Tract – Moustapha Guirassy est attachant, dans son texte Une République sans cœur, d’ouvrir au grand public son monologue face à ce qui peut, parfois, se ressentir au Sénégal comme une dévitalisation généralisée du vivre-ensemble ou du bien-vivre. Je n’achèterai pas son titre pour autant, tout comme l’acronyme de son parti S.E.T (Sénégal En Tête) que vient contredire son texte. Dommage que Le Sénégal au cœur soit déjà pris. Ah, l’ogre Macky, alpha et oméga désigné des splendeurs et misères du Sénégal ! Je me demande bien ce que va devenir ce beau pays sans lui ? Peut-être bien qu’un nouveau bouc émissaire idéal est déjà en route pour soulager les méchants étrangers qui bloquent notre émergence.
Après cette petite taquinerie, je dois dire un truc que je dis rarement sans preuve : Guirassy est un chic type. Il y a quelques années, je l’avais côtoyé (nous avions déjeuné ensuite) à une conférence à l’UNESCO où il faisait partie des têtes d’affiche d’un colloque intitulé « Jeunesse et développement en Afrique ». Il avait assuré et nous avait rempli de cette fierté débile, contagieuse, grégaire et souvent éphémère que ressentent les Africains lorsqu’un des leurs brille devant des Européens. Ce n’est pas très fin, j’avoue.
Plus récemment, à Dakar, il était en voiture et s’était arrêté pour nous saluer, alors que je discutais avec mon ami Amadou Bâ (pas le Premier Ministre, l’autre) au bord de la route. C’est un type sympa, je le pense, et sa généreuse introspection du 16 août dernier ne me donne pas tort. Vous en savez sûrement plus que moi sur le jeune ministre qu’il fut sous Wade, sur l’emblématique patron de l’Institut Africain de Management et sur, paraît-il, le fils à papa. Pour finir ce petit « portrait latent » (T’as pas la réf papa, comme dirait mon fils), qui a oublié son incroyable sortie de mars 2020, alors qu’il venait de choper la Covid-19 dans un pays où la maladie demeure largement un tabou, voire une honte ? C’est un authentique empathe, je vous dis ! En cela, j’ai, probablement, quelques atomes crochus avec lui.
Le moi n’est pas toujours haïssable. L’Autobiographie, le Solipsisme et l’Ontologie devraient, au moins, atteindre les prétentions scientifiques de l’Économie. On ne dit rien d’essentiel quand on ne parle pas, d’abord, de soi ou à soi. « Wakhou diambour dou wakh » (Thio Mbaye, philosophe). C’est l’option de tous les penseurs que j’apprécie depuis assez longtemps maintenant : Épicure (traces de ses Lettres et ses Maximes capitales), Marc Aurèle (Pensées pour moi-même), Montaigne (ses Essais) Rousseau (ses Confessions et tout le reste d’ailleurs;)…Stirner (L’Unique et sa propriété), Hugo (Les Contemplations, grandiose autobiographie en vers) et Nietzsche, évidemment, qui porta la généalogie en philo à des sommets bousculant l’hégémonie du podium monothéiste… Tous sont, généralement, très « durs avec eux-mêmes et doux avec les autres » (Jean d’Ormesson, penseur préféré de Nabila). Boris Cyrulnik écrira également que toute vision du monde est un aveu autobiographique. Assez de confiture !
Bien après Blaise Pascal et Alioune Mbaye Nder & le Setsima Groupe, nous voici, de nouveau, devant les sempiternelles fourberies du cœur tombeur de la raison. Plus sérieusement, je crois que les consciences fortes finissent toujours par payer cher leur complaisance, leur indifférence ou leur imprudence. Depuis l’an 2000, par paresse, par lâcheté, par égoïsme, par cupidité, par hypocrisie, par opportunisme, par ignorance ou par fanatisme, nous avons, trop souvent, cédé aux injonctions des faibles vitalités, trop nombreuses chez certains de nos fonctionnaires aussi carriéristes qu’oisifs et incompétents, nos religieux, nos politiciens, nos rentiers, nos intellectuels, nos activistes… Les titres pompeux (DG, SG, Prési, Docteur, Excellence, Honorable, Serigne, Oustaz, Maître, Professeur, Coordonnateur…), la course à la propriété et à la rente, la pantomime des gueux parvenus, la connerie hégémonique des audacieux et fringants « boys town » ont réduits au silence les appétences intellectuelles qui oxygénaient la République senghorienne.
Aujourd’hui, le pays est mortellement morose pour trois groupes d’individus : Les partisans authentiques de Macky Sall, les contempteurs de Macky Sall et les citoyens potentiellement conscients de la situation politique, géopolitique, économique, sociale et environnementale du Sénégal. Les premiers se sentent ostracisés, trahis, oubliés et lésés dans tous les sens du terme à la veille du départ de leur mentor. Les deuxièmes, grisés par l’illusion d’un Etat définitivement à la renverse sous l’effet inédit des insurrections de mars 2021, ont cru pouvoir en finir avec ce qu’ils nomment fumeusement « le système ». Les derniers forment un archipel peuplé d’irrésolus de tout acabit dont il serait fastidieux de détailler les nuances. Ces trois faisceaux de ressentiments viennent s’ajouter à des tares sociales et humaines plus établies : paresse, corruption, hypocrisie, jalousie, ignorance, méchanceté, superstition, fanatisme… Résultat : tout pour soi et rien ou peu pour les autres. Au diable, l’intérêt général.
C’est dans cette ambiance morne que Moustapha Guirassy a poussé son cri du cœur qui accable et congédie la raison qui, selon lui, n’a « produit que des intellectuels dont les discours anesthésiants ne reflètent que les sombres méandres de leurs égos ». L’aveu est fort et touchant mais pas assez pour garantir une absolution totale. Mon indulgence ne va pas encore aux leaders (vous comprenez) qui ont douté d’eux-mêmes et du Sénégal au point de croire qu’on pouvait sacrifier sa stabilité, son image et sa réputation (parmi ses biens les plus précieux) à l’autel de nos impatiences, ambitions et autres frustrations individuelles. Le Sénégal est salement amoché par le populisme des Coalitions d’opposition et de certaines de ses figures les plus emblématiques. Ils ont laissé leurs ouailles saccager, abimer et ralentir considérablement le pays, alors que les enjeux commandaient une union sacrée. Les soulèvements, les violences physiques et verbales et les laxismes hallucinants au travail (retards, absences, fermetures pour raison de sécurité) ne semblaient nullement émouvoir nos patriotes d’un type nouveau. Nous paierons encore longtemps cette médiocrité et cette haine de nous-mêmes. Parler de nos errements peut nous soulager mais nous devons, sans tarder, remobiliser nos meilleures ressources pour l’avenir de ce pays à haut potentiel.
Latyr Diouf