[Tribune] AFRIQUE SUBSAHARIENNE: LA VALORISATION DE LA BIODIVERSITE AGRICOLE, UN GAGE POUR L’AGRICULTURE DURABLE ET LA SECURITE ALIMENTAIRE (Par Cynthia MBIDA)

Crédit photo: Nations Unies.

Tract – L’alimentation est une activité fondamentale qui permet de préserver et d’entretenir les fonctions vitales du vivant, notamment celles de l’être humain.

 

L’agriculture est un secteur d’activité primordial qui assure l’alimentation et le bien-être des êtres humains. Elle regroupe de nombreuses activités et implique des stratégies et des structures diversifiées, sur le plan individuel, privé, public, étatique ou non gouvernemental. Sont mis à contribution à cet effet, les agriculteurs, les chercheurs dans le domaine agronomique, les pouvoirs publics et les politiques gouvernementales, les organisations non gouvernementales, les institutions internationales impliquées dans le secteur agricole. Tous ces intervenants ont pour préoccupation :

– de garantir la sécurité, l’autosuffisance, l’autonomie alimentaire, ainsi que la santé physique et mentale des populations, par la production de denrées de bonne qualité, en quantité suffisante et à un prix abordable pour tous afin d’éviter les pénuries, la sous-alimentation et la malnutrition.

– d’élaborer des stratégies pour accroître la productivité, améliorer la qualité des produits, de promouvoir une agriculture durable, respectueuse de l’environnement, et de la préservation de la biodiversité, afin d’en faire bénéficier les générations futures.

– d’assurer des revenus consistants et constants aux acteurs du secteur agricole, notamment en assurant l’appui technique par l’implémentation de techniques agricoles innovantes et l’aide au financement des unités de production publiques ou privées.

– de proposer des solutions aux nombreux problèmes auxquels le monde agricole doit faire face aujourd’hui, à savoir les désordres climatiques, les pénuries et l’augmentation des prix des produits agricoles dus à l’accroissement de la population mondiale et aux conflits, l’érosion et la pollution des sols, etc.

L’Afrique subsaharienne est une région frappée de plain fouet par les problèmes environnementaux qui mettent en danger les écosystèmes et la biodiversité. C’est dire que cette zone sinistrée est plus que jamais concernée par les problèmes agricoles et alimentaires. Elle comprend plusieurs zones géographiques aux écosystèmes différents : une zone sahélo-saharienne, une zone forestière, et une zone de savane arborée et herbeuse. Les problèmes et les stratégies adoptées pour chaque zone diffèrent en fonction des spécificités du milieu.

La zone sahélienne est une bande géographique située au sud du désert du Sahara qui s’étend de la côte Atlantique jusqu’à la Mer Noire ; elle englobe 10 pays, notamment le Burkina Faso, le Nord-Cameroun, la Gambie, la Guinée, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Nigeria, le Sénégal, le Soudan et le Tchad. Elle est caractérisée par un climat tropical aride au nord, avec des écosystèmes de steppe boisée ; une zone semi-aride de savane arborée au centre (Tchad), et de forêt plus au sud (Gambie). Les populations sahéliennes sont classées parmi les plus démunies d’Afrique, en raison des rigueurs du climat et du milieu dans lequel elles vivent, aussi bénéficient-elles de l’appui conjugué des gouvernements, des organisations internationales (ONU Femmes, FAO, PAM, FME) et des ONG sur les questions environnementales et climatiques, en vue de promouvoir un développement agricole durable respectueux de la biodiversité, qui bénéficiera aux générations futures. Outre le réchauffement climatique qui entraîne l’avancée du désert, on déplore l’envahissement des sols par le sable, la disparition des espèces végétales, fauniques, halieutiques, la destruction de l’habitat, l’empiètement des cultures sur les zones de pâturage, qui est à l’origine de nombreux conflits avec les éleveurs, etc. Les conflits qui chassent les paysans de leur terroir sont également un facteur important de la destruction des écosystèmes et un frein aux activités agricoles.

