ÉDITO, ET DIT TÔT – Ce vendredi 16 juin, plusieurs sites d’info sénégalais, dont le mien Tract, relaient l’information selon laquelle une startup sénégalaise (marketcarrefour.com) se fait « intimider » par le géant de la distribution qu’est la multinationale française Carrefour.
Mon avis de juriste en propriété intellectuelle est clair : le groupe français Carrefour est dans ses droits et sera rétabli dans sa propriété pleine et entière, y compris sur le nom de domaine marketcarrefour.com, dans les jours et semaines et venir, par la WIPO (World Intellectual Property Organization) qu’il a saisi.
Je dois d’abord dire d’où je parle: je suis titulaire d’un certificat en contentieux de la propriété intellectuelle, conjointement décerné en 2003 par le Centre de Formation Judiciaire de Dakar et l’nternational Development Law organization de Rome. En 2006, j’ai conseillé le PPIP (Projet de Promotion des Investissements Privés) dirigé par le défunt Mabousso Thiam et financé par la Banque Mondiale, dans son volet ayant trait à la mise en place d’un nouvelle loi sur le droit d’auteur et les droits voisins, laquelle sera finalement votée en janvier 2008, et l’ai accompagné dans les choix stratégiques de la rédaction de la loi en question. Mais cela est une autre histoire.
En peu de mots, pour en revenir au géant français Carrefour, il s’agit de ce qu’on appelle une marque notoire. Mondialement connue. Comme Coca Cola, Nike ou Nescafé. Ces marques n’ont pas besoin de prendre des mesures de protection pour être protégés sur toute la planète. Leur notoriété y suffit. En plus de sa marque Carrefour, le groupe français possède les enseignes Carrefour Market, au nombre de 1020 dans toute la France. Si aux balbutiements des rapports de l’Internet avec la propriété intellectuelle en 1999-2000, un privé, que nous nommerons pudiquement de son pseudonyme Paul Stewart, a pu au Sénégal acheter le nom de domaine Sonatel.com pour le revendre ensuite à la Sonatel, de tels cas ne sont plus possible depuis belle lurette. La jurisprudence constante de la WIPO-OMPI est de rétablir dans leurs droits les marques et noms commerciaux (enseignes) dont les noms de domaines se font acheter par des tiers. En clair, la startup sénégalaise marketcarrefour.com va perdre cette bataille. J’y compatis, mais dura lex, sed lex.
La vraie bataille, pour nos pays, c’est de créer et batîr patiemment leurs propres marques. Gage de valeur ajoutée qui permet de pratiquer des prix élevés, avec la satisfaction du client qui fait preuve de son consentement à payer, convaincu qu’il est du très bon rapport qualité – prix offert par le produit ou service. Comme le font déjà des marques sénégalaises comme Mathidy, Seraka(Selly Raky Kane), Paps, Chargel, ou encore Logidoo; ces dernières étant bien des startups. La propriété intellectuelle est un actif de premier plan pour toute aventure entrepreneuriale. Que cela soit dit. Et répété partout où de besoin. Vous aurez beau prénommer votre fille du très beau prénom sénégalais et wolof Dior, vous je pourrez jamais déposer le nom de domaine Dior.com. Et même pas Dior.sn, qui restent toutes propriété de la marque de luxe française, qu’elles les déposent ou non. Toutes les nombreuses usurpations de marques et plagiats de noms commerciaux qui existent sous nos latitudes sont juste tolérés parce que les multinationales ont d’autres chats à fouetter ailleurs ou parce qu’ils ne sont pas présents sur nos étroits marchés tropicaux. Eh bien, ça suffit : comme disait l’autre, « la tolérance, il y a des maisons pour ça! ». En 2006 déjà, sur un autre registre que les noms de domaine, anticipant sur l’arrivée de la marque téléphonique Orange, le fabricant de matelas Reflex (Plastiques et Élastomères du Sénégal) avait inondé la capitale sénégalaise de panneaux de 12 mètres carrés représentant son matelas dont la marque était Orange : les matelas avaient néanmoins dû faire place nette, sans être dédommagés, quand la marque téléphonique Orange est arrivée.
Ousseynou Nar Gueye
Fondateur de Tract
(Tract.sn)
Ousseynou Nar Gueye