(Tract)- Chanteur, auteur et compositeur Woz Kaly, est devenu une des voix les plus respectées de la scène musicale au Sénégal et même en Afrique. Né à Dakar, de parents originaires de la Casamance et du Walo, ce qui en fait un authentique Mankagne et Walo-Walo, Woz Kaly n’est pourtant pas bien connu de la jeune génération. Établi en France, son talent est aujourd’hui reconnu, ce qui lui ouvre des portes pour travailler avec divers artistes de renom. Membre du groupe Missal de la Patte d’Oie dans cet entretien à bâton rompu, revient sur sa vie d’artiste, ses textes qui reflètent la richesse de son métissage et parle de la musique sénégalaise.
Vous êtes issu d’un métissage entre deux cultures, celle de la Casamance et de la région de Saint-Louis. Est-ce pour cela que vous surfer plus sur toutes les sonorités de ces régions en chantant en Peulh, Socé, Bambara, Wolof, Joola… ?
C’est exactement cela. Je suis un Dakarois qui est né dans deux cultures. Mon père est de Ziguinchor, ma mère est de Saint-Louis, du Walo. Donc, c’est une chance d’avoir ces deux cultures. Lorsque je chante, on sent cette influence, cette diversité dans les sonorités. Et tous les enfants de Ziguinchor savent souvent parler plusieurs langues, même si ce n’est pas parfait. C’est la force de cette multiculturelle.
Vous êtes membre fondateur du mythique groupe Missal qui a écrit de belles pages de la musique sénégalaise, voire africaine. Qu’est-ce qui explique son éclatement ?
Avec le temps, il faut avoir une intelligence pour pouvoir consommer un groupe. Le Missal, on était des amis d’enfance, un groupe de copains. En plus, moi, j’ai toujours été dans un groupe, mais j’ai toujours aussi gardé une liberté. Car, pour moi, un artiste doit être libre. Parce qu’il y’a des choses à découvrir dans le monde, à connaitre et à faire. Et moi, j’adore cette liberté d’aller voir ailleurs, de chercher d’autres sonorités, d’autres cultures. En un moment donné, les gens n’étaient plus dans un même lieu, certains sont Etats-Unis, d’autres en France, au Sénégal. Du coup, c’était un peu difficile de les regrouper. Il y’a les contraintes et ce n’est pas évident. Nous avons essayé, mais c’est toujours difficile quand les gens ne sont pas dans la même ville. Cependant, j’espère Inchallah qu’un jour nous allons nous retrouver.
Avez-vous toujours de bons rapports ?
A oui (il le répète). Parce qu’on habite tous à la Patte d’Oie. On se connait depuis à l’âge de 5 ans, donc nous restons des frères. Nous comprenons le souci des mélomanes. C’est juste la circonstance de la vie qui fait que nous nous sommes séparés, mais nous restons des frères. Cela fait plus de 10 ans que j’ai ma carrière solo, car même en étant dans le groupe Missal, je me suis toujours dit, j’ai des choses à raconter, mais je ne peux pas le faire dans un groupe.
Pourquoi avez-vous senti ce besoin ?
Parce qu’un groupe, il faut l’avis de tout le monde, mais quand tu es seul, tu es beaucoup plus à l’aise. Cela m’a permis de rencontrer beaucoup de musiciens. Par exemple, j’ai joué avec beaucoup de musiciens de jazz, comme Mokhar Samba avec qui j’ai fait 12 ans de scène, Jean Pierre Como du groupe Sixun, Etienne Mbappé, le bassiste jazz sénégalais Cheikh Ndoye, Patrick Bruel, Francis Cabrel, les Frères Touré Kunda, Youssou Ndour, etc. Je suis quelqu’un de très curieux et touche-à-tout. J’adore allait voir, chercher, apprendre. Je vais jusqu’en Russie, en Inde juste pour aller chercher des voix ou des sonorités. Je bouge beaucoup toujours pour la recherche, je ne reste jamais sur place ou dans un groupe.
Avec toute cette expérience, ces échanges et ces collaborations musicales, comment vous définissez votre style de musique. Car, tantôt vous êtes dans le folk, tantôt le jazz, l’acoustique, …
Moi, je joue une musique africaine, mais sénégalaise avec des ouvertures. J’ai fais aussi une partie de ma vie en France. Quand tu fais 30 ans en France, c’est une vie. Et cette France-là m’a ouvert d’autres portes. Donc, ma musique c’est un terme que tout le monde utilise, c’est la world musique. Mais toujours cette coloration sénégalaise et africaine.
On peut dire que cette expérience française a eu un poids sur vos compositions musicales ?
