[Interview] Blaise Pascal Andzongo (Médias – UNESCO): “L’esprit critique reste la meilleure arme”

Tract – Entretien avec Blaise Pascal Andzongo, le nouveau représentant Afrique auprès du Comité directeur international de l’Alliance pour l’éducation aux médias et à l’information de l’UNESCO.

Bonjour monsieur Blaise Pascal Andzongo. En quelques mots, présentez-vous.

Je suis consultant et formateur des formateurs en éducation aux médias et à l’information. J’ai participé à l’initiation de plusieurs organisations de jeunesse de plusieurs pays à l’éducation aux médias et à l’information (EMI). Je viens d’être élu représentant Afrique de l’Alliance de l’UNESCO pour l’EMI et je suis également membre du Conseil d’Administration de l’International Association for Media Education (IAME). Je mène actuellement mes études doctorales de psychologie de la communication sur la question de la désinformation en ligne.

Qu’est-ce que l’éducation aux médias ?

S’il faut définir tout simplement l’éducation média et à l’information (EMI) on pourrait dire que c’est une sorte d’éducation qui vise à développer l’esprit critique des consommateurs et producteurs de contenus provenant de tous types de médias et technologies.

L’éducation aux médias à l’information offre à chaque individu et des possibilités d’exercer son esprit critique afin qu’il comprenne le rôle des médias dans la société leurs influences ainsi que ses propres consommations et ses propres productions. L’EMI apparaît ainsi comme une alternative qui permet d’exploiter sereinement toutes les richesses du numérique.

Actuellement, quelle est la plus grande préoccupation dans le domaine de l’éducation aux médias ?

Les préoccupations actuelles de l’éducation médias sont nombreuses tant les problématiques qui naissent de l’usage du numérique sont croissantes. Il y a des problématiques liées à la désinformation, aux discours de haine à la dépendance à internet, à la gestion des écrans, à l’intelligence artificielle et même les problèmes de sécurité numérique, identité numérique et communication via les médias… mais s’il faut choisir parmi les plus importantes, on peut considérer que la manipulation de l’information avec tous les noms qui lui sont associés (désinformation, fake news, mésinformation, infox…) est la plus grande préoccupation de l’EMI

L’EMI s’intéresse aussi de très près les questions liées au développement de l’intelligence artificielle qui accentuent la manipulation des informations avec des images et vidéos hyperréalistes qu’elles peuvent générer avec une grande facilité et qui pourraient avoir un impact négatif sur la vie sociétale.

Comment évaluez-vous l’accès aux médias de nos jours ?

De façon globale, les médias deviennent de plus en plus accessibles. Avec les innovations technologiques, on peut avoir une concentration des médias dans nos smartphones qui sont de plus en plus facile d’accès. A travers un smartphone et une connexion internet, on a accès à la télévision, la publicité, les magazines et toutes les plateformes qui étaient autrefois isolées. Les réseaux sociaux sont de plus en plus faciles d’accès, car certains fonctionnent sans connexion internet.

Il faut toutefois noter que l’accès aux médias est aussi dépendant du niveau de vie d’un individu et du niveau de développement d’une localité. Il est donc possible de trouver des zones dans lesquelles l’absence d’électricité ou d’internet ne permettent pas d’avoir accès aux médias désirés. Malheureusement c’est en Afrique qu’on rencontre encore cette grosse fracture.

Pourquoi sensibiliser les jeunes générations à une approche critique des médias est un enjeu majeur aujourd’hui ?

Il faut comprendre que la multiplicité des canaux de diffusion de contenus ne permet plus de garantir l’accès à une information de qualité. En fait, de nombreux autres producteurs ont très vite pris le pas sur les véritables professionnels de l’information. On a par exemple les influenceurs, les lanceurs d’alertes, les bloggeurs… qui ne sont pas toujours capables de produire des informations crédibles et vérifiables. Pourtant, nous savons le rôle que joue l’information dans une société démocratique et pour la prise de décision. Les jeunes doivent très vite avoir cette distance par rapport à médias dans lesquels ils sont baignés ainsi que des informations qu’ils consomment où qu’ils produisent. Il est important qu’ils comprennent très tôt les enjeux politiques, économiques et géostratégiques des médias et surtout des plateformes numériques pour ne pas finalement être leurs produits. Ils doivent être armés contre la manipulation et la propagande qui y sont véhiculées et proposer des alternatives pour réduire les tensions exacerbées par les médias. Ce n’est qu’à ce prix qu’on peut espérer avoir une jeunesse, consciente, active et participant activement aux défis démocratiques.

