Tract -A chaque fois qu’elle apprend qu’il y aune nouvelle grossesse dans son entourage, Véronique* a mal au cœur. La perspective de ne jamais avoir d’enfant taraude cette cadre d’une grande banque dakaroise qui approche la quarantaine. Comme toutes les femmes qui ont accepté de témoigner – leurs maris ont refusé de parler –, elle a demandé l’anonymat. « Pour d’autres, je suis un ventre vide, une femme incomplète », souffle-t-elle, attablée dans un bar huppé de la capitale sénégalaise.
Pourtant, les médecins sont formels : ni elle ni son mari n’ont la moindre pathologie. L’infertilité du couple reste inexpliquée. Suivie par un spécialiste de la procréation médicalement assistée, Véronique a tenté pour la première fois, en 2017, de passer par la fécondation in vitro (FIV). « J’ai fait une hyperstimulation ovarienne. Mon bas-ventre me faisait très mal et j’avais des bouffées de chaleur. Un calvaire », se souvient-elle. Trois embryons viables ont été obtenus et un premier transfert réalisé en quinze minutes à la clinique. Sans succès. Même échec pour la deuxième tentative.
Lancé dans un périple aussi éprouvant que coûteux, le cadre, toujours marié, a déjà dépensé plus de 7 620 euros en actes médicaux. Au Sénégal, comme dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, la procréation médicalement assistée (PMA) n’est prise en charge ni par l’État ni par les assurances. C’est donc un sacrifice financier que s’infligent de nombreuses femmes qui risquent leur respectabilité en devenant mère.
« Pas de place pour l’écoute »
Cet enfant qui n’arrive pas, Fatimata l’attend depuis sept ans. La PMA tentée en 2022 se solda par un échec et la plongea dans une dépression. Depuis près d’un mois, la trentenaire, dont les trompes de Fallope (canaux qui relient les ovaires à l’utérus) sont obstruées, avait adhéré à un protocole strict. Injections tous les soirs à 20h. pendant vingt à vingt-quatre jours qu’elle a pratiqué elle-même et un traitement médicamenteux lourd. Ensuite, la ponction des ovocytes, le transfert des embryons dans l’utérus, les échographies de contrôle… « Mon mari a refusé d’en parler. Dans ma belle-famille où j’habite, j’avais honte de dire qu’ils m’aidaient à avoir un enfant. Il n’y a pas de place pour cette écoute », regrette cette secrétaire qui se dit toujours prête à retenter sa chance.
Longtemps perçue comme une technique accessible uniquement hors du continent, la procréation assistée a désormais ses praticiens africains. Ils affichent des résultats équivalents à ceux de leurs confrères, autour de 30% de naissances vivantes, selon les cliniques qui le pratiquent. Formés en France, ils sont une poignée à pratiquer à Dakar, comme Rokhaya Ba Thiam, l’un des pionniers au Sénégal. Après des études en France, elle ouvre son cabinet de gynécologie en 2003 dans un quartier résidentiel de la capitale.
Djibril, le premier bébé qu’elle a aidé à accoucher par FIV, est né en 2006. Il ne connaît pas les conditions de sa conception. Ses parents les lui cachent pour le protéger. La PMA soulève encore beaucoup de questions ici » explique le médecin aux mèches grises. « Un jour, après avoir accouché d’un bébé né par procréation assistée, la grand-mère de la salle d’attente m’a demandé si son petit-fils était né avec les deux bras et les deux jambes. Elle avait peur qu’il ne soit pas normal. »
Ndèye Fatou a également fait le choix de garder secrète la PMA qui a fait d’elle une mère. Cette comptable est tombée enceinte à 36 ans, malgré des trompes de Fallope bloquées, conséquence d’une infection vaginale non traitée et de multiples polypes utérins. « Notre société n’est pas prête à accepter ces enfants conçus avec l’aide de la science. Se taire, c’est aussi protéger ma fille du regard de la société », justifie-t-elle, son bébé de 3 mois sur les genoux.
« Trahison et soulagement »
L’innovation médicale se heurte parfois aux Sénégalais les plus traditionnels. Véronique, catholique fervente, consulte son curé avant de se décider. Il l’a fortement dissuadée de se lancer dans l’entreprise. « Il m’a dit de ne pas le faire parce que l’Église n’est pas d’accord. Il m’a exhorté à compter sur Dieu pour avoir un enfant de manière naturelle. Son avis m’a beaucoup touchée, mais j’ai quand même sauté le pas », confie-t-elle.
Cette diplômée en finance, qui vit dans un quartier huppé, apprend alors que son mari a conçu un enfant avec une autre femme, se justifiant par la pression que sa famille a exercée sur lui. Véronique encaisse, le couple tient bon. « J’ai vécu cela à la fois comme une trahison et comme un soulagement », raconte-t-elle au journal Le Monde. Il a enfin eu l’enfant qu’il attendait. Mais moi, j’étais désormais seule dans ce combat. »
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