SENtract – Il y a quelques mois, en janvier, le Burkina rejoignait la cohorte des États africains qui avaient connu une interruption brutale de l’ordre constitutionnel. A l’époque, le coup d’État au Burkina Faso était le quatrième répertorié en Afrique, dans la région sahélienne, en moins de 18 mois. Les trois autres ayant eu lieu en août 2020 au Mali, en avril 2021 au Tchad, et le « coup d’État dans un coup d’État » au Mali en mai dernier.
Ce cinquième coup de force depuis l’indépendance du pays a été accueilli, encore une fois, par des scènes de liesse populaire dont on peut légitimement se demander ce qui les fondent. Ceux qui jubilent fêtent-ils l’arrivée de nouveaux dirigeants ou le départ de leurs prédécesseurs ?
Cette liesse qui accompagne les nouveaux dirigeants, de la caserne vers le palais, ne constitue pas la seule similitude avec les autres coups d’état. Il y a aussi l’attrait malsain qu’exerce le basculement de l’ordre constitutionnels sur les opportunistes, parasites et profiteurs de tout acabit. Au nombre de cette faune hétéroclite, nous avons les politiciens. D’abord ceux du cru. On les reconnait au fait qu’ils n’ont pas gagné d’élections ou nourrissent des rancœurs héritées de frustrations personnelles ou de querelles qui, bien souvent, ont peu de choses à voir avec la politique pure, la gestion de la cité. Ensuite, il y a les oppositions des autres pays, spécialement de ceux limitrophes, souvent en rupture de ban dans leur propre pays. Ces hommes et femmes politiques cherchent à rebondir, à muscler une cagnotte financière ou à nouer des alliances avec un régime au pouvoir, ailleurs. Ce pouvoir issu de la force des armes, qui vient d’arriver en responsabilité, en délicatesse avec la légitimité populaire, a tendance à voir dans ce soutien, une belle opportunité de peaufiner une image d’ouverture. Par ailleurs, il y a aussi ce que d’aucuns appellent encore d’un terme délicatement suranné et surtout très peu conforme aux orientations politiques de leurs membres : la société civile. Sans vouloir tomber dans une généralisation forcément excessive, ce type d’organisations regroupe, hélas beaucoup trop souvent, une proportion démesurée d’activistes. Ces derniers, supposément dénués d’arrières pensées politiques et toujours en quête d’occasions, ressemblent beaucoup à la dernière espèce de profiteurs, les hommes d’affaires. Ils sont prêts à tous pour accroitre un business, sécuriser un monopole et presque toujours pour conserver de l’influence qu’ils s’empresseront de monnayer.
Le nouvel homme fort du Burkina Faso, le Capitaine Ibrahima Traoré, devrait se le tenir pour dit. En effet, le premier écueil auquel sont confrontés les auteurs de Putschs est de considérer que les manifestations bruyantes d’adhésion populaires des foules qui les célèbrent sont un chèque en blanc. Tant que les nouveaux dirigeants n’auront pas percé à jour les déterminants les plus pertinents de ce soutien immédiat ou leur niveau réel, ils seraient bien inspirés d’observer une prudente réserve, le temps de prendre leurs marques.
Que reproche-t-on au colonel Paul Henri Sandaogo Damiba ?
Au-delà du coup de force, dont il faut condamner sans ambages, et le procédé en ce qu’il est anticonstitutionnel, et l’impact qui est de mettre fin à tous les mandats électifs dans l’État au sein duquel il survient ; il faut admettre, que son option de non-radicalité vis-à-vis de la France, à l’inverse des autres putschistes, l’a perdu. Sa proximité alléguée des autorités russes, en janvier, qui aurait justifié qu’il retournât son arme contre Roch marc Christian Kaboré, n’a jamais été corroboré par des faits. Pour rappel, c’est un secret de polichinelle que le ci-devant président du MPSR aurait plusieurs fois, devant Kaboré, insisté pour que la stratégie militaire soit infléchie pour ménager une place à la société Wagner. Cela aussi, n’a jamais été confirmé.
En outre, le retournement des opinions publiques africaines, globalement défavorables à la France a pesé d’un certain poids dans la situation que vit le Burkina. Le commerce agréable qui caractérise les relations de Damiba avec l’Élysée ; les sanctions qui ne sont pas tombées, immédiatement après le coup d’État, alors que le Mali expérimentait, dans le même temps, les plus sévères jamais administrées par la CEDEAO ; tous ces paramètres ont aidé à construire, dans l’imagerie populaire, la perception d’un Damiba, ami de la France et continuateur de la Françafrique.
