[ITV] Pr Mamadou Koumé, journaliste sportif : «Aliou Cissé a manqué de cohérence…»

Tract – Par Amadou Ly DIOME (Lavoixplus), envoyé spécial à Doha – Journaliste chevronné et ancien président de l’Association nationale de la presse sportive (ANPS), dont il est d’ailleurs le président d’honneur, le Pr Mamadou Koumé était à Doha dans le cadre de la 33e édition de la Coupe du monde de football. Incontestablement le plus expérimenté parmi les journalistes sénégalais présents au Qatar, Pr Mamadou Koumé revient pour nous, dans l’interview qu’il nous a accordée, sur les temps forts de cette édition partie sur fond de polémique et qui, au finish, reste l’une des plus belles réussites de la FIFA avec un pays organisateur qui a, c’est le cas de le dire, sorti le grand jeu et les grands moyens pour séduire son monde. De cette contestation du pays organisateur étouffée dans l’œuf à la déconvenue des champions d’Afrique en titre en passant par la fin de règne des «sorciers blancs», l’ancien directeur général de l’Agence de presse sénégalaise (APS) fait un décryptage sans complaisance sur certains faits marquants de cette édition du Mondial. Également, il nous donne un aperçu sur son dernier ouvrage publié avant le début de la compétition et consacré à Sadio Mané, l’enfant de Bambali et maître à jouer de la sélection nationale, forfait pour raisons de blessure à Doha. Entretien.

Professeur Koumé, vous êtes à Doha pour les besoins de la 33e édition de la Coupe du monde de football. Une première au Moyen- Orient et en pays arabe. Quelle ap- préciation faites-vous déjà de l’organisation et des critiques qui ont été soulevées dès son attribution au Qatar ?

Pr Mamadou KOUME – Les paris de la mobilisation et de l’organisation ont été largement relevés par le Qatar. Je vais à la Coupe du monde depuis une trentaine d’années mais je n’ai jamais vu un pays consacrer autant de moyens à une Coupe du monde. La barre a été élevée très haut par le Qatar.

Huit stades futuristes édifiés en un temps record, un service de transport par bus et surtout par métro impeccable. Le public est venu en grand nombre de partout pour suivre les matches. Ceux qui ont voulu décrédibiliser cette Coupe du monde ont perdu la partie. Enfin, les conditions de travail des journalistes n’ont jamais été aussi bonnes.

Le Sénégal s’est arrêté au stade des quarts de finale devant les Three Lions d’Angleterre sur un score fleuve qui frise la correction. Avons-nous surévalué notre sélection, cham- pionne d’Afrique en titre, ou le fait de ne pas chercher des sparring-partners de classe mondiale dans les matchs préparatoires a-t-il plombé le parcours des Lions devant de grandes nations du football comme les Pays- Bas et l’Angleterre ?

Connaissant le niveau d’une Coupe du monde, je fais partie de ceux qui, au départ, avaient estimé que sortir des groupes était un bon résultat pour les Lions. Ils l’ont réussi et ce n’était pas gagné d’avance surtout après avoir entamé par une défaite.

Contre l’Angleterre en quarts de finale, nous avons eu deux matchs dans un même match. Les vingt-cinq premières minutes où le Sénégal pouvait mener par un but à zéro au moins et le reste du temps où, effectivement, l’équipe a frôlé une déroute cinglante.

Devant ce genre d’adversaire, il faut avoir une équipe expérimentée et ma- ture. Ce n’était pas le cas, le forfait de Sadio Mané pour blessure avait ôté à l’équipe une bonne part de ses moyens techniques. Sadio Mané est ce que j’ap- pelle le CAR du Sénégal. Le Concepteur, l’Animateur et le Réalisateur dans cette équipe qui dépend beaucoup de lui. A ce forfait s’est ajoutée l’indisponibilité de deux cadres essentiels, Idrissa Gana Guèye, le meilleur Sénégalais du tournoi (suspendu), et Cheikhou Kouyaté, blessé dès le premier match. Ces deux joueurs auraient pu stabiliser le milieu de terrain qui a été le point vulnérable de l’équipe. En contrôlant le mi- lieu, les Anglais ont imposé leur football et montré qu’ils étaient plus forts que les nôtres.

Dans l’ensemble, le bilan n’est pas mauvais. Deux victoires et deux défaites. Mais la défense a été faible, encaisser sept buts en quatre matches illustre une faiblesse à laquelle il faut vite remédier.

Faut-il poursuivre l’aventure avec Aliou Cissé au vu des carences tactiques qu’il a affichées dans certains grands matchs ?

