Tract – La question des migrations refait surface à la une de l’actualité au moment où « le gouvernement français dénonce le comportement des autorités italiennes qui refusent d’autoriser à accoster le navire Océan Viking, qui se trouve au large de la Sicile, avec 234 migrants à bord.
L’Italie, à bout de souffle, refuse l’arrivée de bateaux sur son sol. Les autorités Françaises, obligées de respecter le droit maritime, sont acculées par l’extrême droite dont des responsables dérapent et recommandent aux navires transportant des migrants de « retourner en Afrique ».
Les migrations créent de fortes tensions, des divisions politiques et des disputes sur la meilleure façon de traiter et de résoudre cette crise. Mais comment en est-on arrivé là ?
Il s’agit d’une question que j’ai tenté de comprendre et de traiter dans mon ouvrage intitulé « Sénégal, diagnostic d’un pays candidat à l’émergence[2] ». En effet, le diagnostic que j’ai établi nous éclaire sur le fait que la migration n’est pas un phénomène nouveau. Les migrants subsahariens arrivaient en France dans le cadre d’un projet temporaire de travail. Cette migration s’était accélérée notamment de 1956 à 1972 avec la décolonisation et l’entrée en vigueur, le 1er janvier 1958, du traité de Rome qui instaure le principe de libre circulation des personnes.
Il s’agissait principalement d’une migration masculine des populations de la vallée du fleuve Sénégal qui occupaient, le plus souvent, des emplois dans les secteurs de l’industrie automobile, de la voirie, du bâtiment, de la restauration collective…
Dans les années 1980, la dégradation des économies africaines par les meurtrières Politiques d’Ajustements Structurels (PAS) imposées par le Fond Monétaire International et la Banque Mondiale accélèrent les migrations. L’immigration explose. Elle concerne toutes les couches sociales et toutes les catégories socioprofessionnelles. Elle devient massive et plus durable.
Les africains ne quittent pas leurs pays par plaisir. Ils fuient la pauvreté, les dégâts des changements climatiques, les conflits, les répressions et les violations des droits de l’Homme. Aujourd’hui, où va-t-on face à un secteur de la santé où la plupart des établissements font le tri des malades sur le seul critère de la rentabilité ? Où va-t-on quand l’État encourage la prolifération des écoles privées élitistes au détriment de l’école publique ? Où va-t-on lorsque les agriculteurs, les éleveurs, les pêcheurs, les transporteurs, les artistes, les professionnels du tourisme, les personnels de la santé, les maraichers, les commerçants et les employés ne peuvent plus vivre des fruits de leurs activités et qu’en même temps l’argent de leurs impôts est mal dépensé voire pillé ? Comment développer un pays alors que la majorité des jeunes sortent du système éducatif sans qualification et que les femmes sont toujours considérées comme des agents économiques de second rôle ? Comment éviter la corruption lorsque ceux qui doivent la combattre sont ceux qui contribuent le plus à sa prolifération ? Ce sont les raisons pour lesquelles les populations quittent leurs pays.
Ayons le courage de l’avouer haut et fort. La raison pour laquelle les africains migrent est que toutes les ressources, qui doivent servir à assurer leur bien-être, chez eux, sont mal utilisées, gaspillées ou pillées par une minorité de privilégiés qui n’ont qu’un objectif : consolider leurs pouvoirs, leurs avoirs et leurs conforts personnels.
Vous allez penser : encore un article de plus, identique à la majorité des autres. Eh bien oui ! En effet, celui-ci va au-delà de la dénonciation. Il rappelle clairement qu’un pays comme le Sénégal ne va pas bien mais pourrait aller beaucoup mieux. Ce pays possède d’énormes atouts qu’il a jusqu’à présent mal exploités car les personnes qui le gouvernent ne sont pas toujours à la hauteur des transformations nécessaires pour accéder à l’émergence.
En effet, la plupart d’entre elles exerce le pouvoir, depuis longtemps, et n’ont jamais démontré l’engagement nécessaire pour sortir le pays de la situation périlleuse dans laquelle il se trouve confiné depuis des décennies. Leur comportement vis-à-vis des deniers publics ne fait pas d’elles des exemples. Les actes qu’elles posent ne répondent presque jamais aux attentes les plus élémentaires des populations qui les ont élues.
