(Tract)- Soixante directeurs de musées venant de 38 pays d’Afrique et d’Europe étaient en conclave à Dakar les semaines dernières pendant 3 jours. Ils ont créé un réseau d’échanges et de collaboration, pour développer des liens durables et des expositions itinéraires conjointes. En marge à cette rencontre, le Pr Hamady Bocoum, Directeur du Musée des Civilisations Noires (MCN)de Dakar, est revenu sur le sens de cette initiative.
Vous venez d’un partenariat entre l’Afrique et l’Europe au moment où le problème de restitution du patrimoine africaine fait débat. Quel l’intérêt de ce partenariat ?
Dans l’histoire, il y a beaucoup d’accidents, de rencontres et de télescopages. Pour vous dire qu’aujourd’hui, nous voulons aller haut delà des restitutions. A la limite, dans l’histoire d’Afrique la période coloniale est une parenthèse dans 6,5 millions d’années si vous prenez 200 ans, c’est important que nous le précisions.
L’idée pour nous dans cette réunion entre les directeurs des musées d’Afrique et d’Europe, c’est dans une perspective holistique. Nous ne voulons pas centraliser la colonisation dans la maladie africaine. Nous ne voulons pas que les gens continuent à penser à l’Afrique précoloniale, l’Afrique coloniale, l’Afrique poste coloniale, comme si l’Afrique est programmée pour être coloniser. Donc, c’est cette perspective longue, cette synchronie que nous voulons aujourd’hui développer.
Justement en quoi faisant ?
C’est de travailler sur toute l’histoire de l’Afrique, y compris la période coloniale. Les restitutions c’est tellement nécessaire. Des objets ont été spoliés. Mais nous ne focalisation pas cela. Autrement dit, dans notre approche, dans notre perspective, la restitution c’est important, mais elle n’est pas centrale. Mais nous en parlerons et nous allons évoluer aussi sur ces questions. Hier (jeudi 27), nous avions eu M. Martinez qui avait été délégué par le Président Macron pour faire des propositions sur une loi pour encadrer les restitutions. C’est très bien. Nous travaillerons avec nos amis belges, français, allemands sur ces questions de restitutions. Mais nous ne centralisation pas la restitution dans la narrative muséographique africaine. Il doit aller au-delà de ça, c’est-à-dire les africains, la jeunesse africaine veut connaitre son passé. C’est important, c’est un retour. Mais il faut surtout se construire et se projeter.
Dans vos travaux vous vous êtes exactement focalisé sur quoi ?
Nous avons beaucoup mis l’accent durant nos travaux sur la perspective numérique. Parce que le numérique, c’est le langage de notre temps, c’est aussi une incroyable revanche de l’oralité. Comme l’avez dit, la muséologie c’est très important. Mais qu’est-ce qu’il faut pour que les populations sénégalaises s’approprient de ça ? C’est une question très importante et elle est centrale en muséologie, en Afrique depuis très longtemps. Nous avons rappelé dans les documents ce que le Président Konaré du Mali, qui a été aussi président de l’IFAN, avait dit il y a presque 30 ans. Je le cite : «Il faut tuer le modèle européen du musée en Afrique». Ce modèle c’est un modèle ethnographique. L’ethnographie c’est le type de l’autre, c’est le type de l’indigène.
Ce que nous avons essayé de faire à partir du bilan de tous ces périodes, c’est que la narrative doit changer. Moi, je vous inviterai à visiter le Musée des Civilisations Noires, vous verrez dans la salle des appropriations quand vous allez redécouvrir le parcours de Cheikh Ahmadou Bamba, de El Hadji Malick Sy, de El Hadji Baye Niasse. Quand vous allez raconter Toumaï de l’humanité, quand vous aller voir là-haut la galerie de l’incivisme vous allez voir que les narratives sont en train de changer. On n’a pas encore la bonne formule, la bonne démarche, mais nous reconnaissons et nous acceptons qu’il y ait un problème de communicabilité entre les musées et le public. Il faut travailler. C’est pour cela que nous faisons des rencontres de ce genre. Et nous devrons même en faire plus. Mais nous remarquons quand même déjà que la perspective est en train de changer. On a plus de visites, on a un public qui ne venait jamais dans les musées et qui vient, ne serait-ce que parce qu’on parle de leur guide religieux.
C’est quoi le but par rapport à ce changement de paradigme ?
Dans notre muséologie, on essaie de nous décomplexer de montrer des choses qui nous parlent, qui nous regardent. C’est un champ ouvert où il y’a encore beaucoup de choses à faire en terme de communication et de médiation. Et je pense que vous allez pouvoir être de bon relai pour nous pour exposer des nouvelles perspectives muséales.
Quels sont vos objectifs à court, moyen et long terme ? Et quels sont les priorités de votre programme ?
Notre programme repose sur un trépied qui parle des collections, des expositions et des capacités. En réalité, tout ce que nous sommes en train de dire repose sur des constats qu’on a faits de l’expérience muséale. Au-delà de ce problème de fréquentation, nous avons beaucoup de conservations, mais également des problèmes de capacité. L’idée c’est donc de faire une lecture froide de la situation et de proposer des mesures correctives. Aujourd’hui, si vous allez dans nos campagnes, nos mortiers et pilons et autres sont en train de disparaitre ou d’être brulés, parce qu’il y a les moulins qui arrivent. Ça les musées doivent jouer le rôle de camion poubelle pour tout conserver pour les générations futures. Tant qu’on ne parlera pas aux personnes leur langage, elles ne viendront pas. Car, je devais vous parler d’épistémologie, d’ethnographie, d’archéologie. Par contre, probablement, si je parviens à partir des dessins animés a ancré dans votre disque dure, je peux avoir un espace de dialogue avec vous. C’est ça la difficulté que nous rencontrons, comment passer des narratives traditionnelles que nous avons dans des musées au langage réel actuel des publics, notamment jeunes. Nous n’avons pas des solutions clef en mains, mais c’est dans les dialogues, les confrontations, pourquoi pas dans les oppositions.
Connaissant nos traditions, il y a des objets qui ont une certaine symbolique qu’on utilise pour des rituels et certains ont une signification sociologique. Comment les musées comptent faire pour que ces gens acceptent de céder ces objets qui ont une certaine signification chez eux ?
Pendant ces rencontres-là, nous en avons longuement discuté. Il y’a des objets qui ont des sages symboliques rituels qui ne peuvent pas en principe être exposés. Il y’a des cas et on n’en connait dans des musées de la sous-région où les objets qui sont vraiment liés à des rituels que certaines catégories de personne ne doivent pas voir. Donc, ça c’est des questions complexes dont il faut tenir compte. Dans les musées européens c’est juste considéré comme des objets. Mais dans un musée typiquement africain ou dans les communautés impliquées dans la confection et surtout dans la fonction de l’objet, il y a un dialogue à établir. Donc tout ce qui n’est pas en principe montrable, on doit en tenir compte. Comme disent les dogons : il y’a des vérités d’en face, celles qu’on veut montrer à tout le monde et il y’a des vérités vraies qui sont réservées aux sociétés initiatiques. Dans notre approche, on aura énormément de respect pour cela. On montrera ce que les communautés estiment qu’on peut montrer et partager. On ne montera pas ce que les communautés considèrent comme relevant de l’ésotérique qui leur est propre. Si je prends un exemple, l’initiation chez les Bassaris, il y’a des choses qu’on peut exposées quand il y’a la sortie des masques. Cependant, il y’a des choses qui se passent à l’intérieur, nous nous n’allons pas regarder derrière les rideaux. D’ailleurs, nous n’avons pas d’autres choix que de faire ça.
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