Les gardiens de la biodiversité qui ne la chantent plus
Tract – Je m’appelle Diha. Je vis dans une localité située au cœur de la forêt équatoriale, au sud-est du Cameroun.
On nous appelle les « pygmées » mais nous nous voyons, nous, juste comme des êtres humains amoureux de la forêt.
Nous avons toujours vécu en symbiose avec la biodiversité, notre environnement. La biodiversité, nous la connaissons, nous la chérissons, cela fait partie de notre culture.
Un éléphant pour nous n’est pas simplement un éléphant ; nous avons une quinzaine de termes pour désigner l’éléphant, par exemple en fonction de son âge, de son sexe, de son caractère.
Une abeille pour nous n’est pas simplement une abeille. Là encore, nous avons plusieurs termes pour décrire son bourdonnement en fonction des différents moments de la journée.
Au gré des besoins et des saisons, nous chassons, pêchons, cueillons des plantes médicinales, du miel, des mangues sauvages, des amandes, des bananes et des tubercules.
Voilà, la biodiversité nous nourrit, nous soigne, nous accompagne dans nos rites traditionnels. Nous lui en sommes reconnaissants. En retour, nous contribuons à la dynamique de régénération naturelle, nous la protégeons. C’est dans notre culture. C’est du donnant donnant. Lorsque nous récoltons des ignames, nous en laissons toujours une part aux éléphants car nous savons qu’ils raffolent des racines des ignames.
Les choses ont changé. Nous sommes privés de notre forêt
L’organisation WWF a décidé avec les autorités de ce pays de créer une aire protégée sur nos terres et a recruté des gardes forestiers armés jusqu’aux dents. Il parait que c’est pour la conservation de la nature.
Nous n’avons pas été consultés. N’est-ce pas juste surréaliste ?
Nous ne comprenons pas ce concept d’aire protégée sur la terre de nos aïeux. Pourquoi ici ? En quoi nous faisons du mal à notre écosystème ? Que l’on nous explique donc cela.
Nous avons été expulsés de nos terres.
Les gardes forestiers nous narguent avec leurs imposants 4X4 estampillés WWF et leurs armes. Certains nous appellent en ricanant les « GPS de la forêt », mais nous ne savons pas ce qu’est un GPS ?
Nous avons toujours été les gardiens expérimentés de la forêt
Lorsque nous essayons d’accéder à nos sites sacrés, des gardes forestiers se comportent comme des « maitres et seigneurs » envers nous. Ils nous battent, nous humilient, nous torturent, au nom de leur mission, qui est de protéger, sécuriser la forêt coûte que coûte, clament-ils.
Ce projet fait de nous des étrangers et des intrus criminels sur la terre de nos aïeuls.
Nos droits humains, nos savoir-faire dans la gestion et l’utilisation durables de notre écosystème sont désormais bafoués au quotidien.
Des membres de notre communauté ont perdu la vie suite aux exactions des gardes forestiers.
Nous voyons des industriels détruire des hectares de forêt pour la plantation de palmiers à huile, ou pour exploiter le bois… Alors dites-nous, qui viole la biodiversité, l’écosystème ici ? Nous ?
Non, pas nous, nous avons toujours été les gardiens expérimentés de la forêt.
Nous ne chantons plus la biodiversité
Il y a toute notre vie, notre patrimoine culturel dans nos chants polyphoniques.
Nous chantons en cueillant, nous chantons pour les animaux, pour les plantes, nous chantons autour du feu le soir pour accompagner les contes, nous chantons pour accueillir un nouveau-né, bercer nos enfants, pour aider un malade à guérir ou pour adoucir la nouvelle route de nos morts…
Le bourdonnement des abeilles nous manque, il fait partie intégrante de nos chants comme les cris d’autres animaux.
Les gardes forestiers ont confisqué nos instruments à percussion. Nous n’avons plus notre tambour, l’enzeko, ni notre harpe, le geedale-bagongo, ni notre arc à une corde, le mbela. N’est-ce pas de la persécution tout ça ?
Nous n’avons plus envie de chanter, de danser. Qui peut vouloir chanter lorsqu’il est chassé de la terre de ses aïeuls, lorsqu’il est battu, torturé, affamé sans comprendre pourquoi ?
Laissez-nous retrouver notre forêt, notre douce et belle compagne de toujours
Nous sommes contraints de vivre désormais dans des huttes précaires en bordure des routes, loin de la forêt de nos aïeuls. Notre mode de vie est bouleversé. Nous avons désormais faim, le soleil nous brûle la peau, nous tombons malades, nous devons parfois mendier pour survivre, nous qui avons toujours vécu en autonomie, sans rien attendre de personne, sans rien demander à personne, à personne. Parce que la générosité de la forêt nous a toujours comblés.
Nous ne sommes pas des braconniers. Nous avons toujours proposé notre aide pour lutter contre le braconnage, mais comme nous sommes un peuple qui a toujours été méprisé, personne ne daigne nous écouter, nous entendre, s’appuyer sur notre savoir-faire.
Voilà une nouvelle année qui pointe son nez. Laissez-nous retrouver la forêt, notre douce et belle compagne de toujours. Laissez- nous juste vivre notre vie comme avant, avec les grands singes, les éléphants, les abeilles, avec nos chants polyphoniques.
Ça c’est notre vie, ça c’est ce qui nous rend heureux.
WWF nous a déjà fait beaucoup de promesses. Nous ne voyons toujours rien venir. Au nom de la protection de la nature, les droits humains ne doivent pas être bafoués.
Chassés de notre forêt, où sommes-nous supposés vivre, survivre ? Sommes-nous donc vraiment des « sous-hommes » voués à disparaître ?
Hommage au peuple Baka, hommage aux gardiens de la biodiversité, hommage à tous les peuples autochtones – au lendemain de la COP15 biodiversité (7-19 décembre 2022 à Montréal)