Dakar grandit. Dakar bouillonne. Mais Dakar se nourrit-elle mieux ?
Tract – À mesure que la capitale sénégalaise s’étale et se densifie, sa vulnérabilité alimentaire s’aggrave. Chaque cargaison de riz importé, chaque tomate en provenance du Maroc ou de la Hollande est un rappel cuisant de notre dépendance structurelle. Le paradoxe est flagrant : une métropole africaine, entourée de terres fertiles, de savoir-faire ancestraux et de jeunes bras disponibles, dépend pourtant de l’étranger pour se nourrir.
La zone des Niayes, autrefois grenier maraîcher de Dakar, se consume à petit feu sous les assauts conjoints de l’urbanisation croissante, de l’aménagement mal pensé et de la spéculation foncière. Et si Dakar redevenait une terre nourricière, fertile et autonome ?
Ce n’est pas un rêve. C’est une exigence, une urgence. Et surtout, une promesse d’avenir.
I. Cultiver la ville, nourrir l’avenir : le temps de la reconquête nourricière
L’agriculture urbaine est bien plus qu’un jardinage de loisir. Elle est un levier stratégique, un outil de résilience, un acte politique (de souveraineté). Des villes pionnières à travers le monde en ont fait un pilier de leur souveraineté alimentaire, de leur aménagement urbain et de leur transition écologique. Dakar devrait s’en inspirer, sans copier, mais en adaptant et en innovant.
En Île-de-France, 80 % du territoire reste rural, boisé ou agricole (à 50%). Paradoxalement, elle est, à la fois, parmi les premières régions urbaines et agricoles d’Europe. Des métropoles françaises, de Paris à Bordeaux, misent sur la végétalisation productive des toits, la reconversion des friches et la mise en réseau de jardins partagés – devenus de véritables communs alimentaires. Ainsi, les Parisculteurs, traduction d’une politique publique audacieuse, ont permis de transformer l’image de la ville dense en oasis nourricières et jardins suspendus.
À Montréal, la transition alimentaire devient politique publique avec incitations fiscales, planification intégrée, soutien logistique aux agriculteurs urbains, développement d’incubateurs agricoles. Toronto innove davantage en intégrant une obligation légale de toits verts sur les bâtiments neufs : l’agriculture n’est plus un choix, c’est une norme.
À Brooklyn, la ferme Brooklyn Grange montre que l’agriculture urbaine peut devenir un modèle économique viable, créateur d’emplois pour les jeunes des quartiers marginalisés, tout en fournissant des produits “bio” aux restaurants branchés de New-York. De même, l’île de Manhattan se distingue par ses nombreuses community garden bucoliques et jalousement gardées et entretenues par les populations locales, De véritables temples de l’éco-citoyenneté et écoles pour urban gardeners. Là-bas, l’écologie et l’inclusion sociale s’embrassent sur les toits d’usines réhabilitées et les “dents creuses” entre immeubles..
À Tokyo, Singapour ou Séoul, les mégapoles compactes relèvent le défi de la contrainte spatiale grâce à des solutions de rupture : fermes verticales, aquaponie, conteneurs agricoles connectés, agriculture souterraine, etc. L’agriculture urbaine s’y déploie comme une stratégie de souveraineté, de recherche-développement et de modernisation du système alimentaire.
À Berlin, les Prinzessinnengärten ont converti une friche en ferme urbaine participative, où 500 variétés de plantes sont cultivées sans pesticides – un bel exemple de reconversion urbaine.
Et que dire de Cuba ? Soumise à un embargo étouffant, l’île a transformé ses villes en potagers géants. À La Havane, les organopónicos produisent localement, sans engrais chimiques, l’essentiel des légumes consommés par le ville. Le savoir-faire y est collectif, à la fois scientifique et citoyen. C’est une belle leçon de souveraineté et une grande école de résilience.
Pourquoi pas nous ? Pourquoi pas Dakar ?
II. Pourquoi Dakar doit semer dès maintenant les graines de sa souveraineté ?
Dakar ne manque ni de bras, ni de cerveaux, ni de surfaces exploitables. Ce qu’il manque, c’est une vision, un sursaut, une volonté politique à la hauteur des enjeux : produire ce que nous mangeons et manger ce que nous produisons.
