Tract – Ce mardi 2 mai, l’institut français de Dakar accueillait une belle rencontre littéraire : les deux plus grands espoirs de la littérature sénégalaise (et même africaine) étaient sur l’estrade, sous le baobab centenaire qui se trouve devant le théâtre de verdure de l’ex-CCF.
Le prix Goncourt Mbougar Sarr était dans le rôle de l’intervieweur et l’écrivain Elgas, récemment auteur des « Bons Ressentiments : essai sur le malaise décolonial » était interrogé pour parler de ce qu’il a voulu (dé)montrer dans ce livre à contre-courant de la doxa dominante des décolonialités. Auparavant, le directeur des éditions Saraaba (Groupe Editis) et de la librairie « Plumes du Monde », Souleymane Gueye, a introduit la session qui se tenait donc en plein air, en retraçant le parcours bibliographique de ce qui commence à ressembler à une œuvre pour Elgas : l’inaugural récit » Un dieu et des moeurs » (Éditions Présence Africaine), le roman « Mâle Noir » (Éditions Ovadia), la biographie « Falilou Diop, un juste » (Éditions Vives Voix), « Inventaire des idoles, le Sénégal de profil (co-édition en Sedar et Ovadia), et depuis le 02 mars dernier en librairie, cet essai, que je nomme « Les Bons Ressentiments », en abrégé.
Il se trouve que les trois mousquetaires Elgas, Mbougar et Souleymane Gueye sont amis dans la vie et se connaissent depuis le début de leurs années d’étudiants en France. Les deux premiers continuent d’y faire leur vie et de faire œuvre littéraire, le troisième est un repat, rentré au Sénégal, devenu éditeur. Aussi, le vouvoiement convenu a vite cédé la place au tutoiement convivial.
Mbougar a d’abord lu le passage très personnel de l’essai d’Elgas, paragraphe d’ailleurs titré « note personnelle » : Elgas y dit qu’il n’a pas de détestation pour la France, ni une attitude masochiste envers ce pays, où il déjà vécu la moitié de sa vie, et dont il appris à apprécier les paysages et la vie culturelle. Il ne crachera pas sur le visage de Marianne et ne prendra pas la posture un peu trop commode de la logique de détestation par principe. Cet essai vient de loin donc et ramasse les questionnements d’Elgas depuis plusieurs années, auxquelles il apporte des réponses.
Qu’en en ai je retenu ?
1) Pourquoi ne parlons-nous pas d’aliénation quand nous Sénégalais agissons comme des Arabes, du fait que nous sommes musulmans (en majorité), islam qui a aussi été une conquête des esprits (et des coeurs) ?
2) Un Toubab qui parle Wolof est qualifié chaleureusement de personne à l’esprit ouvert. Un Africain qui roule les « r » et excelle dans le maniement du français est traité de victime d’aliénation. Deux poids, deux mesures?
3) Elgas révèle qu’il n’a jamais été invité par les autorités sénégalaises. C’est toujours la France qui l’invite, comme ici à Dakar, mais également avant cela : à Brazzaville, à Casablanca, pour parler de ses livres dans les instituts français. Elgas prendra la parole dans les instituts culturels de la France officielle, mais il se donne la liberté de les y fustiger aussi. Au total, il ne veut être ni l’égérie de la France, ni le porte-voix du Sénégal officiel.
4) Selon Elgas, Cheikh Anta Diop a symboliquement gagné contre Léopold Senghor par « victoire par KO ». Qui se réclame encore de Senghor ? Personne, selon Elgas. Je suis tenté de lui rétorquer que si : il y a bien les frères ennemis octogénaires Moustapha Niasse et Abdou Diouf. Et j’ajouterai aussi que si Cheikh Anta est révéré, ses livres ne sont pas pour autant lus par le Sénégalais moyen.
5) Elgas grandi à Ziguinchor, n’y a pas pris la dimension de la colonisation, qui résidait peut-être seulement dans les vieux bâtiments coloniaux. A Ziguinchor, il était un Noir parmi les Noirs Il est arrivé en France en 2005, pendant les émeutes dans les banlieues, période de grande remise en question du rapport de la République française à ses citoyens basanés. Là, Elgas a découvert son altérité dans une société blanche. Et il a commencé à écrire, à beaucoup écrire, dans un blog aujourd’hui fermé (ou auquel lui seul a désormais accès, ce qui est du pareil au même).
Le public venu écouter Elgas cuisiné amicalement par Mbougar était cosmopolite, avec une belle diversités des « races ». Dans l’assistance, des visages connus comme le philosophe El Hadj Kassé, ministre conseiller en charge de la Culture au Palais de la République, les journalistes Aboubacar Demba Cissokho (APS), Malick Rocky Bâ (AFP), Abdoulaye Cissé (TFM), le mécène saint-louisien Amadou Diaw (ex-propriétaire de la business school ISM), le cinéaste Ousmane William Mbaye….
Commencée à 18h, la rencontre littéraire s’est terminée bien apres 20h, par un cocktail dont Mbougar et Elgas ont été privés : occupés qu’ils étaient à dédicacer leurs livres aux fans venus avec leur exemplaire ou qui les avaient achetés sur place, à l’étal mis en place par la librairie Plumes du Monde.
Je donne seulement ici quelques touches impressionnistes sur le dernier essai d’Elgas : pour savoir ce que j’ai pensé du livre, je vous renvoie à ma note de lecture, publiée le 3 mars dernier, sous le titre : « Le dernier Elgas» ? Éloge fourré du sado-masochisme anti-décolonial, publié par le journal Le Quotidien et mon site d’info Tract.
Elgas est reparti pour Paris, ce mercredi 3 mai, après ce qui aura été un séjour trop court. Il aura eu le temps de participer à deux émissions TV, avec i-TV et avec Abdoulaye Cissé de la TFM
Ousseynou Nar Gueye
Fondateur de Tract (Tract.sn) – Communicant