Tract – Gaza : « Depuis que l’AFP a été fondée en août 1944, nous avons perdu des journalistes dans des conflits, nous avons eu des blessés et des prisonniers dans nos rangs, mais aucun de nous n’a le souvenir d’avoir vu un collaborateur mourir de faim. » Cette chute pathétique du communiqué de la Société des journalistes de l’Agence France presse (Afp), en date du 21 juillet, révèle une facette du drame que vit la Bande de Gaza depuis presque deux ans. Mais surtout elle éclaire notre conscience sur le sort des professionnels de médias qui exercent dans les zones en conflit ou en guerre.
La situation à Gaza est particulière, en ce sens que les populations sont confrontées, tout comme les journalistes aussi, aux affres de la faim, de manque de vivres, de soins, de l’insécurité, d’hygiène (manque d’eau), d’un blocus déshumanisant… Les dix pigistes qui travaillent avec l’Agence, depuis le départ de ses journalistes staff depuis courant 2024 (la presse internationale étant interdite d’entrée dans la Bande de Gaza depuis pratiquement deux ans), en sont réduits à subir l’atrocité de la guerre, la faim et la soif, avec le bombardement intensif et sans répit de l’armée israélienne qui se donne à cœur-joie dans sa riposte après l’attaque du Hamas contre le territoire israélien le 7 octobre 2023. Le quotidien des reporters de guerre (ils le sont par la force des choses) de la Bande de Gaza est balisé entre la mort et la faim. Un autre conflit moins meurtrier, russo-ukrainien, occupe également la Une de l’actualité mondiale depuis plus de deux ans également. Mais là, les professionnels des médias ukrainiens ne subissent pas le sort de leurs collègues de Gaza.
Indépendamment des difficultés quotidiennes auxquelles ils font face et pour lesquelles notre compassion et solidarité sont entières et réelles. Nous avons d’ailleurs récemment vu des confrères africains embarqués par l’Union européenne aller jusqu’à la lointaine Ukraine avec néanmoins toutes les mesures sécuritaires nécessaires. Un scénario impensable dans la Bande de Gaza où la perspective et l’angle de traitement de l’information ne nous sont données, nous autres du Sud global que par l’Occident.
L’aide apportée par les différentes organisations de journalistes aux confrères d’Ukraine (gilets pare-balles, aide à sortir du territoire, équipements pour la survie et la pérennité des médias, appuis psychologiques…) n’est pas la même que celle prodiguée aux confrères de la bande de Gaza où la principale difficulté demeure l’accès. Evidemment le critère de proximité joue plus en faveur de l’Ukraine qu’on aimerait, depuis l’Europe, écarter des foudres de l’hydre russe.
Le drame pour les professionnels des médias, de par le monde, est l’absence de réaction vigoureuse et soutenue de leurs organisations d’abord pour faire sentir une solidarité sans frontière. Indépendamment de ce qu’ont pu jusque-là apporter les grandes organisations comme Reporters sans frontière (Rsf), la Fédération internationale des journalistes (Fij), Committee to protect journalists (Cpj). Se dessine aujourd’hui la perspective de la couverture des conflits en zone de conflit, surtout si ceux-ci se situent en terrains d’accès difficile. Une réalité pas encore suffisamment connue, étudiée, documentée. Mais qui interpelle, au-delà des professionnels, les opinions publiques, les gouvernements, les défenseurs des droits humains et de la liberté d’expression et de presse.
Le journalisme de données (data journalism), combiné à l’Intelligence artificielle (Ia), semble être une alternative par rapport l’impossibilité et aux difficultés d’accès de certaines zones. Une bribe informationnelle peut être grossie par ces outils pour une lecture « visualisée » de l’information, mais la réalité du terrain semble plus prégnante que jamais. Loin de tout parti pris où de l’utilisation de l’information comme arme. Encore que vous n’avez certainement pas vu de morts ou blessés ukrainiens pendant que les horreurs d’enfants affamés, tués, sans soins défilent à longueur de chaînes.
Ibrahima Khaliloullah NDIAYE