Symbole du virage de la sélection nationale depuis 2015, Aliou Cissé est un entraîneur qui jouit d’un grand capital sympathie. Si les succès sont modestes, l’homme reste pourtant une icône qui suscite beaucoup d’espoir et fait aussi l’objet de beaucoup de scepticisme. Chronique sur une trajectoire.
A Kandé, quartier du nord-est de Ziguinchor, quand Aliou Cissé passe se ressourcer, c’est l’enfant du pays qu’on chante. Les liesses succèdent aux fiertés devant le fil prodigue. Kandé est resté un quartier modeste, qui a eu son heure de gloire avec son ASC dans les années 90. Un quartier aux lotissements tardifs, où les demeures collées rappellent les huttes et les cases originelles. Se promener dans les dédales de ce Kandé où la proximité a créé des liens solides, c’est se risquer à entendre des propos louangeurs sur les icônes locales qui font encore rêver les enfants. Comme ce jour, en 2002, après la campagne de l’équipe nationale de football en Corée et au Japon, où Aliou Cissé est venu partager sa joie avec les siens. Sur tout le trajet, les mêmes cris de joie qui escortent l’homme jusqu’à sa demeure. Plus que de la joie, on ressent dans les visages remplis de fierté, le sentiment d’appartenir à cette histoire qui s’écrit.
L’enfant du pays
L’adage sénégalais a coutume de dire que l’enfant béni est l’enfant de tous, c’est aussi vrai des stars du football qui deviennent les porte-étendards de quartiers ou de régions où la joie est si rare. Comme à Bambali pour Sadio Mané, Balacoss pour El Hadj Ousseynou Diouf, le succès a un autre goût quand il se remémore le berceau de l’envol. Ces pèlerinages retour ne sont pas seulement bons pour garder les pieds sur terre, ils disent aussi que l’aventure sportive n’est jamais solitaire. A Kandé, bien au faîte de cette vérité, on prolonge le plaisir. La fin de carrière du joueur Aliou Cissé n’a pas clos l’horizon. Avec sa nomination à la tête de la sélection nationale, c’est une double fierté : le sentiment d’entrer dans la profondeur de l’histoire. Dans les assemblées au seuil des maisons, mille sélectionneurs, dégustant leur thé, aiment et proposent leur expertise pour aider le coach. Ce Kandé pourtant, Aliou Cissé le quitte très jeune, vers 10 ans, pour s’établir dans le Val-de-Marne à Champigny. C’est la découverte d’une terre d’adoption qui deviendra aussi une patrie de cœur.
Un guerrier à la tâche
Les aptitudes entraîneur d’Aliou Cissé ont été très vite perçues. Si sa carrière de joueur n’a pas eu de retentissement outre mesure, on se souvient tous de sa crinière de lion, de ses aboiements sur le terrain et de sa hargne à la tâche. Dans une équipe nationale touchée par la grâce à la veille et au début des années 2000, Aliou Cissé s’est imposé comme une évidence dans l’entrejeu où sa capacité à harceler l’adversaire et à insuffler cette énergie, ont fait de lui un taulier. Si les honneurs n’ont pas sanctionné les périples de cette équipe, l’histoire retiendra qu’Aliou Cissé a porté plus qu’un brassard. Il a été un meneur d’hommes et de destins, au charisme solidement ancré qui inspirait par sa rigueur et son sérieux, l’estime voire l’admiration de ses co-équipiers. Beaucoup de joueurs dont le talent n’est pas fulgurant, ont joué la réputation de leur carrière dans ce champ annexe de la bravoure et de l’honneur. Deux qualités que l’homme a promenées de manière épisodique, sur les pelouses de ligue 1, à Lille, au PSG entre autres, avec quelques exils en Premier League anglaise avec Birmingham et Portsmouth. Il totalise près de 300 matchs au haut niveau, pour des récompenses timides. Si son talent n’a pas conquis les mémoires, son engagement sur le terrain lui est resté une marque de fabrique. Quoi de plus logique alors qu’il s’investisse dans une carrière de sélectionneur ?
