Tract – Par Abdou Khadre Gaye : « La politique en soi n’est pas une bêtise, bien que les deux aillent souvent de pair, peut-être à cause du choc des ambitions, de la manipulation, du mensonge et du militantisme aveugle. Peut-être à cause des déceptions, du stress et de la fatigue militante. Je parle de la petite bêtise qui, même si elle peut faire mal, ne dure pas longtemps ; je veux dire la bêtise exceptionnelle qui naît de la passion débridée et du désir de vaincre contre le temps qui pèse et soupèse le monde des humains ; la bêtise qui fait sourire, même l’adversaire le plus virulent, parce qu’humaine. Mais, quand elle s’enracine, la bêtise, et boutonne et porte des fruits. Quand elle devient diabolique, empoisonne les esprits et les cœurs, et constitue une menace pour la communauté, il faut mettre le holà. Et c’est le cas de Sonko, me semble-t-il.
La généalogie de la bêtise sonkienne
Je n’irai pas très loin dans le temps, je me limiterai à ceux-là pour qui Wade, dans sa grande générosité, a ouvert les portes du palais, parce qu’il oubliait, le patriarche, que le pouvoir n’est pas fait pour toutes les âmes. Il y en a qu’il faut tenir en bas des cimes. Car, ils sont tout à fait « hors du commun » et, loin de les ennoblir, la proximité avec le pouvoir révèle au monde leur puanteur. Et eux, imperturbables, de se lancer dans les autoroutes de la sottise, et d’affaiblir, sans le savoir, leur bienfaiteur, et de ruiner son piédestal. Progressivement, leur exemple aidant, la crétinerie est devenue la clé qui ouvre le plus surement les portes de la carrière politique : plus on ose, mieux on est servi. Ensuite, avec internet, elle s’est démocratisée et est devenue le sésame de tous les succès dans notre pays. Ainsi, pour devenir des stars, certaines de nos sœurs ou filles ont osé des postures rejetées par notre culture, certains parmi nos frères ou fils ont tenu des propos que n’osaient pas les langues les plus vulgaires de l’époque de nos pères. Et, de la dénonciation citoyenne, on est tombé dans la dénonciation calomnieuse, qui transforme notre espace politique en véritable arène où l’ambition et l’efficacité chassent la morale et la décence. On cherche des boucs émissaires. On cultive l’insolence. Personne pour plaindre ce peuple en errance. Personne pour endosser le fardeau. Chacun accuse tout le monde sauf soi-même. J’ai entendu un jeune garçon parler ainsi, qui semble avoir compris l’air du temps : « Vous recherchez le succès, alors devenez fou, embrassez la bêtise, sinon contentez-vous de l’échec. » Et tout le monde de courir le buzz : « Qui ou bien quoi dénoncer pour faire bêler le troupeau ? Que faire ou dire que personne n’ait jamais osé penser ? »
Ousmane Sonko : précurseur du « gatsa-gatsa »
C’est dans ce contexte de déliquescence morale que notre bonhomme s’est positionné en tant que chef de file de la contestation populaire et prophète du fameux «gatsa-gatsa » (ta gueule). Un slogan politique, inimaginable il y a peu d’années, jeté comme du poivre dans une arène déjà chaude. Mais, il n’y avait pas que cela. Le mouvement associatif avait perdu son emprise dans les quartiers, la lutte et les autres loisirs de masse avaient perdu leurs atours, l’émigration clandestine battait son plein, la foi en nos valeurs de société battait de l’aile et le président Macky avait créé un vide politique énorme avec l’exil de Karim et l’emprisonnement de Khalifa : c’est son fameux projet de réduction de l’opposition à sa plus simple expression. La nature ayant horreur du vide, c’est dans ce boulevard que Sonko s’est engouffré pour dérouler son théâtre. Mais il n’était pas préparé à la tâche. Et, à cause de son inculture et de sa maladresse presque infantile, et comme en confirmation du proverbe wolof de la personne mal éduquée qui perd tout ce qu’elle gagne au profit de celle bien éduquée, la chance s’échappait chaque jour un peu plus de ses mains inexpertes. Il faut le dire : avec lui, le bavardage, la calomnie et la vantardise sont devenus la règle de bonne conduite politique et l’imbroglio du populisme tel qu’il entraîne une confusion totale, un véritable retour au chaos primitif : on n’est plus dans la dérive des valeurs ou dans la perte des repères, mais dans un parfait basculement où quand on crie « yewwi askan wi » (libérer le peuple) il faut entendre « yeew askan wi » (enchaîner le peuple)1, quand on dit « patriotisme » il faut entendre « partisanerie », lorsqu’on jure la main sur le cœur c’est qu’on a menti, lorsqu’on déclare « ne le huait pas ! » cela signifie « lynchait le ! » Et j’ai envie de crier : « Mettons un terme au mensonge envahissant …! Arrêtons cette ‘‘pluie d’insanités sur notre pays’’2 … ! »
L’ivresse du pouvoir avant le trône ou la griserie prématurée
