[INTERVIEW] Carine Fongan: ‘Les entreprises ne peuvent prospérer que grâce à des employés qualifiés et expérimentés’

Tract – Entretien avec Carine Fongan passionnée d’écriture, entrepreneure déterminée et directrice générale de Ledila, une agence éditoriale spécialisée dans la Communication digitale et l’Inbound Marketing, basée à Douala au Cameroun.

 

Pouvez-vous, en quelques mots, vous présenter à nos lecteurs ?

C’est toujours un exercice difficile pour moi que de me présenter et pourtant, vous pouvez me croire, je ne suis ni timide, ni introvertie, ni taciturne !

C’est justement parce que je suis une passionnée volubile que j’ai toujours du mal à me décrire… en quelques mots !

Que pourrais-je bien dire de moi ?

Aînée d’une fratrie de 4, je suis une quadra (44), une quadrinette comme j’aime à le dire, qui travaille à son compte dans le marketing de contenu à Douala. J’ai fait mes études dans une école de commerce à Lyon avant de rentrer au Cameroun en 2005. Si j’ai pas mal « bourlingué » dans différentes entreprises de la place, j’ai une véritable âme d’artiste depuis toute petite, une âme d’artiste que j’ai complètement fait taire… jusqu’à il y a peu.

D’ailleurs, depuis plus de dix ans, je vis d’une passion, mon entreprise naît d’une passion : l’écriture.

J’aime lire depuis que je suis toute petite. J’ai l’imagination très fertile et après avoir passé une année entière à découvrir et lire des centaines de petits livres à l’eau de rose ou policiers… j’ai commencé à écrire. Je n’avais pas 11 ans. À 13 ans, mon père m’offre mon premier ordinateur et j’écris des nouvelles, pour mon plaisir, pour faire lire des amis.

Je dessine aussi. Au collège Libermann, nous n’étions que deux filles au milieu des garçons à participer aux cours de dessins. À 15 ans, je fais 3 bandes dessinées que je fais lire à mes proches. À 21 ans, je rédige une nouvelle de plus de 300 pages que j’imprime, mais abandonne ensuite au fond d’un tiroir. Je m’étais découragée parce qu’après tout, quand on est étudiante et qu’on cherche un job, écrire des nouvelles paraît être un caprice.

Je fais du scrapbooking depuis mon adolescence et m’intéresse à la mode ainsi qu’à la décoration intérieure durant mes années étudiantes.

Comme on peut le constater, j’ai de nombreuses passions et centres d’intérêt. Et pourtant je n’avais jamais osé franchir le pas, jusqu’à ces dernières années !

Ledila : la genèse.

Vraiment un coup de bol ; un pur hasard !

Alors que j’expérimentais plus ou moins difficilement l’entrepreneuriat dans le secteur de la livraison de repas et me demandait comment me remettre à la rédaction d’un ouvrage, je suis tombée sur l’annonce d’une plateforme de rédaction qui n’existe plus aujourd’hui. Premières missions, premier paiement. Je découvre le monde de la rédaction web et d’autres plateformes de rédaction, textbroker, textmaster, textprovider, ainsi que des sites pour mission en freelance telles que upwork ou peer to peer.

Cela se passe en 2010.

Puis, forte de mon expérience de presque deux ans dans moult missions de rédaction SEO, copywriting, ghostwritting, traduction web, assistance virtuelle et, même, doublage de films, je décide d’ouvrir mon agence de communication digitale et plus spécifiquement de rédaction web.

Débuts difficiles, j’ai mis la clé sous le paillasson deux fois et ai réouvert trois fois !

Aujourd’hui, nous sommes en 2023, et je dirais ceci : le chemin a été long et parsemé d’embûches, mais enfin, depuis peu de temps, Ledila a atteint son équilibre et sa maturité notamment sur le plan organisationnel.

Le rédaction web et/ou le ghostwritting : hier, aujourd’hui et demain. Quel avenir pour ce travail à la croisée de l’intelligence artificielle ?

 La rédaction web est un métier qui ne connaît pas la crise à condition de savoir s’adapter, mais surtout d’anticiper !

Hier, tout le monde pouvait devenir rédacteur web. Tout le monde !

