TRACT – Décembre 2023, veille de l’élection présidentielle de 2024 où le Président Macky Sall fera son dernier discours à la Nation après 12 ans à la tête du pays.
À cet effet, votre rédaction Tract a visité ses archives pour présenter à ses fidèles lecteurs des extraits des mémoires du 4e Président de la République Macky Sall.
Voici in extenso, le passage où l’actuel Chef de l’État se considérait comme « l’enfant à dévorer »
Tout semble aller pour le mieux alors que se profile l’élection présidentielle de 2007. Je suis nommé directeur de campagne de Wade. Je me suis fixé un objectif : faire réélire le président dès le premier tour. Pour ce faire, une équipe d’étude et de sondage d’opinion est constituée. Avec les enquêtes, nous pouvons affiner notre stratégie en temps réel. Au soir du premier tour, les jeux sont faits : Wade est réélu avec 55,90% des voix.
Les signes d’alerte sur son divorce avec le Président Abdoulaye Wade
Quelques signes auraient dû m’alerter sur ma disgrâce à venir. Le contenu de réunions stratégiques qui filtre dans la presse, où je suis dépeint comme une sorte de Machiavel, l’interventionnisme forcené du fils du Président, Karim, un soi-disant rapport de police qui affirmait que j’étais incapable d’assurer la victoire au premier tour … Je n’ai pas voulu lire ces augures, persuadé que les faits démonteraient tout cela. Lorsque la réélection fut actée, je pensais avoir échappé au pire puisque que j’avais gagné mon parti. Un autre événement aurait dû faire plus fortement résonner en moi la sonnette d’alarme : le 19 juillet 2007, je me rends à une réunion de la direction du Pds au palais présidentiel.
Résistance des conséquences du pouvoir sur ceux qui le possèdent
Le pouvoir change-t-il ceux qui le possèdent ? M’a-t-il changé moi ? Je ne le crois pas. En principe, si le pouvoir vous métamorphose, c’est que vous aviez des motivations qui étaient le reflet de votre nature profonde. Le pouvoir ne doit pas changer l’homme ; en revanche, l’homme peut changer le cours du pouvoir, il peut changer le cours de l’histoire et la nature du pouvoir. Intrinsèquement, celui-ci est un moyen d’atteindre les objectifs qu’on s’est fixés : projets de société, de transformation, de construction, volonté de changement. Il vous donne les moyens d’agir, mais ne doit en aucun cas changer votre personnalité intérieure et votre manière de vivre, même si forcément votre environnement n’est plus le même. Il y a les contraintes de la fonction : vous ne pouvez plus faire ce que vous voulez, en termes de liberté et de temps. Mais je pense que, par rapport à ma personne, à mes intimes convictions, le pouvoir ne m’a pas changé et ne pourra plus le faire : il est trop tard pour les modifications essentielles. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, avec mon épouse, nous avons décidé de rejoindre notre domicile familial en cours de mandat : c’est la première fois au Sénégal qu’un président de la République quitte le palais pendant qu’il est en fonction et rentre vivre chez lui. Au début, en 2012, je suis resté chez moi pendant près d’un an, et dans l’opinion publique on se demandait pourquoi j’agissais ainsi : il parait que je créais des embouteillages entre mon domicile et la présidence.
Sa nomination à la Primature
Au bout de huit mois, le Président Wade m’a désigné pour remplacer Idrissa Seck à la primature. Le 21 avril 2004, j’étais nommé chef du gouvernement, poste que je conserverais jusqu’au 19 juin 2007. Ce furent des années intenses de travail, des coordinations du travail gouvernemental et de management politique du Parti démocratique sénégalais, en mes qualités de numéro deux. J’ai fait des dépenses et faits de la lutte contre les détournements de deniers publics une priorité. Ceux qui spolient le pays ne devraient croire qu’ils peuvent poursuivre leur forfait dans l’impunité. De quelques abords qu’ils puissent être. Je réclame l’exemplarité pour tous ! Si le moindre de mes partisans, un membre du gouvernement ou même de ma famille devrait rendre des comptes, je laisserais évidemment la justice faire son travail. Dans ma vision de la gouvernance, la lutte contre les détournements et la corruption ne relève pas seulement de considérations morales. Elle est indispensable pour sécuriser les ressources publiques. Dans notre cas, elle est permise de financer des programmes d’urgence, sur fonds propres, pour améliorer nettement les conditions de vie de millions de sénégalais, dans tous les domaines.
Début du conflit entre le Président Abdoulaye Wade et le Premier ministre Idrissa Seck
Je l’ai déjà expliqué, mon projet, à l’horizon 2035, sera poursuivi et enrichi par une expertise nationale et internationale. Ma conviction est que le sous-développement n’est pas une fatalité ! Nous avons pu atteindre très rapidement très rapidement l’objectif de 7% de taux de croissance du Pib. Toutefois, pour rendre cette richesse additionnelle encore plus durable et plus inclusive, je lancerai le Plan économique sociale et solidaire. Nous disposerons alors d’un instrument de développement à long terme qui permettra à la nation de résister le mieux possible aux chocs exogènes, à ces trop fameuses secousses extérieures (crises économiques, mouvements financiers, catastrophes naturelles…). J’ai ensuite très vite compris que le premier ministre voulait jouer sa partition, qu’il n’allait pas seulement s’opposer à moi, mais surtout au Président. Dans une République comme la nôtre où la figure du chef de l’Etat pèse beaucoup dans le fonctionnement des institutions, c’est suicidaire ! Wade a très vite compris ce qui s’est passé, la presse aussi. Les articles sur un Etat bicéphale ou la guerre Wade-Seck se sont succédé. Chacun a choisi son camp, la majorité s’est déchirée entre les partisans du chef ont été bloquées, l’action gouvernementale a sombré dans l’immobilisme : la situation tournait au drame.
Sa nomination au poste de Ministre de l’intérieur
Lors du remaniement ministériel d’août 2003, Wade m’annonce : « Je veux que vous alliez à l’intérieur ».
Jusqu’ici j’étais dans un ministère technique, là je me rapproche du tout-politique, voire du cœur de l’Etat. Je ne le désirais pas. Il m’a poussé à le faire.
« Si c’est votre choix et j’ai votre soutien, j’accepte » lui avais-je répondu.
Les pièges et coups bas au Ministère de l’intérieur
A ce poste hautement sensible et très difficile, j’étais au milieu des tensions entre Wade et Seck, entre le marteau et l’enclume. Le rôle du ministre de l’intérieur n’est pas facile mais je l’ai assumé avec loyauté. La pression et les coups bas étaient choses courantes. On me disait très souvent que le Président voulait absolument telle ou telle mesure, et quand je le voyais et lui en parlais, il répondait, surpris : « je n’ai jamais dit ça ».
Hadj Ludovic