La Lombardie est-elle le nouveau Wuhan? Alors que le nombre de cas et de morts dus au nouveau coronavirus Sars-Cov2 continue de grimper en Italie, le pays a placé près de 15 millions de personnes en quarantaine. Avec 463 morts déplorés à la date du 9 mars, le pays devient le plus touché après la Chine.
« L’Italie est le nouveau Wuhan », a déclaré ce dimanche 8 mars sur Twitter Éric Feigl-Ding, épidémiologiste à Harvard, en référence à la ville dont est partie l’épidémie en Chine. En Italie, “le nombre de cas et la sévérité semblent similaires au début de Wuhan”, abonde Muge Cevik, virologue à l’université de Saint Andrews.
Alors que la France voit aussi son bilan augmenter quotidiennement depuis deux semaines, il est logique de se demander pourquoi l’Italie, pays si proche, est si durement touché par Covid-19, la maladie causée par le nouveau coronavirus.
Le problème, c’est qu’il est difficile d’y voir clair. « Il n’y a quasiment pas de publication scientifique de qualité sur l’impact du coronavirus en Italie pour le moment », explique au HuffPost Jean-Stéphane Dhersin, directeur adjoint scientifique de l’Institut national des sciences Mathématiques et de leurs Interactions du CNRS, spécialiste des modélisations épidémiologiques.
Ce qui est sûr: c’est avant tout une question de chance, ou plutôt de malchance. « En début d’épidémie, il y a une partie aléatoire très importante », rappelle le chercheur. En effet, en moyenne, une personne infectée par un virus va le transmettre à un certain nombre de personnes. C’est le taux de reproduction, appelé « r0 ». Mais c’est une moyenne, il est donc possible qu’un individu infecté ne contamine personne.
Par contre, une fois qu’une masse suffisante de citoyens sont contaminés, l’évolution est alors exponentielle. Actuellement, le r0 du coronavirus est estimé entre 2 et 3, ce qui veut dire qu’en moyenne, une personne infectée en contamine entre deux et trois. Ces chiffres pourraient évidemment évoluer à mesure que la connaissance scientifique progresse autour de cette nouvelle maladie.
Le passage de ce stade aléatoire au stade exponentiel est souvent lié à un phénomène bien spécial: la survenue d’un épisode de « super spreading ». « On a remarqué qu’en général, une épidémie décolle souvent, passe de l’aléatoire à l’exponentiel, à cause des super spreaders, soit un patient qui en contamine beaucoup d’autres », précise Jean-Stéphane Dhersin.
Pour le nouveau coronavirus, les chercheurs sont encore divisés sur la réalité de ces événements. « En Corée du Sud, il semblerait qu’un patient en ait contaminé 42 autres », explique le spécialiste des modélisations épidémiologiques. « Un autre point sur lequel on n’a pas assez de retours, c’est la période d’incubation, qui semble être en moyenne de 3-5 jours, il est possible que l’explosion soit due au fait que l’épidémie est restée cachée pendant certains temps ».
Mais pourquoi en Italie plus qu’ailleurs? « Il y a peut-être des raisons de santé publique, je ne sais pas, mais j’aurais tendance à dire que ce qui se passe là-bas peut arriver ailleurs également », estime le chercheur. D’ailleurs, quand on regarde l’évolution du nombre de cas, la France et l’Allemagne ne sont pas éloignées de la situation en Italie il y a 10 jours.
Pour autant, il faut faire attention à ne pas trop s’appuyer à 100% sur ces chiffres. « Tous les pays n’ont pas la même notion de personnes infectées. Certains vont communiquer sur personnes testées positives au Sars-Cov2, d’autres vont y ajouter les personnes présentant les symptômes de la maladie », rappelle Jean-Stéphane Dhersin. C’est entre autres pour cela que le taux de mortalité (morts divisés par nombre de cas) ne veut pas dire grand-chose.
Pour autant, l’Italie est aujourd’hui le pays qui compte le plus de morts liés au coronavirus, après la Chine. Un chiffre impressionnant. Même s’il faut rester prudent, deux pistes peuvent permettre de comprendre cela.
La première, c’est que l’Italie est le deuxième pays le plus vieux du monde, derrière le Japon. Or, au vu des 44.000 cas étudiés en Chine, la gravité de Covid-19 semble augmenter avec l’âge. « Dans les chiffres qui circulent, les morts italiens sont très vieux », précise Jean-Stéphane Dhersin. En effet, le docteur italien Faris Durmo évoque sur Twitter des chiffres officiels de l’ordre des médecins qui parle d’un âge médian de décès autour de 81,5 ans.
À l’inverse, en Corée du Sud, pays touché depuis plus longtemps par le coronavirus, il y a beaucoup plus de jeunes infectés de moins de 30 ans dans les données officielles. Plus de jeunes implique moins de risques de complication.
Éviter l’engorgement des hôpitaux
« Une autre possibilité, c’est que les services d’urgence en Italie soient débordés », estime Jean-Stéphane Dhersin. Et en effet, les services italiens semblent très encombrés, avec 9% des patients admis en soins intensifs, selon les chiffres donnés par le docteur Faris Durmo.
Justement, Antonio Pesenti, le chef de la cellule de crise des soins intensifs de Lombardie, a déclaré le 7 mars, dans une interview au Corriere della Sera, que « le système de santé est au bord de l’effondrement » en Lombardie. Interrogé par l’Afp, le docteur Christian Salaroli explique de son côté qu’en Lombardie, les médecins doivent aujourd’hui choisir qui soigner « en fonction de l’âge et de l’état de santé, comme dans les situations de guerre ».
C’est justement pour éviter un tel engorgement que des mesures sont prises. Si les quarantaines géantes font le plus parler, c’est surtout le bon suivi des personnes infectées et la bonne information de la population qui sont les plus efficaces selon l’Oms. « Je pense vraiment que le fait que le grand public respecte les recommandations est important », affirme Jean-Stéphane Dhersin.
C’est si ses citoyens connaissent les symptômes, alertent au bon moment, sans sur-réagir ni paniquer, et respectent les gestes barrière (lavage de mains, tousser dans son coude, utiliser des mouchoirs à usage unique), qu’un pays peut espérer contrôler l’épidémie. Afin d’éviter un pic qui engorge le système de santé et n’entraîne plus de morts.
Tract (avec médias)