Aujourd’hui, il y a une redistribution des cartes en cours notamment avec l’essor de l’intelligence artificielle.

Demain, seuls les meilleurs, les rédacteurs qui ont pris la peine de se former ou de se mettre à jour continueront de rester et résister sur ce marché qui au final se porte et se portera bien.

Concrètement, quel est l’impact de l’intelligence artificielle ?

L’intelligence artificielle vient faire une sorte de scission entre les experts, les gens de métier… et les autres, exactement comme Google Translate avait permis de faire le distinguo entre les traducteurs formés à l’apprentissage de différentes langues et les autres. Si certaines agences de rédaction web continueront de pérenniser leurs activités, d’autres ont commencé à fermer.

Toutefois, contre toute attente, l’IA présente un certain intérêt pour les rédacteurs web. On peut s’en servir sur des missions routinières en rédaction SEO pour le respect de brief et des consignes liées aux contraintes des algorithmes des moteurs de recherche ; exactement comme l’ordinateur qui est devenu un matériel incontournable pour les secrétaires qui se sont adaptées, se sont formées et ont accepté de délaisser la machine à écrire.

Aujourd’hui, déjà, des formations sur la rédaction web avec l’aide de Chat Gpt sont données.

Quel a été l’impact de la Covid dans le fonctionnement de Ledila, et partant de vos activités ?

La période du Covid a été plutôt florissante pour Ledila. On peut comprendre pourquoi.

Face au confinement, de nombreuses entreprises ont dû innover et rendre leurs produits disponibles à la livraison et leurs services disponibles en ligne.

C’est la période durant laquelle Ledila a le plus embauché, car nous avions un trop-plein de missions de rédaction. Durant cette période, il y a eu également des changements sur la typologie de la clientèle.

Avant 2020, la majorité des clients se composait des acteurs de la restauration et du tourisme. Après 2020, ceux qui ne se sont pas réinventés ont laissé la place aux acteurs des services et de la livraison à domicile.

Quelle est selon vous la relation entre le SEO et la rédaction web?

C’est Dupont et Dupond.

La rédaction web n’a de sens que lorsqu’elle permet un bon référencement (SEO) et le SEO ne peut se faire que grâce à la rédaction web. Tout cela participe à une stratégie marketing de contenu.

La rédaction est le pilier du SEO qui est lui-même une discipline du marketing digital. Son but est d’assurer le bon référencement ou positionnement d’un contenu grâce à la maîtrise des subtilités et des contraintes imposées par les algorithmes des moteurs de recherche.

 

Quelle est votre conception du référencement ?

Ma conception du référencement… je ne sais trop comment y répondre en dehors de la définition officielle.

Ceci dit, le référencement implique deux choses pour moi : du contenu de qualité qui respecte les contraintes des algorithmes et du contenu livré rapidement.

Aujourd’hui, la rédaction web n’en est plus uniquement à la nécessité de respecter certaines contraintes pour un bon positionnement sur les moteurs de recherche. Les articles pour un site ou un média doivent également être publiés les premiers (dans le temps).

Sur quels genres de projets intervenez-vous ?

Les projets varient énormément, mais depuis quelques années, nous sommes devenus des spécialistes du offshore.

Rédaction web offshore… kesako ?

La rédaction d’un volume important de contenus, à des tarifs avantageux pour le donneur d’ordre. Cela a été aussi un choix stratégique pour assurer une certaine pérennité de l’entreprise dans un secteur très concurrentiel et en proie à de nouvelles mutations.

Nos missions concernent du contenu pour des médias européens ou canadiens, des sites Web de PME, d’agences de voyages, de commerce en ligne, de BTP et d’artisans, entre autres.

Si avant, nous étions des concurrents des agences malgaches qui ont la primeur de ce type de rédaction web, aujourd’hui nous sommes des concurrents directs d’agences asiatiques qui ont un avantage en plus pour la publication d’articles : le décalage horaire.

Pour résumer, nous sommes l’industrie de la rédaction web. Avant, la rédaction offshore était essentiellement mécanique, mais aujourd’hui elle est plus fluide, plus humaine, de meilleure qualité. Une nécessité pour un meilleur référencement.