Oui. Parce que je jouais dans un club où il y avait beaucoup de chanteurs : des serbes, français, américains, etc. Pendant des années, j’ai côtoyé plusieurs musiques. Ma musique est une musique ouverte au monde, mais avec une identité surtout africaine (il insiste). Ce n’est pas que je voulais rester en France, mais parfois la vie fait que tu vas dans un pays, tu ne penses pas y rester et tu restes. C’est des circonstances qui arrivent. Après, tu bombes amoureux d’une femme (rires). Après, le mariage s’en suit, les enfants. Après, tu gères. Mais le temps que les enfants arrivent à 18 ans, le temps passe vite. Mais Dieu a fait que je n’ai jamais coupé le lien. Chaque occasion ou chaque 2 an, je viens au Sénégal pour me ressourcer. C’est pourquoi, quand je suis renté, je n’étais pas dépaysé, je suis toujours resté sénégalais, j’adore mon pays. Et cela fait 5 ans je suis rentré dans mon pays.
Comme on dit, on n’est jamais prophète chez soi. Vous êtes plus connus en Europe, plus connu ailleurs que chez vous. Est-ce un manque de respect, selon vous ?
Non ! Les sénégalais qui me connaissent me respectent énormément. J’ai une philosophie, on ne peut pas être connu par tout le monde. Moi, le plaisir que j’ai dans la musique, c’est que je suis en train de faire mon boulot. Et ce boulot-là, c’est le meilleur métier au monde. Tu peux être connu par le monde entier et ce que tu fais n’intéressent pas les gens. Je n’ai jamais été dans ce rôle de vouloir me faire connaitre, parce que ce n’est pas moi la star, mais c’est la musique. Je vous fais une confidence. J’ai eu à composer un morceau, des personnes l’ont écouté et m’ont dit tu le sors ça va faire boom. Et j’ai refusé de la sortir. Parce que je ne veux pas être connu, Je veux avoir ma liberté de vouloir voyager, faire des recherches. Parce que la liberté, c’est bien, mais c’est lourd. J’ai tellement de choses à faire. Ma musique moi, c’est des projets.
Vous avez une vocalise extraordinaire. C’est naturel ou vous l’avez travaillé ?
C’est inné en moi. J’ai ce don de Dieu de chanter, car depuis tout petit je chante. Je suis né en chantant (pouf de rires). Mais derrière, il y a aussi un travail incroyable. Je travaillais ma voix de 8 heures à 10 heures chaque jour aux temps de Missal. Le don seulement ne suffit pas. Pour moi, la voix, c’est un instrument qu’il faut travailler. Et c’est extrêmement difficile. Il faut avoir la patience de ne pas bruler les étapes, jusqu’à ce que tu trouves ta voix. Trouver sa voix, c’est des années de travail. La voix, c’est ton identité, ta personnalité.
Parlez-nous un peu du commet vous avez fait pour ne pas subir le dictat du mbalax, vous qui êtes toujours resté dans votre registre.
Je suis quelqu’un qui ne suit pas le sens du vent. Je suis quelqu’un de têtue, c’est mon défaut. En plus de ça, il y’a de belles musiques au Sénégal, mais ce n’est pas seulement une musique. Cette musique que les gens veulent nous imposer que moi j’adore, que les sénégalais adorent, ça s’arrête seulement entre nous. Il y’a des artistes qui ont fait connaitre la musique sénégalaise hors des frontières et qui n’était pas du mbalax. Les Touré Kunda qui sont hors normes et avec qui j’ai eu la chance de jouer, ils ont eu des disques d’or avec la musique sénégalais, notamment celle du Sud. Ce mbalax que des artistes font maintenant, c’est un mbalax très mal fait musicalement. En plus, il faut diversifier car nous avons des musiques au Sénégal. Chez les halpulaar, ils ont des sonorités incroyables. Idem chez les peulhs, les maures du Walo, les mandingues, les sérères, les wolof, etc. Mieux, il faut connaitre aussi l’histoire du mbalax. C’est quoi ? Ça vient d’où ? C’est quoi la mère du mbalax ?
Selon vous, c’est quoi la mère du mbalax ?
Le mbalax les gens ne savent pas que c’est du rythme d’une ethnie. Dans le mbalax, il y’a des mbalax. Car, il y’a d’autres percussions rythmiques wolof. Parfois, il faut prendre ce mbalax et voir ce que tu peux y mettre dans un temps où les gens peuvent comprendre. La musique aussi, c’est un peu de la mathématique. Il y’a des personnes qui veulent écouter aussi autre chose. Je suis resté sur ce que je sais faire, je sais faire le mbalax, mais pas comme les gens le veulent. Ce n’est pas que du bon. On a éduqué une génération sur un truc qui n’est pas bon et elle pense que c’est bon, parce qu’il y’a la foule.