En effet, les bénéfices d’une agriculture urbaine audacieuse sont multiples :
– réduire la dépendance alimentaire : cultiver pour se nourrir, c’est réduire notre exposition aux chocs extérieurs (conflits, crises logistiques, fluctuations des prix internationaux) ;
– améliorer la qualité nutritionnelle : manger local, c’est manger frais, sain, diversifié et de saison.
– créer de l’emploi et du sens : l’agriculture urbaine peut former une génération de jeunes cultivateurs, de bio-entrepreneurs, d’éco-innovateurs. Un nouvel écosystème d’activités peut émerger ;
– valoriser les déchets et les eaux usées : compostage des déchets organiques, réutilisation des eaux traitées de Cambérène, transformation des boues de vidange en fertilisants ;
– lutter contre les îlots de chaleur et améliorer le microclimat urbain ;
– réduire les risques d’inondation : les bassins de rétention végétalisés peuvent infiltrer les eaux pluviales et retenir les crues ;
– transformer les écoles en micro-fermes pédagogiques : les cours de récréation peuvent devenir des jardins comestibles, alimentant les cantines et les consciences.
III. Faire de Dakar une capitale verte, nourricière et solidaire : des actions concrètes
Cette ambition appelle une stratégie intégrée, structurée et transversale. Il ne s’agit pas de verdir quelques façades ou cours intérieures, mais de repenser la ville comme un système agro-écologique complet. Souvenons-nous que la région s’appelait, jadis, Cap-Vert.
Voici quelques leviers essentiels :
1. Planifier l’agriculture urbaine comme une fonction à part entière de la ville (au même titre que le logement, les transports ou les équipements).
2. Sanctuariser les terres agricoles restantes, notamment les Niayes et interdire toute mutation foncière non stratégique.
3. Créer un Fonds d’investissement pour l’agriculture urbaine, appuyé par la coopération, la RSE, les associations et les banques de développement.
4. Adopter, dans les codes de l’urbanisme et de la construction, une partie relative à l’agriculture urbaine et définissant statuts, règles, incitations et protections pour les acteurs du secteur.
5. Mobiliser les bâtiments publics (écoles, hôpitaux, mairies, ministères) pour expérimenter les cours et toits cultivés.
6. Lancer une “Charte Dakar Ville Verte et Nourricière”, assortie d’un label pour encourager les initiatives citoyennes, scolaires et entrepreneuriales locales.
7. Mettre en place une gouvernance multi-acteurs : collectivités, État, société civile, universités, jeunes, femmes et diaspora au service de cette politique innovante.
8. Déployer une “armée” verte d’agriculteurs urbains volontaires – citoyens, élèves, prisonniers, retraités, jeunes en quête d’insertion – qui cultiveraient la ville au nom de l’intérêt général.
9. Travailler sur toute la chaîne de valeur, depuis les circuits courts, de commercialisation et la transformation artisanale ou semi-industrielle des produits.
IV. Un appel à l’action collective : pour que Dakar se nourrisse elle-même, dignement et durablement
Dakar peut devenir un modèle de résilience urbaine en Afrique. Pas seulement une ville moderne, mais une ville nourricière. Pas seulement une capitale administrative, mais une cité cultivée, vivante, verte et écologique.
Ce combat pour l’agriculture urbaine est un combat pour la dignité, pour la justice sociale, pour l’autonomie collective. Il est aussi culturel et identitaire : renouer avec la terre, avec les savoirs paysans, avec les pratiques autochtones tout en innovant.
Oui, il ne s’agit pas seulement d’agriculture. Il s’agit aussi d’éducation, de santé publique, d’écologie, de jeunesse, de transports (avec les circuits courts), d’économie locale, etc.
Et si le XXIe siècle voyait émerger non pas des villes toujours plus verticales, mais des villes plus fertiles ? Et si la révolution verte partait des toits et interstices de Dakar ? Et si, dès aujourd’hui, nous semions les graines du changement ?
Le moment est venu :
Cultivons Dakar ! Nourrissons notre avenir ! Ensemble.
Par Oumar Ba
Urbaniste / Citoyen sénégalais
umaralfaaruuq@outlook.com