«Les plus grands parmi les héros, sont les héros de la paix, les héros de la non-violence, ceux qui n’ont pour armes que leur courage, leur détermination et leur foi en l’humanité. Ceux-là affrontent le danger à mains nues et font face à la mort le sourire aux lèvres.» (Louis Camara, écrivain et poète)
Tract – Cette citation retentit comme une fanfare de vérité exceptionnelle destinée à exhumer de l’anonymat le Capitaine Mbaye Diagne, cet officier sénégalais tombé, loin des siens, sur le champ d’honneur de l’humanitaire, en sacrifiant sa vie pour conserver des vies.
C’est à cette race d’hommes, il faut dire rares, qu’appartenait le Capitaine Mbaye Diagne qui, à lui seul, réussit à sauver, au cours de sa mission au Rwanda, plusieurs centaines d’hommes, de femmes et d’enfants au péril de sa propre vie. D’ailleurs, les commémorations officielles ont débuté, ce dimanche 7 avril en terre rwandaise, jour anniversaire des premières tueries de ce qui deviendra le dernier génocide du XXe siècle, faisant 800.000 morts, majoritairement dans la minorité tutsi, mais aussi des Hutu modérés.
Né à Coki dans le département de Louga le 18 Mars 1958, Mbaye Diagne à l’état civil, a fait des études de Droit à l’Université de Dakar avant de s’inscrire à l’École Nationale des Sous-Officiers d’Active (ENSOA) de Thiès, d’où il est sorti avec le grade de Capitaine de l’armée Sénégalaise.
Ayant reçu le commandement de la 3e compagnie du 6e bataillon d’infanterie, il prend une part active dans le conflit casamançais, de 1989 à 1993. Au cours de cette même année 1993, il est envoyé au Rwanda dans le cadre d’une équipe d’observateurs militaires de l’OUA chargée de surveiller la guerre civile opposant les forces gouvernementales de la majorité Hutue aux combattants du Front Patriotique Rwandais (FPR) dominé par les Tutsis.
Par la suite, il sera affecté à la MINUAR, une force de maintien de la paix des Nations-Unies chargée de superviser la mise en œuvre des accords d’Arusha (août 1993) destinés à mettre un terme à la guerre. Malheureusement, le président de la République du Rwanda, Juvénal Habyarimana, d’ethnie Hutue, est tué dans des circonstances troubles, l’avion qui le transportait ayant été abattu. C’est alors le coup d’envoi du terrible génocide des Tutsis par les extrémistes Hutus qui, en l’espace de cent jours, vont massacrer plus de 800 000 personnes dans des conditions atroces.
C’est dans ce contexte tragique que va se révéler Mbaye Diagne, le « capitaine courage », grâce à l’héroïsme duquel des centaines de Tutsis et de Hutus modérés (un millier selon certaines estimations) vont échapper aux massacres organisés par les milices Interahamwe poussés par la sinistre et tristement célèbre « radio mille collines ». « Personne n’allait nous secourir. Nous étions littéralement abandonnés par le monde dans une Afrique lugubre. Il était absolument hors de question pour moi de m’en aller et j’aurais sacrifié toutes les vies sous mon commandement, de ceux qui ont décidé de rester avec moi et la mienne, pour être capable de sauver une Rwandaise ! Un Tutsi, qui tiendrait le monde pour responsable de ce génocide ! », confiera le Capitaine Mbaye Diagne à son ami le journaliste de la BBC Mark Doyle. « C’est l’homme le plus courageux que j’ai rencontré au cours de mon existence », dira ce dernier de l’officier sénégalais.
C’est dans ce contexte tragique que va se révéler Mbaye Diagne, le ‘Capitaine courage’, grâce à l’héroïsme duquel des centaines de Tutsis et de Hutus modérés (un millier selon certaines estimations) vont échapper aux massacres organisés par les milices Interahamwe poussés par la sinistre et tristement célèbre «radio mille collines».
Notons que les cinq enfants de la Première ministre Agathe Uwilingyimana, une Hutue modérée, assassinée le 7 avril 1994, furent arrachés des griffes des miliciens interahamwe puis évacués vers la Tanzanie par le capitaine Mbaye Diagne. Ce fut sans doute l’un des premiers hauts faits du héros sénégalais qui continua de mener ses opérations de sauvetage, seul, sans armes et en dépit des ordres de la hiérarchie militaire. « Il s’en allait seul, puis il revenait avec des dizaines de personnes qu’il avait arrachées à l’orgie sanguinaire des génocidaires », témoignera le Général Roméo Dallaire, Commandant en chef de la MINUAR. Pour cet officier supérieur des « casques bleus » de l’ONU, le Capitaine Mbaye Diagne peut être considéré comme «l’homme le plus courageux ayant servi l’Organisation des Nations Unies».
Et en effet, quand on compare la grandeur de ses actes à la petitesse de ses moyens, quand on replace les faits dans leur contexte, on peut même affirmer sans ambages que le Capitaine Mbaye Diagne fut l’un des plus grands héros du vingtième siècle.
En Juillet 2010, sa veuve et ses deux enfants ont reçu des mains du Président Paul Kagamé le « Prix Umurinzi » accompagné de ces mots émouvants : « Pour votre bravoure et votre sacrifice pendant le génocide de 1994 et pour montrer au monde la vraie signification de l’Ubuntu africain, le peuple Rwandais vous sera toujours endetté ».
En octobre de la même année, en Italie, Mbaye Diagne est célébré par le «Jardin des Justes» de la ville de Padoue. En 2011, à l’occasion du dix-septième anniversaire du génocide, le Capitaine est à nouveau honoré à titre posthume par la secrétaire d’état Hillary Clinton. En 2014, le Conseil de sécurité de l’ONU décide de créer la «Médaille du Capitaine Mbaye Diagne pour courage exceptionnel» en son honneur.
Au Rwanda, son souvenir reste gravé dans les cœurs et dans les esprits et chaque année, son nom est évoqué au moment des commémorations du génocide de 1994. Quid de son pays natal, le Sénégal ? En 2005, le Capitaine Mbaye Diagne a été décoré à titre posthume du grade de chevalier dans l’ordre national du lion. Cependant, aujourd’hui encore, ce chevalier des temps modernes reste peu connu de ses compatriotes. Aucun boulevard, avenue, rue ou édifice public ne porte son nom.
Pour trouver des traces de Mbaye Diagne dans Dakar, il faut se rendre au musée des Forces armées, qui lui a dédié une ‘petite salle’. A Thiès, un camp militaire porte toutefois son nom. D’ailleurs, tout récemment, Macky Sall a inauguré, le vendredi 22 mars 2024 le mémorial du capitaine Mbaye Diagne. Un mémorial qui rend hommage à un homme qui «incarne les valeurs cardinales de notre société. Par ses hauts faits d’armes, par ses exceptionnelles qualités d’humanisme, il a grandement contribué au prestige du Sénégal», a affirmé l’ancien président de la république en prononçant son discours.
Pourtant, comme le souligne sa veuve, Yacine Mar Diop, son histoire devrait être connue de tous les Sénégalais car, qui est plus grand que l’homme qui a fait don de sa vie à ses semblables ? «Mon souhait serait que le nom de mon mari puisse figurer dans les manuels scolaires du pays. Que son histoire puisse être connue de tous. Son attitude sur le terrain et son courage doivent inspirer les jeunes», affirme avec justesse l’épouse du Capitaine Mbaye Diagne.
Par Fatima Sédar