Justement où se situe la faille ?
Il y’a un moment où, il y’a beaucoup de radios, beaucoup d’animateurs qui n’ont aucune culture musicale. Parce que nous, avant, nous avons grandi avec des animateurs qui avaient une culture générale dans la musique. Je peux citer Khali Guéye, Michael Soumah, Aliou Diop, etc. Nous, on écoutait de la bonne musique. Après, ces gens on les a mis à coté pour amener des gens qui n’ont aucune culture musicale et qui ont malheureusement éduqué toute une génération sur un truc qui n’est pas bon. Et ces gens-là pensent que c’est ça qui est bon. Jusqu’à ce que tu partes en Europe sur un terrain neutre, c’est là que tu sauras que ce tu fais n’est pas du bon. Donc, il faut se méfier de la foule, un artiste doit se méfier des applaudissements et des foules. Car, ça peut être un piège qui te fait croire à des choses qui sont fausses. Nous tous, on sait que cette musique qui se passe au Sénégal maintenant, ce n’est pas bon. Ce n’est pas pour critiquer, mais nous avons vécu, nous connaissons la musique. Je dis souvent pourquoi les sabar dans les quartiers n’existent plus, c’est parce que ce ‘sabarou med’ là, il est maintenant sur scène.
Vous avez des compositions thématiques, ce qui est rare dans le landerneau musical Sénégalais. Et vous, vous êtes constant dans ce registre. D’où vous vient cette force ?
J’adore chanter des thèmes. Par contre, il y’a des artistes quand ils écrivent, ils pensent à tik-tok. Mais c’est un truc kleenex, éphémère. Même si tu ne sais pas écrire, il y’a des personnes expertes dans ce domaine. C’est moi qui écrit mes textes, il y’a aussi mon oncle qui est un médecin artiste, il est fort dans l’écriture et on échange toujours. Mais 90% de mes textes, c’est moi qui les écris. Et je prends tout mon temps pour sortir un album. L’album que je dois sortir, je l’ai travaillé pendant 5 ans. Maintenant les gens sont pressés, avec les machines tout est devenu facile. Il ne faut pas jouer avec la musique avant d’être célèbre, il faut avoir des bagages d’abord. Car, rien n’est plus triste et malheureux pour un artiste que d’être célèbre et derrière, il n’y a aucun bagage au préalable. La chute risque d’être terrible. Dans ce métier, seuls les gens patients, performants et passionnés vont réussir. La musique, c’est un long chemin. Si tu regardes Youssou Ndour, il chante depuis combien d’années ? Il est toujours là, c’est sa constance. Il est passionné, c’est un exemple, un modèle, une référence. La musique n’est pas un truc de buzz. L’artiste, c’est comme le voyageur avec ses bagages. Dans sa valise, il y’aura des chemises noires, blanches, bleues, des jupes, des robes… C’est ça la musique. Il faut avoir beaucoup de bagages culturels, savoir c’est quoi son métier.
A vous entendre parler, la jeune génération actuelle doit encore beaucoup apprendre, surtout coté texte ?
Ah oui, car ce qu’on voit c’est des textes vulgaires et simples. Ils ont beaucoup à apprendre. Et parfois, ils ne veulent pas écouter, parce qu’ils te disent : « Oui c’est du vieux », « Old school » (rires). Alors que « Old school yoyou nioy dokh ba taaye ». Quand on est artiste, il faut écouter ceux qui étaient là avant toi, pour créer après. Mais tu ne peux faire de la musique sans avoir écouté les Xalam, les Frères Touré Kunda, les Salif Keita, les Johnny Cley aux temps, les jazzmen. Parce qu’il y’a des choses incroyables qui se passent maintenant. Car, la foule est là, tu penses que tu es meilleur. Non, redescendez sur terre. Un jour le feu sera rouge.
On traite vos textes parfois de féministe, vue votre adoration pour les femmes et les enfants. Est-ce le cas ?
J’ai beaucoup de respect et d’admiration pour les femmes. Je suis un grand défenseur des droits de la femme. Je veux qu’on les respecte beaucoup plus. Je suis un féministe (rires), mais pas excessif. Toute ma vie, j’ai été porté par une femme, ma mère. Ce qui a fait que je suis un éternel défenseur des femmes et des enfants. J’ai beaucoup voyagé dans les villages à la recherche des sons, des cultures et j’ai vu comment les femmes vivent, d’où la chanson « Yewou roti » qui leur est dédiée. J’adore les enfants, j’aime être entouré par des enfants, c’est des êtres purs, fragiles, innocents, magnifiques. C’est pourquoi, on retrouve dans mes textes, les femmes, les enfants et l’école. Car, mon père était un enseignant et a parcouru beaucoup de villages pour donner du savoir. C’est pourquoi je travaille mes textes, je ne veux qu’ils soient des textes qu’on jette.