Et notre personnage, qui est son propre projet, à ce qu’il semble, enivré certainement par son succès auprès de la jeunesse et de la presse (les applaudissements, les microphones, les flashs des photographes et la lumière des caméras, aurait dit Elijah Muhammad), de confondre Macky Sall, le président de la République et l’État du Sénégal, et de tirer sur tout ce qui bouge : la magistrature, les forces de défense et de sécurité, les marabouts et dignitaires… Il n’épargne personne, dans sa cruauté, pas même « ses amis » de l’opposition, et, de ce fait, scie lui-même la branche sur laquelle il est assis, comme le lui aurait déconseillé le président Abdou Diouf. J’ai surpris ce rire dans un car de transport en commun : « Il voulait en découdre avec Macky, Mame Mbaye l’a corrigé… » Et les répliques de fuser, mêlées de ricanements : « – On dit que l’attaque contre ce dernier était une tentative de diversion de sa part… – Belle bêtise, en tout cas, pour une diversion… – Et lui de s’en prendre à Barth, son meilleur allié et défenseur, semblable à un aveugle en colère contre sa béquille… – Mais, dites : est-ce qu’il ne serait pas sous l’aveuglement de l’éclat du soleil de ses rêves… ? » Bref, laissons-lui son plein panier à bêtises, et résumons sa pensée : « Je suis l’opposition : toute opposition qui n’est pas avec moi est traîtresse, toute personne qui se dit neutre est un comploteur, quiconque parle avec mon ennemie (c’est-à-dire le pouvoir que je combats) devient mon ennemie. Je suis le peuple. Je suis l’avenir. Je suis le projet. Mourez pour que je vive… » En vérité, ce n’est plus de l’ivresse, c’est de la pure folie. Ou peut-être de la démence. Qui sait ?
Et la lune vaniteuse de menacer le soleil d’extinction
Tout au début de l’alternance de 2000, j’ai suivi Idrissa Seck, alors tout-puissant lieutenant de Wade, dans une émission de la Radiodiffusion télévision sénégalaise (RTS) où il comparait son mentor au soleil distributeur de lumière, et lui-même à la lune. Lorsque l’astre du jour se couche, disait-il, tout en manipulant son ordinateur portable, c’est l’astre du soir qui donne de la lumière. En ce moment-là, expliquait-il, en gonflant la poitrine, celui qui veut être éclairé doit s’adresser à moi, le délégataire. L’image m’avait quelque peu choquée, à l’époque, et m’avait révélé l’homme, et la grande vanité de son cœur. Et déjà, je voyais l’extinction de ce pauvre soleil et sa malheureuse lune. Mais aujourd’hui à voir Sonko toiser et menacer tout le monde et cracher sur les institutions de la République, je le plains, et je trouve Idy dans sa folie d’alors plus raisonnable. Hélas, le jeune prodige libéral a fini par oublier que la lune n’éclaire qu’autant qu’elle est éclairée et que l’extinction du soleil signe sa propre mort. De même, Sonko oublie qu’un soleil qui ne s’est pas encore levé ne menace pas le monde d’obscurité, mais s’occupe de naître d’abord. Il ignore que la lampe, une fois allumée, ne choisit pas le coin de la chambre à éclairer. Elle éclaire tout simplement. Car c’est cela sa destinée. Il ignore, ndeysaan, que la ruine des institutions, c’est la ruine de tout ce que nous sommes. Et que le pouvoir appartient à Dieu, exclusivement. Il le confie à qui il veut, quand il veut, et le reprend quand il veut. En démocratie, on dit, le pouvoir appartient au peuple… Or, le peuple, ce n’est pas la foule, le peuple ce n’est pas les militants ni aucun groupe ou sous-groupe. Le peuple c’est comme un arbre riche de sa diversité, avec ses racines, son tronc et ses branches qui collaborent en vue du fruit et des graines porteuses d’avenir. Mais, si tu divises l’arbre en ses parties, il meurt, dit le sage. Hélas, beaucoup de personnes ne le savent pas.
Forte propension à la délation et peur panique du tribunal
Pour finir, je vous avouerai que je ne comprends pas encore tout à fait chez Sonko sa propension à la délation, son amour des frasques et son arrogance, je ne comprends surtout pas sa pyromanie et sa peur panique du tribunal, qui ressemble bien à de la lâcheté, lorsqu’il se sert de la jeunesse comme d’un bouclier. Car un bon leader politique, imbu de patriotisme, ne jette pas aussi facilement ses partisans (presque des enfants) en pâture, il ne doit pas fuir devant les épreuves, même s’il a peur, il ne doit pas craindre outre mesure la prison, même s’il la juge injuste. Car (et les intelligents le savent) il arrive que la geôle soit aussi rayonnante qu’un temple et balise la route de la victoire. Il arrive que les revers soient des bénédictions… Bref, je ne comprends pas trop, je l’avoue, mais je devine que tout ce tintamarre finira dans la poubelle de l’histoire, comme toutes les glorioles et les autres vacarmes inutiles ».
ABDOU KHADRE GAYE
Écrivain, président de l’EMAD (Entente des Mouvements et Associations de Dakar, devenu Entente des Mouvements et Associations de Développement) et directeur de publication du journal d’information historique Infos Penc.
- Voir ma critique citoyenne « Yewwi askan wi ou yeww askan wi ? »
- Voir ma contribution « Alerte rouge : pluie d’insanités sur notre pays »