Le projet Grande Muraille Verte au Sahel, sous l’égide de la FAO se donne pour objectif d’appuyer les gouvernements et les populations locales pour restaurer la biodiversité, reverdir le Sahel afin de stopper la désertification et stocker le carbone. A Koyli Alpha au Sénégal par exemple, les femmes de la communauté créent des pépinières dans le cadre du projet de la Grande Muraille Verte, qui servent à améliorer la sécurité alimentaire, à accroître leurs revenus, à planter des arbres et de la verdure pour la restauration et la préservation des sols. Il y a lieu de citer, entre autres, le Réseau Sahel Désertification (RESAD) ; le Centre d’Actions et de Réalisations International (CARI), qui a pour objectif la sauvegarde des oasis, la promotion de l’agro-écologie, la gestion durable des terres du Sahel. Les principales actions menées pour préserver la biodiversité sont : le respect des cycles de la nature ; limiter l’usage des produits phytosanitaires qui polluent les sols et les eaux ; utiliser le paillage ; fabriquer le compost naturel ; mettre en place des aires naturelles protégées pour la préservation de la biodiversité. Dans la région de l’Extrême-Nord au Cameroun, l’association « Femmes et Développement Rural » dirigée par Madame Julienne Djakou, qui est par ailleurs présidente d’une fédération d’organisations paysannes qui regroupe plus de 1.000 membres. Dans le cadre de ses activités, cette association crée des pépinières et vend des plants, fabrique des foyers améliorés qui permettent de consommer moins de bois de chauffage. Elle s’attèle également à la diversification des cultures (soja, haricot, sorgho), et à l’élevage des ovins et de caprins. Toutes ces activités permettent d’accroître leurs revenus en assurant leur autonomisation, d’assurer l’équilibre alimentaire et de préserver la biodiversité.

La zone forestière en Afrique centrale est occupée essentiellement par le Bassin du Congo, qui occupe une superficie d’environ 1,62 millions de km2. Le Bassin du Congo abrite une part importante et diversifiée d’espèces végétales et fauniques du monde. Environ 14 % des forêts ont un statut d’aires protégés, de parcs nationaux, et 3 zones forestières sont inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO, à savoir la réserve faunique du Dja, au sud du Cameroun, le parc transfrontalier de la Sangha (Cameroun, RCA, Congo), et le site culturel de Lopé Okanda au Gabon.

L’Afrique reste le parent pauvre de la lutte contre la dégradation de l’environnement, malgré les dispositions réglementaires adoptées par les États à cet effet. Les actions concrètes sur le terrain peinent à s’organiser, car les acteurs étant peu nombreux, leur impact face à l’ampleur de la tâche à accomplir reste limité. La destruction rapide des forêts, considérées comme les poumons pourvoyeurs d’oxygène dans le monde, est un problème crucial en Afrique, du fait de l’emprise des activités humaines, telles que l’agriculture paysanne, l’agro-industrie (grandes plantations d’hévéa, palmeraies), le braconnage, les ouvrages et infrastructures diverses (routes, barrages), l’exploitation forestière et minière, la pression démographique, l’érosion et la pollution des sols par les déchets, les engrais et pesticides toxiques. Les écosystèmes forestiers sont ainsi menacés de destruction irrémédiable, le rythme des restaurations et replantations des arbres étant plus lent, ce qui aggrave les désordres climatiques. L’une des solutions préconisées pour résoudre ce problème est l’adoption d’une politique agricole durable, soucieuse de la préservation du climat, des écosystèmes et de la biodiversité. Un développement agricole plus productif tout en étant écologique et moins coûteux est possible, notamment en respectant les processus naturels ; en stimulant l’activité biologique du sol ; en associant des variétés complémentaires et en recyclant systématiquement les débris végétaux pour la fertilisation des sols.

Des actions visant à soutenir les populations vulnérables qui subissent de plein fouet les effets dévastateurs du changement climatique sont élaborées par les pouvoirs publics des différents pays de la zone, avec l’appui des institutions internationales chargées des problèmes environnementaux tels que l’IRD(institut de recherche pour le développement), CIFOR, FAO, Banque Mondiale), et des ONG telles que la Cameroon Wildlife Conservation Society (CWCS), CMN, l’initiative CAWHFI, WWF (World Wildlife Fund), African Wild Fondation (AWF), etc. Une mention spéciale est faite à la COMIFAC (Commission des Forêts de l’Afrique Centrale), une institution politique et technique chargée de l’orientation, de la coordination et d’harmonisation des politiques des pays de en matière de conservation, de gestion durable des écosystèmes des zones forestières et de savane en Afrique centrale.  Ces services et institutions ont pour but de contribuer à l’accroissement de la résilience des populations locales ou autochtones impactées. Ils proposent des mesures d’adaptation bénéfiques au développement global, harmonieux et durable sur le plan économique, social et humain, qui assurent la préservation des écosystèmes et de la biodiversité, à savoir :

– Le renforcement des capacités

– La promotion de l’exploitation intensive des sols et des eaux, en limitant les surfaces occupées et en encourageant les projets agro-pastoraux intégrés.