L’usure du pouvoir est un autre déterminant de la chute du président. C’est un sujet moins documenté, quoique notoire, les putschistes plus que les dirigeants élus, sont assujettis à une période d’état de grâce. Cette dernière, relativement au Pays des Hommes Intègre, s’est trouvée réduite par la conjonction d’une multitude de facteurs. Dans cette optique, nous pouvons citer les réseaux sociaux et les médias en ligne qui, en même temps qu’ils rendent l’information accessible au plus grand nombre, donnent également un écho plus fort aux fausses nouvelles, à la propagande et aux accusations infondées. Ces instruments, désormais au service de politiques de désinformation, de manipulation et de nombreux arrangements avec la vérité, ne sont pas sans conséquences sur le sort funeste du régime de l’ex-Président de la Transition burkinabé.
Enfin, sur ce sujet des aspects qui peuvent expliquer la perte du pouvoir par le plus éphémère locataire du Palais de Kossyam, on doit rajouter le phénomène de la proportion importante de la population, composée de jeunes, demi-instruits, pour l’essentiel, sans emploi ni qualification, et frustrés qui voient la main de la France partout dans la gouvernance nationale de leur pays. Comme dans la plupart des pays africains francophones, cette tentation à l’extrême simplification de la lecture de la chose publique – qui nie la complexité des rapports avec les États et entre les acteurs de la vie publique – est aujourd’hui tendance lourde, dans l’air du temps. Les dégâts de cette orientation sur le seuil de tolérance des citoyens est considérable.
Que peuvent faire l’UA et la CEDEAO dans cette situation ?
Les réactions à géométrie variable de l’UA et de la CEDEAO, concernant les différents coups d’état qui ont enflammé l’Afrique de l’Ouest, les deux dernières années, ont fragilisé la posture, de l’Union Africaine et de la CEDEAO, compromis la cohérence des deux organes et justifié la suspicion à leur endroit.
La différence d’approche à l’égard du Mali et du Tchad est le principal grief formulé par les contempteurs de ces groupements que d’aucuns qualifient de « syndicats des Chefs d’État ». Le Mali, a été suspendu de l’UA et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) après les putschs de 2020 et 2021, tandis que le Tchad, a été autorisé à conserver sa place au sein de l’UA dans l’attente d’une transition vers des élections et un régime civil. Cet exemple est emblématique des nombreux paradoxes qu’entretiennent L’UA et la CEDEAO.
L’Union Africaine et la CEDEAO doivent, sans se laisser attendrir, sanctionner fortement les militaires qui ont renversé l’équipe de transition au Burkina. Parce que ces dernières avaient communiqué un agenda et commencé à mettre en œuvre les actions préparatoires à la remise du pouvoir aux civils dans le cadre d’élections libres, démocratiques et transparentes.
L’Union Africaine et la CEDEAO doivent demander aux autorités de répondre de la sécurité des anciens dirigeants, fussent-ils eux-mêmes, putschistes et de leur fournir une visibilité, sans délais sur leurs intentions à la tête de l’État.
De toutes façons, les autorités en charge de ces structures, ont une belle occasion de restaurer l’image de l’UA et de la CEDEAO, largement écornée par les épisodes passés de gestion de l’après coup d’État.
Quelques conseils cependant aux nouveaux maitres de Ouaga…
Quelques conseils à titre gracieux, pour ne pas reproduire sans fin ce cycle de coups d’État :
- Éviter de tirer sur la corde du populisme en exploitant le ressentiment et la colère populaires contre les autres États, amis ou voisins. Ne pas céder à l’émotion et garder à l’esprit que la souveraineté, en s’isolant et en vivant en autarcie, est difficilement tenable. Surtout dans la dynamique de recrudescence des actes de terrorisme constatée un peu partout dans la zone des 3 frontières : Mali, Burkina et Niger.
- Démarrer les consultations, sans délais, afin d’associer de la façon la plus large possible, l’ensemble des forces vives de la Nation. Tenir compte du fait que les forces socio-politiques, par exemple, ne peuvent pas être exclues des affaires publiques, sans conséquences.
- Garantir la jouissance des libertés publiques en ne restant loin de toute formes d’autoritarisme qui pourrait conduire à instrumentaliser la justice, la police et la gendarmerie, notamment.
- Éviter toute stratégie qui pourrait s’interpréter comme un partage de butin entre les auteurs du coup d’état. Surtout au sein des cercles de militaires. Ne pas leur réserver de sinécures qui les éloigneraient des théâtres d’opérations ou des lignes de front. Les sociétés nationales, les ministères et les agences de l’État doivent être pourvus en ressources humaines à la suite d’appels à candidatures. Cette option permettra de répondre aux récriminations que seule la compétence a décidé du choix des attributaires des postes !
En définitive, pour répondre à la question centrale, il faut regretter cet énième coup de force, moins pour ceux qui en sont victimes, anciens putschistes, que pour le retard considérable qu’elle fait accuser au processus de retour du Burkina Faso, dans le concert des Nations. Cette régression est hautement condamnable. Définitivement.
Gorgui Kafindia
Chef – Chroniqueur
Sentract.sn alias Tract.sn