Tract – Léopold Sédar Senghor est mis à l’honneur dans la nouvelle exposition du musée du quai Branly, à Paris, qui revient à partir de mardi sur l’héritage laissé par le poète, intellectuel et homme politique sénégalais dans la vie culturelle de son pays.
De nombreux documents, photographies, tableaux, dessins ou autres œuvres d’art, pas exclusivement africaines, dévoilent ainsi au fil de « Senghor et les arts. Réinventer l’universel » la trace laissée par celui qui fut le premier président du Sénégal après son indépendance en 1960 et qui voulait revendiquer une place pour l’Afrique dans le monde.
Pionnier de la « négritude », il a défini ce concept culturel et politique comme un enracinement dans les valeurs et civilisations du monde noir. Pour Senghor, « l’art africain, c’est à la fois l’enracinement et l’ouverture », explique à l’AFP Mamadou Diouf, professeur d’études africaines et d’histoire à l’Université de Columbia à New York et commissaire de l’exposition. La confrontation entre les arts sénégalais et étrangers est en réalité pour lui l’occasion d’un mélange qu’il applique dans ses projets culturels.
Sous son mandat, qui a duré vingt ans, plus d’un quart du budget de l’État était dévolu à l’éducation, la formation et la culture.De quoi développer le « soft power » du pays. « Il ne s’agit pas seulement de défendre l’art nègre du passé », déclare Senghor en 1966, mais de montrer que l’art africain est « une source jaillissante qui ne tarit pas » et se situe au même niveau que l’art européen.
Dans les années 60, le peintre Iba N’Diaye initie ainsi les élèves de l’École des arts de Dakar aux Beaux-arts tels qu’ils sont enseignés en Europe.
À l’entrée de l’exposition, une énorme et colorée tapisserie de l’artiste Modou Niang témoigne du savoir-faire de la Manufacture nationale de tapisserie de Thiès, inaugurée par Senghor en 1966. « Il pense cette manufacture comme un lieu de réconciliation de différentes tendances », des techniques importées de France et de la culture traditionnelle, relève Sarah Ligner, également commissaire de l’exposition.
Se nourrir de l’Europe
Entre les archives et les œuvres exposées, quelques photographies montrent la troupe du Théâtre national Daniel Sorano, financée par l’État sénégalais, en pleine représentation de « Macbeth » de Shakespeare en 1968. Un an plus tard, cette même représentation avait lieu au théâtre de l’Odéon de Paris. « Senghor, ce qui lui importe, c’est d’être présent dans le temps du monde.Ce n’est pas créer quelque chose à côté mais placer l’Afrique dans le monde », souligne Mamadou Diouf.
Francophile et premier Africain à siéger à l’Académie française, Senghor reste attaché à la France, même après l’indépendance du Sénégal. Dans sa volonté de développer le panorama culturel de son pays, il ramène l’art européen au Sénégal dans les années 70, à travers des expositions des grands artistes de son siècle. Il invite par exemple Marc Chagall à exposer son œuvre au Musée dynamique de Dakar en 1971, et Pablo Picasso le fait un an plus tard.
En 1974, les tableaux de Pierre Soulages font l’objet d’une exposition inaugurée par l’artiste à Dakar.
Admirateur de son art abstrait, Senghor avait acquis en 1956 une de ses toiles, longtemps accrochée dans son bureau et présentée aujourd’hui dans l’exposition du quai Branly. « Et que cet art soit frère de l’art négro-africain, non par imitation mais par nature, nous ne serons pas les derniers à nous en réjouir », déclarait Senghor lors de l’inauguration de l’exposition Soulages. « C’est la recherche tout le temps de la multiplicité d’expressions qui définit selon Senghor la condition humaine », résume Mamadou Diouf.