Tract – Présentez-vous à nos lecteurs
Bonjour chers lecteurs, je suis Luchelle Feukeng, journaliste et actuellement je travaille comme chargée de la communication et du Storytelling Greenpeace Afrique, j’entretiens un dialogue essentiel avec l’organisation afin de tisser un avenir plus vert et durable sur le continent.
Quel bilan personnel faites-vous de votre engagement en faveur de la lutte contre les changements au sein de Greenpeace ?
Le premier bilan est la joie et la satisfaction de militer pour une cause vitale comme l’environnement. Vous savez, je n’ai pas grandi dans un contexte où les thématiques liées à l’environnement étaient les plus courantes. Et, en me frottant à ce domaine il y a 7 ans déjà, j’ai compris la nécessité et l’urgence d’agir rapidement pour sauver la planète de la crise à laquelle elle fait face actuellement. Quand je suivais ma formation en journalisme, je me disais qu’il fallait absolument de la communication pour construire, bâtir notre continent. Et, je suis satisfaite de mettre mon temps et talent au service de la planète. Comme mon titre l’indique, je communique, ou mieux, avec l’équipe, nous travaillons à créer une Afrique verte, à raconter les histoires des communautés impactées par les changements climatiques mais aussi et surtout à faire valoir les solutions qui sont proposées à la crise climatique, cette plaie qui ronge chaque jour notre précieuse planète.
Dans le cadre de vos engagements environnementaux, comment gérez-vous la collaboration avec les autres générations?
Chaque expérience est à valoriser. Mais quand il faut souvent concilier ces différentes perspectives, la tâche est moins aisée. On a d’un côté les dirigeants africains, qui pour la plupart estiment que l’Afrique doit se développer et ce à tous les prix. Ils ont été victime de la colonisation qui avait été une forme de tromperie et ne veulent rien faire pour permettre une bévue de plus. L’ouest s’est servi de ses ressources naturelles pour se développer et quand vient notre tour ils mettent en avant l’urgence de protéger la planète. D’autre part, il faut réussir à faire comprendre que l’exemple ne doit pas toujours venir de l’occident. Leur modèle de développement montre ses limites … car n’a pas accordé la priorité à l’épanouissement de l’individu… et que l’Afrique ne devrait pas avoir peur d’oser proposer quelque chose de différent au monde. Par ailleurs, il faut également réussir à faire comprendre que le modèle de développement basé sur l’extractivisme n’est rien d’autre qu’une forme de néocolonialisme qui enrichit les pays exploitant et appauvrit davantage les Etats africains. Et c’est cette dualité qui sous tend notre combat au quotidien et on est conscient que réussir à faire évoluer le récit actuel est un travail laborieux qui nécessite de la patience.
Comment l’éducation peut-elle être améliorée pour mieux préparer les jeunes à relever les défis environnementaux ?
L’éducation étant un levier essentiel de sensibilisation, intégrer l’éducation à l’environnement dès le plus jeune âge, permettrait aux jeunes de faire face plus aisément aux enjeux environnementaux et les doter des compétences nécessaires pour y répondre. Ceci peut se faire, en introduisant des notions simples sur la nature, le recyclage, la biodiversité, en développant des programmes complets abordant les causes et les conséquences du changement climatique, la gestion des ressources naturelles, les énergies renouvelables, etc. dans les cours des écoles primaires et des collèges. L’un des éléments clés ici va être dans la manière de transmettre ces connaissances: il n’est pas question de donner l’impression aux jeunes qu’ils doivent apporter une solution à un problème qu’ils n’ont pas causé car on sait tous que les émissions de gaz à effet de serre sont les plus faibles en Afrique. Mais il s’agira de leur présenter la nature comme un trésor, un bien commun dont on doit tous prendre soin.
Quelles innovations technologiques vous inspirent-elles le plus dans la lutte contre le dérèglement climatique, et comment peuvent-elles être mises à l’échelle efficacement au niveau du Cameroun particulièrement ?