Le numérique a profondément modifié le paysage médiatique et l’accès à l’information. La multiplication des canaux et leur profusion créent une « fatigue informationnelle », la radicalisation et les théories du complot. Comment faire face aujourd’hui à ces problèmes ?

Comme je l’ai dit au début, avoir la maîtrise du média et des informations est la clé pour dompter tous les problèmes qui proviennent de l’environnement médiatique. Mais il est important de reconnaitre que la pollution informationnelle dont nous faisons face aujourd’hui sature notre cerveau et ne nous donne toujours pas la possibilité de prendre des décisions éclairées.  Pour cela, des solutions peuvent être prises au niveau global, national et individuel.

Au niveau global, les Etats et les plateformes numériques doivent réguler les contenus digitaux en proposant une législation forte qui persuaderait les personnes malveillantes. Les plateformes doivent prendre conscience de leur rôle dans la protection des utilisateurs.

Au niveau national, les programmes éducatifs doivent être enrichis par des modules d’EMI. Il faut préciser que j’ai participé avec l’UNESCO à la production des curricula d’EMI pour les enseignants et les apprenants. Ces curricula pourraient être introduits dans les programmes scolaires dès le bas âge

Au niveau individuel, il est important de prendre du recul face aux médias et aux contenus qu’ils nous déversent. L’esprit critique reste la meilleure arme pour ne pas tomber dans le piège.

Vous êtes depuis peu le représentant Afrique auprès du Comité directeur international de l’Alliance pour l’éducation aux médias et à l’information de l’UNESCO : pouvez-vous nous expliquer quel sera précisément votre rôle au sein de ce comité ?

Pour comprendre mon rôle comme représentant Afrique de l’Alliance de l’UNESCO pour l’EMI, il faut d’abord connaître que l’UNESCO a contribué depuis environ 40 ans à l’émergence et la définition des contours de l’éducation aux médias et à l’information. Actuellement, l’UNESCO à produit de nombreux documents pour les gouvernements et les formateurs pour faciliter la mise en place de l’EMI.

L’alliance de l’UNESCO pour l’EMI est un regroupement de spécialistes et d’organisations exerçant en EMI qui pensent au développement de cette discipline. Il faudra donc voir que chaque représentant a pour premier rôle de promouvoir l’EMI dans sa zone en mettant sur la table de discussion les différents acteurs qu’ils soient étatiques ou de la société civile.

L’Afrique est parmi les dernières en matière d’implémentation de l’EMI tant au niveau des états qu’au niveau des programmes éducatifs. On devra donc inciter les gouvernements à donner une priorité à ce domaine. L’incitation peut commencer tout simplement par la célébration dans chaque pays, du 24 au 31 octobre de chaque année de la semaine mondiale de l’EMI. Par la suite, la décision de former des professionnels du domaine et de le financer. Nous avons aussi pour mission de mobiliser toute la société civile ainsi que les organisations de jeunesse pour qu’elles intègrent l’EMI dans leurs plans d’actions.

Qu’attendez-vous du futur des politiques et des pratiques dans le domaine de l’éducation aux médias en Afrique?

La plus grande attente, et ce pour quoi nous bataillons au quotidien est de voir l’éducation aux médias et à l’information être prise en compte dans les programmes éducatifs, qu’ils soient formels, informels ou non formels. Il faut une vision globale de l’avenir de nos sociétés numérisées, il faut penser maintenant ce que nous voulons que les jeunes de plus en plus connectés deviennent demain. Pour cela, il faut des politiques publiques spécifiques au domaine du numérique et des médias et que le monde éducatif s’empare de la question pour l’introduire dès le plus bas âge.

Baltazar Atangana

Correspondant Cameroun

noahatango@yahoo.ca