Confrontés à toutes ces difficultés, les jeunes Sénégalais sont devenus candidats à l’exode vers la ‘tour Eiffel’. Ils quittent leur pays parce qu’ils n’y ont pas d’avenir.
Comme le constate Makhily Gassama, « c’est l’échec de toutes nos politiques de développement ; l’échec de nos élites, qu’elles soient politiques surtout politiques-intellectuelles et économiques depuis la proclamation de nos fameuses indépendances ; cet échec constitue les vraies causes de ces déplacements massifs des populations [3] ».
Nous n’avons pas réussi à nous imposer sur le globe comme les autres continents en dépit de nos immenses richesses naturelles, en dépit de nos valeurs culturelles évidentes. Pourquoi ? Par manque de courage politique. Les politiques bradent notre dignité sans état d’âme sous le prétexte d’un realpolitik qui ne sert que leurs intérêts personnels et ceux de leurs complices extérieurs. Quant à nos relations avec le monde extérieur, nous nous sommes contentés de nous livrer et livrer nos pays à des puissances étrangères comme aucun continent ne l’a fait, et courir après des fauteuils, souvent en pataugeant dans le sang de nos concitoyens avec le seul souci de les conquérir ou de s’y maintenir confortablement.
L’Europe, principal foyer d’accueil, est en permanente recherche de solutions. L’objectif principal est bien évidemment de faciliter les expulsions qui ne résoudront pas le problème car comme le crier le président Abdou Diouf, en 1991, dans le journal Figaro lorsqu’il plaidait pour un maintien de l’aide au continent africain « les pays du Nord risquent d’être envahis d’une multitude d’africains qui, poussés par la misère, déferleront par vagues. Et ils auront beau faire des législations contre l’émigration, ils ne pourront pas arrêter ce flot, car on n’arrête pas la mer avec ses bras… Il faut que les populations du Nord sachent qu’avec le Sud elles vivent dans le même village planétaire. Leur intérêt est d’aider l’Afrique à se développer[4] ».
Mais les pays africains sont-ils capables de soutenir leur propre développement sans être assistés ? Ce sont ces questions que devait se poser Abdou Diouf et que ses successeurs et collaborateurs au pouvoir doivent se poser.
On voit bien que les autorités peinent à trouver des réponses et des solutions efficaces face à la migration. C’est ce que constate Toumany Mendy qui démontre que « le phénomène gangrène les rapports entre l’Europe et l’Afrique parce que l’Europe ne prend pas en compte les vraies causes du problème[5]». Les politiques néocoloniales, voulues et entretenues par toute notre classe politique, sont à l’origine des guerres et des instabilités qui poussent les citoyens à fuir leurs pays.
Nous invitons donc toutes les personnes et tous les États qui nouent des partenariats avec les pays africains de regarder les responsables politiques dans les yeux et d’attirer leur attention sur la nécessité de changer de comportement face aux deniers publics. Nous nous adressons particulièrement à la France pays le plus présent au Sénégal. Si cette démarche n’est pas engagée, si dans les années à venir le Sénégal ne dispose pas d’infrastructures éducatives, économiques et sanitaires décentes, la vague d’immigration va continuer à déferler et aucun pays ne pourra la stopper. L’insécurité et les mouvements extrémistes prospéreront, les actions terroristes se multiplieront et constitueront des menaces contre l’humanité tout entière.
En tant qu’afro-optimiste, nous ne sommes ni pour Barça ni pour Barsakh. Nous sommes pour une Afrique unie qui reprend son développement en main. Le développement ne se délègue pas pour reprendre la vision de Mamadou DIA[6].
Momar-Sokhna DIOP
Professeur d’économie et écrivain à Paris
[1] Barça ou Barsakh signifie «’Barcelone ou la mort’
[2] Momar-Sokhna DIOP, Sénégal, diagnostic d’un pays candidat à l’émergence, Editions l’Harmattan 2019
[3] Makhily Gassama, Le geste de la Libye, met à nu nos échecs in Sud Quotidien, Interview N° 7362 du mercredi 22 novembre, 2017.
[4] Le siècle de l’Afrique, réussites, défis et migration, Le Point, N°2370, 02/2018.
[5] Toumany Mendy, L’immigration clandestine, Paris, l’Harmattan, 2009.
[6] Mamadou DIA, Afrique le prix de la liberté, Editions l’Harmattan 2001