L’on pourrait vous qualifier de « sujet ouvert »: vous ne reculez devant rien, et vous êtes toujours prête à relever de nouveaux défis. L’on vous a vu faire des annonces sur votre disponibilité à accompagner de potentiels clients dans leurs projets d’embellissement et d’aménagement. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Oui ! Un sujet très ouvert, qui, contre toute attente, en a mis du temps à se lancer, à oser faire ce qui lui plaît et relever de nouveaux défis…

J’ai deux projets sur le grill, voire 3. Je peux être une vraie boulimique pour tout et suis souvent obligée de me discipliner. Un projet dans la mode, un autre dans l’édition et le dernier, voire le premier, concerne l’aménagement intérieur.

Beauté, bien-être, confort… autant de maîtres mots ou de mots-clés qui définissent mes centres d’intérêt. Et le design intérieur répond à ces critères.

Suite à l’aménagement de mon propre bureau et de celui d’un ami dont j’ai posté les photos sur mes statuts, j’ai commencé à être sollicitée pour des projets d’aménagement de bureaux.

C’est timide pour l’instant et à raison, je n’ai pas vraiment fait de communication. J’en profite également pour suivre une petite formation et acquérir un certain savoir-faire en même temps que j’acquiers de l’expérience sur le terrain.

Actuellement, je suis sur deux chantiers, et je prendrai plaisir à partager les photos des bureaux aménagés sur une page dédiée.

L’avenir de l’entrepreneuriat en Afrique en général, et au Cameroun en particulier.

Le nouvel Eldorado des affaires c’est l’Afrique. Cela fait très slogan chauvin, mais c’est ma perception de l’environnement.

Lorsque vous voulez savoir si un pays est attractif économiquement, une astuce consiste à observer les mouvements des investisseurs étrangers et le type d’investisseurs.

Aujourd’hui au Cameroun, c’est la ruée pour le Canada. Soit ! On pourrait reprocher au gouvernement de n’avoir pas su allumer ou raviver la flamme de jeunes et moins jeunes pour leur pays. On pourrait aussi saluer l’ingéniosité des Canadiens à drainer du monde sur leurs terres, mais on reprochera forcément à ceux qui restent ou qui rentrent au Cameroun de ne pas savoir en tirer profit !

Le BTP, l’artisanat, l’industrie, le paramédical et la santé, le tourisme, l’enseignement sont autant de secteurs dont les besoins sont grands et dans lesquels il faudra investir.

Attention toutefois ! Rien n’est acquis et le Cameroun ne fait pas exception. Si vous rentrez ou voulez investir dans une activité, ne vous dites surtout pas que ça marchera sûrement parce que vous êtes rempli de bonne volonté, avez 50 ans d’expérience à l’étranger ou avez un important cash-flow. Comportez-vous comme un étranger qui arrive sur une terre qu’il ne maîtrise pas. Renseignez-vous, observez, apprenez, adaptez-vous et adaptez votre fonctionnement à l’environnement.

Un mot pour la fin à l’endroit de vos jeunes collègues du monde en général, mieux du Cameroun.

Je leur dirai ce que je dis toujours à mes équipes : formez-vous !

Lisez, apprenez, testez, essayez… ne restez jamais sur des acquis de base et quand bien même vous acquérez de nouvelles compétences ou de nouveaux savoirs, ne vous reposez pas sur vos lauriers.

Le monde est en perpétuel mouvement. Il faut l’observer et anticiper autant que l’on peut la prochaine mutation à venir… et pour cela, une règle : ne jamais dépendre d’un seul process, employé, client, prestataire, revenu.

Si vous êtes salarié, je le dis et je le répète depuis des années, vous n’avez aucune obligation de vous laisser emporter par le dictat actuel qui fait de l’entrepreneuriat le Saint-Graal d’une vie. Devenir entrepreneur ne garantit ni richesse ni liberté. À moins d’avoir la « gniaque » pour ça et d’être prédisposé pour l’entrepreneuriat, n’écoutez pas les chants de sirènes qui voudraient vous faire croire qu’une belle carrière s’achève nécessairement par l’ouverture de sa propre entreprise

Les entreprises ne peuvent prospérer que grâce à des employés qualifiés et expérimentés. Choisissez juste votre camp et donnez-vous à fond dans votre travail.

Propos recueillis par Baltazar Atangana/ correspondant