incarner dans le comportement exemplaire, l’attitude et dans l’altérité ;
  • La détermination et le courage non seulement dans le travail mais aussi face à l’adversité ;
  • La tolérance, comme praxis d’interaction sociale, mais aussi comme vecteur d’intégration et d’unification de la oumma islamique.

De notre Créateur nous venons, vers Lui nous retournons, après une existence somme toute éphémère, faite d’épreuves et de péripéties. L’Imam l’avait très tôt compris et s’évertuait dans la voie indiquée. Qu’Allah Subhanahu Wa Taala, dans sa miséricorde infinie, l’accueille dans l’abondance infinie de Firdaws auprès des illustres prédécesseurs.

 

Khadim Sylla, Niakhal

k_sylla@hotmail.com

 

[1] Cheikh Ahmadou Bamba dans le xassaide Sindidi

[2] DjaDjouBa acronyme de Djangue, Djouli Bay qui peut être traduit littéralement par Apprendre, Prier, Cultiver