Tract, avec Seneplus.com – Depuis des mois, et jusqu’au jour fatidique, on a assisté à un déferlement de critiques formulées par des citoyens ou des collectivités d’Europe et d’Amérique du Nord qui s’élèvent contre la tenue au Qatar de la phase finale du championnat du monde de football.
Mais les mots d’ordre qu’ils préconisent ont-ils des chances d’être observés par tous ceux dont les pays réaliseraient des performances au cours du tournoi ? D’ores et déjà les Français ont boycotté le boycott, dès le premier match opposant leur pays, champion en titre, à l’Australie, qui n’est qu’au 38e rang mondial, plus de 12 millions d’entre eux ont suivi la confrontation, avant de célébrer Olivier Giroud comme un héros national.
Ensuite, et surtout, les contempteurs de Qatar 2022 ne crient-ils pas trop tard leur indignation et ne se sont-ils pas trompés de cible ? La moitié des équipes présentes à Doha viennent de chez eux, le choix du Qatar remonte à douze ans et découle d’une décision d’une organisation qui a son siège au Nord, dont leurs pays qui contrôlent le fonctionnement et auquel ils fournissent ses principaux sponsors, dont certains (Coca-Cola, Mc Donald…) ,soit dit en passant, ne sont pas des modèles en matière de bien être. On peut donc dire en conclusion que c’est avec la complicité des dirigeants et des entreprises de leurs pays que le Qatar s’est offert, pour son plaisir et pour la gloire, la manifestation la plus regardée du monde, comme jadis en France les hommes riches ou puissants se payaient une danseuse de l’Opéra.
A savoir :
1. Que ce petit émirat, à peine plus étendu que la Corse, n’est qu’une protubérance, vénéneuse pour certains, de la péninsule arabique, un pays désertique, avec un climat très chaud et, en été, période pendant laquelle se sont depuis toujours déroulés les championnats du monde de football, la température oscille entre 40 et 50 degrés ;
2. Qu’il n’est pas un pays de vieille tradition footballistique et n’a aucune légitimité pour abriter une manifestation dans laquelle il n’a jamais brillé et qui nécessite des équipements lourds, surdimensionnés à son échelle et dont il n’aura que faire à la fin de la compétition ;
3. Qu’il compte quelque 300 000 citoyens, concentrés à 80 % dans une seule agglomération et qui n’ont aucune envie de servir d’ouvriers pour la construction des infrastructures. Le pays devra donc, comme à son habitude, faire appel à une main-d’œuvre étrangère, laquelle devra, comme c’est le cas dans la région, se soumettre à un assujettissement total, sans garantie de sécurité, avec des risques de pertes humaines dont seule l’ampleur était imprévisible ;
4. Que le Qatar est un pays musulman, conservateur en matière de mœurs, une monarchie peu soucieuse du respect de la démocratie et des droits de l’homme, où la consommation d’alcool est prohibée et l’homosexualité sévèrement condamnée ;
5. Que le Qatar est le premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfié, que sa consommation d’énergie et d’électricité, par habitant est, respectivement, le triple et le quadruple de celle d’un pays développé comme l’Italie et qu’il n’a donc pas une culture d’économie de ressources fossiles. La climatisation, y compris celle des lieux de sports, y est une pratique ordinaire, les voitures y sont gourmandes en carburant et les jets privés, le moyen usuel pour se rendre des riches émirats voisins à sa capitale dont les capacités d’hébergement sont limitées.
On ne peut donc pas stigmatiser la tenue de Qatar 2022 sans reconnaitre que c’est aussi l’illustration de l’hypocrisie dont font souvent preuve les grands de ce monde pour fuir leurs responsabilités et nier leur complicité. Les deux personnalités qui étaient à la manœuvre au moment du choix du pays hôte ont pesé de tout leur poids, qui était grand, sur cette décision et ont sans doute fait pencher la balance. L’un d’eux a reconnu, tardivement, qu’il avait commis une erreur et dénoncé des pressions, l’autre, qui est cité dans une enquête judiciaire sur le vote, a avoué qu’il avait été sensible aux arguments de son pays. Si ce pays, la France, a fait campagne et voté en faveur d’une monarchie arabe, peu ouverte aux droits des minorités, et l’a préférée aux Etats-Unis, dont elle se flatte d’avoir été le premier allié, ce n’était certainement pas pour des raisons d’ordre éthique.
On ne peut donc que s’étonner que la maire de Paris défende le boycott de Qatar 2022, alors que l’entreprise la plus flamboyante de sa ville, le PSG, est la propriété de l’émirat qui l’a achetée, généreusement, pour le triple de sa valeur, comme pour remercier les Français de leur soutien.
On ressent la même incompréhension quand des footballeurs qui s’étaient abstenus de tancer leurs confrères, parmi les plus prestigieux (Beckam, Messi, Zidane… ) lorsque ceux-ci ont servi de VRP à la cause qatari, sillonné le monde et occupé des plateaux de télévision, menacent aujourd’hui de manifester leur mécontentement sur le terrain, acte du reste anodin si on le compare au défi des joueurs iraniens qui ont risqué leur vie en refusant de chanter leur hymne national…
On tire à boulets rouges sur le Qatar parce qu’il est revenu, comme c’était prévisible, sur sa promesse d’autoriser la vente de boissons alcoolisées à proximité des stades, ce qui ne lèse que les fabricants de ce produit, qui le feront payer cher à la FIFA, alors que le pays hôte avait auparavant déchiré sa signature sur un sujet autrement plus sérieux, en remettant en cause le calendrier de la manifestation qui cette année, et pour la première fois, s’est tenue en hiver. Dire que les clubs européens menaçaient de ne plus libérer leurs joueurs africains si la CAN était maintenue en été !
Qatar 2022 nous réserve sans doute d’autres surprises et des anomalies dont certaines sont déjà consommées.
Pour la première fois, un pays organisateur de la Coupe du monde peut accueillir l’ensemble de ses citoyens dans les stades réalisés à l’occasion de l’évènement.
Pour la première fois, un pays accueille une Coupe du monde dans des stades qui tous, plus exactement 7 sur 8, se trouvent dans un rayon de 20 km à partir du centre de sa capitale
Pour la première fois, le pays organisateur est battu au match d’ouverture du tournoi…
Enfin, Qatar 2022 est aussi l’occasion de se reposer cette question : pourquoi les Euro-américains auraient –ils, seuls, le droit d’imposer leur culture et leur mode de vie aux autres quand ceux-ci séjournent chez eux, et le droit de s’abstenir de respecter les us et coutumes de ceux auxquels ils rendent visite ? En 2010, ils voulaient que, pour la Coupe du monde de football, l’Afrique du Sud interdise dans ses stades l’usage des vouvouzélas, que leurs oreilles délicates ne pouvaient pas supporter. En 2015, ils avaient fait pression sur la Chine pour qu’elle suspende la vente de la viande de chien pendant la durée du championnat du monde d’athlétisme. Même si aucun des deux pays n’a obtempéré à leurs ordres, ce comportement discourtois, qui n’est pas propre au sport, traduit leur propension à ne pas mettre en accord leurs paroles avec leurs actes. Le hasard de calendrier a fait que Qatar 2022 démarrait au moment où se clôturait la COP, et à la fin de ce happening, qui en est à sa 27e édition, ils nous ont joué une nouvelle fois le jeu qu’ils jouent dans toutes les grandes occasions : ils renvoient leurs promesses aux calendes grecques, ou les remplacent par d’autres encore plus mirifiques, et surtout, ils refusent que le casseur, et en l’occurrence, ici, le pollueur, soit le payeur !