Les prémisses d’un leadership
Depuis 2015, après l’avoir attentivement suivi comme membre du staff, il est à la tête de la sélection nationale sénégalaise. Quoi de plus formidable ! Quelle consécration. Il a sous ses ordres une équipe nationale prometteuse qui compile de grands noms à côtés de jeunes pousses prêtes à s’envoler. Sa nomination après la débâche de l’ancien sélectionneur Alain Giresse a presque des accents politiques. Des années déjà que le procès des entraîneurs étrangers est fait régulièrement dans les colonnes de la presse et dans les discussions. Pourquoi maintenir ce complexe, ce lien avec l’ancien colonisateur, qui offre son expertise contre des sommes considérables. Le temps des sorciers blancs avait été à l’échelle nationale décrété terminé depuis longtemps. Même s’il y a eu des rechutes, l’idée de nommer des entraîneurs sénégalais, était largement partagée, comme un symbole du crédit accordé au local. Aliou Cissé est arrivé au bon moment, il coche toutes les cases : jeune, avec un passé possiblement glorieux, enfant de Kandé, à la tête d’une équipe qui a de grandes ambitions et qui s’est hissée au premier rang continental, tout parlait pour Aliou Cissé. Jusqu’à cette image de sex-symbol qui pendant la dernière coupe du monde a affolé les chroniques, avec ses rastas, ses chemises unies et ajustées. Le bel homme de 43 ans a fait chavirer beaucoup de supportrices par son charme et par ce qu’il incarnait. Tous les ingrédients pour la narration sur le renouveau étaient là. Même s’il n’a presque jamais été question de réelle compétence – du moment que c’était le fils de Kandé et du Sénégal – avec un peu de chance, de prières, il pouvait s’en tirer.
Un investissement vraiment local ?
Dans l’ombre en effet, réalité moins connue, le poste d’entraîneur, des équipes de quartiers aux équipes de ligues nationales, est un poste ingrat. Mal payés, peu formés, peu suivis par les instances du football national, les coachs n’échappent pas à l’informel généralisé qui frappe le pays. Conséquence logique, le football national ne s’épanouit pas dans une culture de la transmission professionnelle. Si la passion du sport est restée forte, une ingénierie et une école avec des valeurs et une identité, n’ont jamais été partagées au niveau national. L’absence de planning crée un univers où on pilote à vue, en misant sur le destin. La nomination de Cissé aurait pu avoir la vertu de déclic pour allumer un feu. Si on veut miser local, il faut vraiment y aller jusqu’au bout. A vraiment examiner la logique, on ne manque pas d’être circonspect, car Aliou Cissé, depuis quatre ans, n’a rien révolutionné. Ni à l’intérieur, ni à l’extérieur. Sa nomination pleine d’espoir n’aura eu qu’un impact marginal sur le sport national dont l’équipe nationale est la locomotive.
Un bilan insuffisant
Plus qu’inquiétante, l’absence de palmarès est l’autre sujet de préoccupation. Encore pourrait-on être clément si dans le jeu il donnait des gages. Mais ce qu’on ne gagne pas en trophées, on ne semble pas le récupérer en performances. L’équipe reste, de compétitions en compétitions, étrangement la même que sous les autres coachs dans son offre de jeu. Il ne se dégage dans le contenu ni volonté de jeu, ni discipline tactique. Même quand ces qualités sont là, c’est trop irrégulier. Presque toujours la même rengaine, l’équipe progresse lentement, dans un yo-yo, où on a du mal à voir l’horizon. Les compétitions commencent souvent en fanfares sous le label du « ndam rek [i]» et finissent en résignation sous le label du « bu fi yamone sax mu neex [ii]». On a surtout vu Aliou Cissé à court d’idées, tâtonnant, semblant par moment dépassé, pas à la hauteur des enjeux. Comme dans beaucoup de secteurs, la capacité à évaluer la compétence, à la sanctionner au besoin, sera nécessaire pour promouvoir le talent, le mérite et la maîtrise. Le départ des sorciers blancs ne doit pas déboucher sur la complaisance avec les sorciers noirs. L’appartenance à la communauté ne saurait être une immunité. En observant cette équipe, c’est ce qui se dégage : les critiques de l’enfant de Kandé sont périphériques, pas franches. La volonté estimable de le voir réussir, pour démentir l’histoire, est si intense que les quelques médiocrités entrevues passent à la trappe. Le métier de sélectionneur demande un vrai savoir-faire, plus que celui de coach : les seules prédispositions de leadership sont à l’évidence insuffisantes. L’économie du football est devenue si impitoyable que pour gagner, tous les domaines de performance doivent se mettre en branle. Du sportif à l’extra-sportif. Les sélectionneurs doivent être des directeurs de ressources humaines aux idées qui dépassent les seuls cadres des compétitions.
Ce travail n’est pas assez perçu. Sans doute Aliou Cissé ne peut-il être rendu comptable de ça, mais pour l’heure, il ne donne pas de gages. Ses idées sont illisibles, ses conférences de presse assez atones. Le succès est souvent la sanction de processus plus global. A moins de se contenter de succès accidentels, l’équipe nationale sera véritablement glorieuse quand au niveau national, une véritable école du football, du sport de manière générale, une culture de l’excellence envahiront tous les lieux de décision. Pour l’heure, nous semblons avoir un sorcier noir qui tire à blanc. Qui satisfait la fierté, non le produit. De la sorcellerie en somme, sans distinction de race. Même en chaussant les lunettes à monture fines de l’enfant de Kandé, accessoire essentiel de l’attirail du sélectionneur. Il nous plaît de croire qu’il y verra plus clair s’il les ôte.
[i] Seule la victoire compte
[ii] Sagesse de la résignation