Que le chef de l’État soit un fossoyeur des institutions est une chose. Le président Macky Sall a mis notre pays dans une situation difficile. Il a, par ses errements, détruit la confiance de beaucoup de citoyens envers les institutions. La Justice est constamment bafouée, la gouvernance est devenue catastrophique. Le président de la République a sabordé les progrès, en matière démocratique, que les Sénégalais ont arrachés aux régimes précédents. Il est en partie responsable de l’atmosphère violente qui s’est constituée dans l’espace politique. En gardant le silence sur le troisième mandat, il continue de se montrer aveugle, face au danger d’explosion sociale auquel notre pays s’expose.
Seulement, le mouvement de haine qui est en train de caractériser la scène politique est aussi la conséquence des agissements d’une opposition qui se veut radicale mais qui est, en réalité, dominée par une culture d’insultes, d’invectives, et de purge. Cette opposition qui veut régler la contradiction par la violence est dans un rapport continuellement conflictuel avec ceux qui ne lui font pas allégeance. Elle ne cherche plus à inscrire son action dans les règles républicaines. Elle est en permanence dans la désacralisation des institutions et le populisme primaire. Elle ne s’embarrasse d’aucun tabou.
Les coups reçus par la députée Amy Ndiaye sont un nouveau palier à cette escalade de la violence. Ils témoignent de cette brutalité posée en action politique. Il n’y a plus de barrière et tous les verrous sautent. La surenchère insurrectionnelle est permanente. Le 12 septembre dernier, lorsque des députés de l’opposition ont voulu bloquer le fonctionnement de l’Assemblée nationale, et ont fait preuve d’une totale irresponsabilité, très peu d’intellectuels ont osé regarder la vérité en face. Devant les images choquantes, il y a eu un silence étourdissant. Certains ont même voulu justifier le comportement abject et la mauvaise foi des élus de l’opposition. L’essayiste Hamidou Anne, dans une de ses chroniques, avertissait alors : « Désormais, le débat public n’échappera pas à la violence et à l’obscénité qui irriguent la société dans toutes ses couches. Nous vivons la revanche des passions. »
Il n’avait pas tort. Une frange de l’opposition a décidé de se passer de la décence et de faire de la violence une arme d’ascension vers le pouvoir. C’est devenu flagrant. Mais, comme le dire c’est s’exposer aux injures, à la désinformation et aux calomnies, tout le monde se tait. Jamais dans l’histoire du Sénégal, l’adversité politique n’avait produit autant de haine et de férocité. La violence n’est pas une nouveauté dans l’espace politique sénégalais mais elle était d’inspiration révolutionnaire.
Aujourd’hui, ce à quoi nous assistons, c’est l’irruption de forces déchaînées, qui luttent pour le pouvoir, et veulent soumettre tout le monde. Les citoyens sont dressés, les uns face aux autres, et on leur demande de choisir un camp. Il n’y a plus d’adversaire mais des ennemis à abattre. Ceux qui sont scandalisés par cette situation et qui le disent sont caricaturés en traîtres ou en « opposants de l’opposition ». Cette intolérance s’est invitée dans les agoras : les places publiques, les discussions dans les foyers ou entre amis, les groupes WhatsApp, les murs Facebook et Twitter. Où va nous mener ce fanatisme aveugle, qui s’est emparé des consciences ?
Le Sénégal n’est pas une exception. Partout où les hommes politiques se sont montrés incapables de délibérer de manière civilisée, l’Etat de droit s’est effondré. Si l’Assemblée nationale devient un cirque, si les intellectuels et les universitaires continuent de fermer les yeux et de se taire, si la classe politique persiste à se montrer grossière, déraisonnable, les digues céderont. Il se passera alors ce qui s’est passé ailleurs dans des démocraties qui se croyaient mûres. La violence politique à laquelle nous assistons n’est pas un chemin de rupture, ni un projet révolutionnaire. Elle nous mène vers la ruine de la République. L’irresponsabilité des hommes politiques finira par engloutir notre pays dans une nuit noire. Où les aventuriers auront leur mot à dire.
Paap Seen