– La promotion des énergies dites propres et renouvelables telles que le solaire, l’énergie éolienne ou électrique, afin de limiter la coupe de bois de chauffe et l’usage du charbon de bois ; encourager et démocratiser l’usage du cuiseur ou four solaire, puisque cette matière première existe à profusion en Afrique. Cependant, il y a lieu de déplorer un important déficit actuel de l’accès aux énergies renouvelables dans les campagnes camerounaises, ce qui accélère la dégradation de l’environnement.

– L’adoption de techniques culturales et d’élevage, ainsi qu’un outillage mieux adapté au contexte de changement climatique, par exemple la promotion des engrais et pesticides naturels locaux, afin de réduire les coûts de production ; diversification des cultures par l’introduction de nouvelles espèces améliorées et résistantes ; fabrication de foyers améliorés qui permettent de consommer moins de bois de chauffage.

– La création des aires fauniques et végétales protégées dans le but de préserver les écosystèmes et la biodiversité.  Cependant, l’intégration des populations locales dans la gestion des aires protégées fait face à des difficultés, notamment la répartition inégale des revenus de la taxe d’affermage, des dividendes d’éco-tourisme, de chasse, de pêche et autres ressources tirées de la gestion des aires protégées aux communautés locales en vue de la réalisation de projets locaux tels que écoles, dispensaires, puits, etc. Ces revenus, souvent captés par les l’administration et les chefs traditionnels, ne parviennent pas jusqu’aux populations locales.

– La mise sur pied d’activités génératrices de revenus leur permettant d’assurer leur équilibre alimentaire et leur autonomisation, notamment la création d’étangs piscicoles, de pépinières, petit élevage d’ovins, caprins, petits rongeurs, revenus des aires protégées, etc. Toutefois, la difficulté pour les villageois de mener une activité génératrice de revenus est réelle, car elle est souvent opposée aux exigences de la préservation des écosystèmes et de la biodiversité. A ce titre il leur est difficile de combattre le braconnage qui est leur source de nourriture, de préserver la faune et la flore qui constituent l’essentiel de leur subsistance, à savoir le bois de chauffe, les matériaux pour l’habitat et les plantes médicinales ;

– le développement des nouvelles activités telles que le petit élevage de porcins, caprins, ovins, les élevages non conventionnels d’aulacodes et d’animaux sauvages (viandes de brousse) comme celui des porc-épics, agoutis ou cobayes, encore expérimental au Cameroun, s’avère difficile, onéreux, pour des bénéfices aléatoires, et la plupart sont abandonnées.

– Les problèmes d’accès des autochtones à la propriété foncière et les conflits avec les sociétés d’exploitation minière et agropastorales des terroirs au sujet de la captation abusive des terres des autochtones. Au Cameroun, des populations vulnérables telles que les Bororos, les pygmées Bagyelis et Bakas, les Bedzangs, les Bakolas et autres sont régulièrement spoliés de leurs droits à la terre, et font l’objet d’un suivi juridique. Le Réseau Camerounais des Organisations des Droits de l’homme, et le Minority Rights Group International par exemple, s’attèlent à la défense des droits à la terre des populations locales et autochtones en Afrique Centrale.

– L’orientation des pouvoirs publics vers les solutions répressives plutôt que négociées et de sensibilisation des populations a un effet pervers, celui d’intensifier les pratiques de fraudes multiformes tels que le braconnage, les ventes illégales des produits ligneux, non ligneux et fauniques. 

En définitive il apparaît qu’en Afrique sub-saharienne comme partout ailleurs dans le monde, les institutions, l’arsenal légal, réglementaire ainsi que les résolutions et autres déclarations d’intention existent bel et bien. La difficulté de leur implémentation concrète sur le terrain vient essentiellement du manque de volonté ou de moyens des acteurs impliqués dans la lutte pour la préservation de l’environnement. Les efforts devraient être renforcés et concentrés davantage sur les actions concrètes sur le terrain, notamment au niveau des populations locales et autochtones, afin de faire d’eux des acteurs efficaces de la gestion de leur environnement pour un développement durable. L’équilibre de la planète repose donc essentiellement sur ces acteurs de base, aussi tous les efforts, toutes les contributions sont requises à cet effet.

 

Cynthia MBIDA

INGÉNIEURE