Justement vous avez parlez tantôt d’un père enseignant, alors si on parle de 1988, qu’est-ce qui vous vient à l’esprit ?
Sans hésiter, c’était l’année scolaire qui est invalidée par Abdou Diouf en février à cause d’une succession de grèves des lycéens. Nous étions une génération qui voulait changer le monde, mais désarmer pour affronter ce nouveau monde qui se dessinait. Mais c’était aussi la création du groupe Missal et au début il s’appelle Keur Fiwouh (qui veut dire couvre-feu). Nos parents pensaient que c’était juste passager, après nous allons reprendre le chemin de l’école, le virus nous avez déjà piqué. Mais Dieu merci, on ne regrette rien, c’était notre destin.
Parlons maintenant des structures culturelles, comme la Sodav. Est-ce que vous percevez vos droits ? Votre chanson sur Rfm matin, est-ce que le media paye ?
Sincèrement, la Sodav est en train de faire un travail remarquable. Je perçois tous mes droits comme il le faut. Pour moi, l’argent tout ça, c’est bien, mais il n’y a pas mieux que les gens adoptent ta chanson et la mette tous les jours. L’argent ne peut pas remplacer cela, on ne peut pas payer l’artiste. Le plaisir, le bonheur qu’on donne il n’y a pas de prix. Moi, qu’on donne 10 FCFA ou 10 millions de FCFA, c’est pareil, on ne peut pas me payer. La chance que j’ai, c’est d’avoir une chanson qui fait partie du paysage culturel du Sénégal, c’est ça la paye pour un artiste. Permettez-moi de remercier Babacar Fall de la Rfm. Quand il me demandait de faire cette chanson, nous ne pensions pas que ça allait tenir autant. Et cela fait 9 ans maintenant. Je dis merci aussi à Youssou Ndour qui est un artiste comme moi et qui accepte cette chanson passe en boucle sur sa radio. Pour moi, cela n’a pas de prix.
Vous êtes un enfant de la ville. Comment expliquez-vous ce besoin de parler du terroir, de la terre, l’agriculture ?
C’est vrai que je suis un enfant de la ville. Un vrai dakarois, mais je viens aussi d’une famille qui aime la terre. Mon grand-père m’a transmis l’amour de la terre et de la campagne. Il me disait souvent : « ta force est dans la terre de tes ancêtres ». Il n’avait pas tort. Je ne le remercierai jamais assez de m’avoir initié et fait aimer la nature et la ruralité. L’agriculture fait partie de moi. Dans ma jeunesse, j’allais souvent au village de ma mère à Ross-Bethio, tous les champs de riz appartenaient à mon grand-père et mes oncles. C’est là que j’ai eu l’amour de la terre. Nous aussi, on est terre dans la dimension religieuse. Il n’y a pas mieux que la terre, elle nous supporte, nous nourrit. Pour moi, la terre c’est la première richesse pour l’humanité, la nation. Quand je vois que ce nouveau gouvernement accorde une place importante à l’agriculture, je dis Dieu merci. Le Président Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko ont compris que pour être souverain, il faut retourner à la terre. Je les encourage sur ça, je suis de tout cœur avec eux. Nous avons de la terre, la jeunesse est là, il faut les occuper. Cette initiative est magnifique, je suis à 200% avec eux. Tout le monde fait de la politique, même Dieu est politique. Moi, ma politique je la fais sur du bien et ce qui est bien pour mon pays, ma nation.
Vous avez un projet d’album, c’est prévu comme quand ?
C’est pour bientôt. J’ai sorti un single « Lima yeuk » pour annoncer la couleur. C’est un album de 14 titres intitulé « Yaye » pour rendre hommage à toutes les mères qui sont nos sèves nourricières. C’est un opus que j’ai travaillé entre l’Inde, les Iles Maurice, les Usa, la France, l’Afrique avec de très grands musiciens. Aussi, avec un réalisateur de l’Ile Maurice qui m’a trouvé cette histoire entre le pont l’océan indien et l’Afrique.
Le mot de la fin ?
Je suis fière de ce changement de régime qu’on a eu dans la paix. Car ça nous a rendus très fière aux yeux du monde. L’hémorragie était tellement terrible qu’il fallait l’arrêter. Et nous l’avons arrêté sans violence. J’ai confiance à ce qui se passe, je sais que Sénégal « dina bakh », il faudra juste de la patience et travailler, pas seulement le gouvernement, mais nous tous. Et le sacrifice, ce n’est pas seulement le gouvernement, mais tout le monde. Pas pour nous, mais pour nos petits-enfants.
Tract avec Besbi