Faut-il continuer avec lui ? C’est une décision qui appartient à la Fédération qui l’a recruté et à l’Etat qui le paye. Il a signé un contrat à la veille de la Coupe du monde. J’ai entendu dire que l’un des objectifs qui lui était assigné était de qualifier les Lions pour les quarts de finale de la Coupe du monde. C’est raté. Mais, au cours de cette année, il a conduit à la victoire à la CAN. C’est une circonstance atténuante pour le laisser continuer. Huit ans à la tête de l’équipe est un record dans le genre. On attendra de voir ce que les Lions feront à la CAN en 2023. La question de son maintien ou de son départ pourrait être d’actualité… Il faut noter que Cissé est l’homme des records qui vont dans le bon sens. Mais, cette fois, il a un mauvais record. Pour la première fois dans son histoire en Coupe du monde et en CAN, l’équipe nationale est battue par un écart de trois buts dans un match, suite à la déroute contre l’Angleterre (0-3).

Comment avez-vous apprécié le reniement de Aliou Cissé relativement à ses convictions premières de ne prendre que les joueurs compétitifs ? Par exemple, un joueur comme Saliou Ciss, meilleur latéral africain à son poste lors de la dernière CAN, a été laissé à quai alors que d’autres pas du tout compétitifs ont été sélection- nés ?

Le sélectionneur est libre d’adopter sa jurisprudence qui veut qu’il ne fasse pas appel à ceux qui n’ont pas de club… donc qui ne jouent pas. Mais il convoque des joueurs qui ne jouent pas dans leurs clubs ! Et on s’est rendu compte de leur faible rendement quand ils sont entrés en jeu. La logique serait donc de ne sélectionner que ceux qui jouent. Ça semble plus cohérent.

Pour la première fois dans l’histoire de la Coupe du monde, les 5 sélections africaines sont conduites par des nationaux. Est-ce la fin des “sorciers blancs” si on prend aussi en compte le fait que les deux dernières éditions de la CAN ont été remportées notamment par l’Algérien Belmadi et le Sénégalais Aliou Cissé ?

Une aberration est enfin corrigée. Nos dirigeants recrutaient des entraîneurs qui ont joué dans les mêmes clubs et au même niveau que des fils du pays devenus entraîneurs. Ils ont compris qu’il était venu le temps de confier des responsabilités aux entraîneurs africains. Le mouvement ira en s’amplifiant car les entraîneurs africains sont en train de relever le défi.

Le cas du Marocain Walid Regragui prouve suffisamment que nos entraîneurs ont les compétences pour réaliser de bons résultats.

Quelles sont, à votre avis, les leçons à tirer de cette participation sénégalaise en particulier et africaine en général avec le Maroc qui poursuit l’aventure (Ndlr : L’entretien a été réalisé après la qualification du Maroc devant l’Espagne) ?

Dans l’ensemble, la participation africaine au plan des résultats n’est pas aussi mauvaise qu’on voudrait nous le faire croire. Les équipes africaines n’ont jamais marqué autant de points dans les classements des groupes. Il leur faut davantage professionnaliser leur fonctionnement pour approcher ce qui se fait de mieux…

La différence se passe à ce niveau puisque l’Afrique a des joueurs qui rivalisent avec les meilleurs des autres continents.

Vous êtes l’auteur de « Sadio Mané, le Roi Lion », un ouvrage paru avant le démarrage de la compétition. Pouvez-vous revenir sur les grandes lignes de ce document et nous donner aussi votre appréciation sur l’absence remarquée du héros de votre ouvrage dans ce tournoi majeur qu’est le Mondial ?

Pour tout ce qu’il représente aujourd’hui pour notre football, nous avons estimé qu’il était important de dévoiler toutes les facettes humaines et tech- niques de ce footballeur. Ce livre a la particularité d’accueillir des contributions d’une dizaine de journalistes qui ont ex- primé leur ressenti sur Sadio Mané.

Il faut à ce propos noter l’harmonie de ces contributeurs qui ont écrit leur texte chacun de son côté, sans une coordination. L’unanimité autour du footballeur et de l’homme est impressionnante dans ces écrits.

Enfin, le fait d’avoir rencontré tous ceux qui ont suivi le footballeur depuis son village natal jusqu’au Bayern aujourd’hui, en passant par Génération Foot qui l’a révélé, a davantage montré la dimension de Mané.

Entretien réalisé par Amadou Ly DIOME, envoyé spécial à Doha de Lavoixplus.com 

amdoudoulydiome@lavoixplus.com