Mon coup de cœur, sont les énergies renouvelables, surtout l’énergie solaire et éolienne. C’est passionnant de voir comment la technologie permet de produire de l’énergie électrique grâce au soleil. L’Afrique est le “continent du soleil” et reçoit plus d’heures d’ensoleillement que n’importe quel autre continent dans le monde. D’après l’Agence Internationale de l’Énergie, sur les 60% de ressources solaires mondiales, l’Afrique ne possède qu’un 1% de la capacité de production solaire. Un contraste qu’il est complexe d’expliquer. D’après les économistes, l’un des moyens clés pour les Etats de se développer est d’investir dans le secteur ou ils disposent le plus de ressources. Je pense que les Etats africains devraient davantage tirer profit du solaire pour produire de l’énergie. Et le développement des davantage de centrales solaires et éoliennes devrait permettre de pallier le problème de délestage auxquels font face plusieurs Etats en Afrique subsaharienne.
Malgré les défis environnementaux, êtes-vous optimiste quant à l’avenir de notre planète ?
L’espoir fait vivre. Si on n’y croyait pas, on cesserait tout simplement de lutter. C’est vrai que les effets se font de plus en plus ressentir. L’année 2023 a battu le record de l’année la plus chaude jamais connue et le mois de février 2024 a battu le record des mois de février les plus chauds… et l’année 2024 qui est actuellement en cours risque elle aussi de battre le même record à son tour. Cette année, des écoles ont été temporairement fermées au Soudan du Sud à cause de la canicule. Une pression qui vient ainsi fragiliser le pays déjà suffisamment fébrile à cause des conflits. Et c’est cela le réel problème, la crise climatique vient se greffer à d’autres problèmes comme les conflits, l’insécurité alimentaire, la migration clandestine etc. et honnêtement, ça craint. Mais à côté, il y a aussi des initiatives de part et d’autres dans le monde qui donnent envie de continuer de croire et de battre pour un lendemain meilleur. La lutte pour la protection de l’environnement n’est pas comparable à un match de football qui se gagne en 90 minutes. Il faut du temps pour refaire le système de pensées et des modèles de développements qui sont restés ancrés depuis des décennies. et ça ne se fait pas en un clic. Un avenir meilleur pour notre planète est possible! et cela dépendra de notre capacité à agir collectivement pour relever ces défis.
Si je vous donne maintenant une baguette magique, comment imaginez-vous un avenir durable, et quelles étapes clés devons-nous franchir pour y parvenir?
Alors je ne suis pas une fan de la magie mais je crois que par la parole nous pouvons recréer le monde.
Les pollueurs doivent cesser de polluer et commencer à payer les dommages causés par leurs actions afin que justice soit faite. Les rendez-vous, comme la COP à venir, doivent être de véritables lieux d’échanges et qui aboutissent à des solutions concrètes. Nous ne voulons plus de fausses solutions, mais que la justice climatique commence maintenant. Les fonds verts doivent effectivement être dirigés aux réels destinataires pour leur permettre de se construire sans créer une entorse à la nature.
L’un des grands tueurs silencieux de notre époque est le plastique à usage unique. Parcourez les rues de plusieurs pays d’Afrique subsaharienne et vous le verrez joncher les rues. Et en cas de pluies, certains quartiers se retrouvent inondés parce que l’eau de torrent ne peut circuler efficacement. Et comme vous le savez, 99 % du plastique est produit à base des combustibles fossiles dont le rôle prépondérant dans le réchauffement de la planète n’est plus à démontrer.
L’homme a été créé pour vivre en harmonie avec la nature et en prendre soin. Le changement de mentalité dans le combat contre les changements climatiques est crucial. Il faut changer les narratives qui veulent qu’on regarde nos ressources comme des commodités, et les considérer plutôt comme un trésor à préserver et à prendre soin. Et pour y parvenir, l’éducation pour moi occupe une place de choix, car il faut assez tôt inculquer aux générations actuelles des valeurs vertes qui leur permettront de prendre des décisions et définir des politiques de développement centrées sur la protection de l’environnement.
Propos recueillis par Baltazar Atangana