« Repli ethnico-tribal identitaire« . C’est fort. Entendu ce matin, dans la bouche d’un analyste politique, sur une antenne de radio internationale, à propos du Cameroun qui veut réserver les mairies de villes aux « autochtones » de celles-ci. Les mairies de villes à distinguer des mairies d’arrondissements, qui composent les grandes villes.
En effet, la nouvelle loi de décentralisation votée hier à Yaoundé par les députés camerounais institue, dans un de ses articles, que tout le monde pourra être élu maire d’arrondissement, mais seul les personnes « autochtones » des villes pourront être élues et donc être candidates pour le poste d’édile, à choisir par les futurs conseillers municipaux. Les prochaines élections municipales au Cameroun se tiendront le 9 février 2020.
Alors qu’en est-t-il ? Loi tribaliste ? La situation est plus complexe que cela. La loi entérine d’abord un état de fait. Qui est que seuls les originaires, dans les grandes villes, étaient nommés délégués du gouvernement (Douala et à Yaoundé). Un ressortissant du Centre (généralement d’ethnie béti) pour Yaoundé et un ressortissant du Littoral (le plus souvent de la tribu sawa) pour Douala. Ces délégués du gouvernements, super maires nommés par décret présidentiel, seront désormais remplacés par des maires élus. Ce qui est déjà une avancée démocratique. Mais le régime de Biya a voulu préserve la situation ante.
Car le Cameroun est un pays d’équilibres telluriques qui pourraient virer à des éruptions sismiques, si tout n’est pas fait pour maintenir le savant dosage qui préside aux nominations ministérielles, aux admissions aux concours des grands corps de la Fonction publique et des écoles nationales; et désormais aux élections locales. Tectonique des plaques dans laquelle, en 38 ans de pouvoir, le locataire du Palais d’Etoudi Paul Biya, est passé maître.
« Toutes les ethnies, à part les Bamilékés, seraient contentes de cette loi », estime un de mes contacts. Les Bamilékés, osons – le dire, que les autres Camerounais considèrent « envahissants », « car ayant parfois 3 femmes et 10 enfants » (jugement qui se discute), possesseurs de la « puissance financière et économique » du pays ( ce qui est vrai, même s’il y a des milliardaires venant d’autres tribus) et « parmi les plus travailleurs » des Camerounais (ce qui est incontestable).
Les Bamilékés seraient aussi majoritaires dans des régions comme le Littoral. Dans la cosmopolite ville de Douala, capitale du Littoral, des Bamilékés ont souvent été maires d’arrondissements, depuis les années 90, où cette fonction est ouverte à la compétition, d’abord entre apparatchiks du RDPC (Rassemblement du Peuple Camerounais, parti au pouvoir); puis avec le multipartisme, ouvert à tous les partis : Fampou, Foning, pour n’en citer que les plus emblématiques…
Mais ce que les Bamilékés considèrent comme une » une ville », les autochtones le considèrent comme « leurs villages ». Et ils aimeraient que cette vision prévale : ils en veulent pour preuve que tout Camerounais, quand il décède, se fait enterrer par sa famille « dans son village ». Il faut donc que « les minorités soient protégées ». Un candidat autochtone aux prochaine municipale pointe ainsi qu’ à Douaal 4 (Bonabéri), sur la liste d’un parti, sur 40 candidats au poste de conseillers municipaux, il y a plus de 30 Bamilékés.
Bien. Qu’en penser en définitive ? La loi doit, il est vrai, souvent entériner des situations de fait. Mais le progrès et le progressisme, c’est que la loi prévoit et dispose pour l’avenir. N’y a-t-il pas un brassage, même timide, entre tribus camerounaises? Les gènes doivent-ils être des chaines? », pour paraphraser la romancière Fatou Diome ?
En tous les cas, cette disposition « autochtonique », pour cause de risque tectonique, a soulevé beaucoup de débats passionnés au Cameroun. C’est une bonne chose pour l’avenir, que seuls vivront peut-être des générations non encore nées. Mais, la volonté de changement (des mentalités et des lois) commence par la discussion et la confrontation d’argumentations.
Une autre disposition de nouvelle loi sur la décentralisation, dont les Camerounais s’accordent, cette fois-ci unanimement, à penser qu’elle est bonne ? C’est celle qui accorde aux deux régions anglophones du pays (Sud-Ouest et Nord – Ouest) le droit de désormais voter les lois eux-mêmes les lois qui les gouverneront en matière de justice et d’éducation.
Alors, « un pas en avant, un pas en arrière » ? Au Cameroun, cela s’appelle « la danse bafia ». Qui se trouve être une ethnie du Centre.
Ousseynou Nar Gueye
Fondateur de Tract
@Tract 2019