C’est le Point français qui pose la question : la Chine détient 40% de la dette africaine. Que sera-t-elle ? Sous la plume de Viviane Forson, le Point rappelle que n’est un secret pour personne que la Chineest devenue l’un des principaux créanciers des pays en développement. Le continent africain lui doit au total un tiers de sa dette, soit 145 milliards de dollars, selon les estimations des ministres africains des Finances. C’est à la Guinée de Sékou Touré que l’empire du Milieu avait consenti son premier prêt dans les années 1960. Toute la semaine, les annonces se sont succédé : lundi, le FMI a accordé 215 millions de dollars d’allégement de dette initial à 19 pays africains. Mercredi, les pays du G20, dont la Chine, les États-Unis, l’Inde et d’autres, ont proposé de suspendre le paiement de la dette jusqu’à la fin de 2020, malgré les appels des dirigeants africains à « annuler massivement leur dette ». Et la Chine ?
La Chine interpellée
Il y a quelques semaines, tous les ministres africains des Finances ont demandé un soutien de 100 milliards de dollars, un moratoire sur toutes les dettes extérieures et voir certaines annulations de dettes, pour faire face aux retombées économiques de la pandémie du Covid-19. Leur porte-parole, le ministre des Finances du Ghana Ken Ofori-Atta, avait alors exhorté l’empire du Milieu à aider les pays africains à alléger le fardeau de leur dette. « J’ai le sentiment que la Chine doit devenir plus forte », dit Ken Ofori-Atta. D’après le ministre ghanéen interlocuteur désigné pour esquisser l’après Covid-19 avec le FMI : la dette africaine envers la Chine est estimée à environ 145 milliards de dollars, dont 8 milliards qui sont redevables cette année.
Des chiffres qui donnent le tournis
Des chiffres qui se rapprochent de ceux publiés par la China Africa Research Initiative de la Johns Hopkins School of Advanced International Studies à Washington. Les experts de cette institution estiment qu’il y a eu 152 milliards de dollars – accordés à 49 gouvernements africains et à ses entreprises entre 2000 et 2018. La Chine ne publie pas de données sur ses prêts à l’étranger. Normalement, lorsque des organismes créanciers comme le Club de Paris cherchent à coordonner la restructuration de la dette ou des mesures d’allègement pour des pays débiteurs, « un appel de données » est lancé, une étape où les membres du club communiquent les numéros de prêts complets. Cette fois, la Chine pourra-t-elle se passer de donner toutes les informations ? En effet, les experts estiment que tout effort visant à suspendre le service de la dette ou à étendre un allégement de celle-ci aux pays en développement ne pourra se faire sans la Chine. « Nous sommes conscients que certains pays et organisations internationales ont appelé à des programmes d’allégement de la dette pour les pays africains, et nous sommes prêts à étudier la possibilité de cela conjointement avec la communauté internationale », a d’abord déclaré un officiel chinois.
Différencier prêts et dettes
Mais tous ces chiffres sont également à prendre avec beaucoup de précautions : prêts et dettes sont deux choses différentes. Par exemple, en 2017, la Chine avait accepté de prêter au Nigeria 5,3 milliards de dollars pour des projets de transport, d’informatique et d’électricité, mais n’avait déboursé que 2,5 milliards de dollars. Les chiffres ne tiennent pas non plus compte des remboursements, informent les auteurs du rapport Chinese Debt Relief: Fact and Fiction, publié par la revue Diplomat de la Johns Hopkins School. Un pays comme l’Angola a déjà remboursé au moins 16,7 milliards de dollars de ses prêts chinois.
Le problème qui se pose aujourd’hui est qu’avec la crise actuelle, tout niveau d’endettement risque d’être insoutenable. « L’origine du problème de la dette de l’Afrique est complexe et le profil de la dette de chaque pays varie », a déclaré le ministère chinois des Affaires étrangères. Il apparaît clairement que la Chine n’est pas prête à changer son approche et va traiter la question sur le plan bilatéral plutôt que multilatéral.
Le Covid-19 a fait plonger la Chine
Contrairement aux principaux pays occidentaux qui ont accordé un allégement de la dette dans le passé, une grande partie de la dette de la Chine envers l’Afrique comporte des conditions commerciales. Alors que la rentabilité financière qu’attend la Chine s’éloigne un peu plus avec la crise du Covid-19, et la paralysie de l’économie africaine – sa propre économie devrait se contracter pour la première fois en trois décennies. En effet, le PIB s’est effondré de 6,8 % au 1er trimestre, son plus mauvais résultat depuis la fin de l’ère maoïste, au moment où l’épidémie de Covid-19 paralysait le pays. En raison des incertitudes persistantes liées à la pandémie, la Chine, qui dresse chaque année en mars sa feuille de route économique, n’a toujours pas fixé d’objectif de croissance pour 2020. Dans ses dernières prévisions, le Fonds monétaire international (FMI) a dit mardi s’attendre à une croissance « modérée » de + 1,2 % cette année, avant une flambée de + 9,2 % l’an prochain, à la faveur d’une reprise espérée de l’économie mondiale. Fin 2018, la Chine elle-même devait 1,96 billion de dollars de dette extérieure. La branche sud-africaine du centre d’analyse politique Politico informe que ces mauvaises nouvelles ont déjà des répercussions concrètes sur le terrain. « Pékin s’inquiète de plus en plus du fait que ses projets d’infrastructure de plusieurs milliards de dollars dans plusieurs pays comme le Zimbabwe sont maintenant à l’arrêt à cause du coronavirus. Non seulement le personnel technique n’est pas en mesure de se rendre sur le continent, mais les matériaux de construction s’épuisent à mesure que les chaînes d’approvisionnement s’assèchent. »
Des pays africains au pied du mur
Dans le cadre de leurs efforts pour contenir les retombées économiques, sociales et politiques de la crise Covid-19, de nombreux pays africains ont annoncé d’importants plans de relance budgétaire. Pour les experts, ces nouveaux plans sont synonymes de surendettement. La Commission économique pour l’Afrique (CEA), une agence régionale des Nations unies, a averti que la pandémie pourrait réduire le PIB du continent de 3,2 % à moins de 2 %, alors que la crise perturbe les chaînes d’approvisionnement mondiales. La CEA a estimé que les recettes d’exportation chuteront de 101 milliards de dollars, dont 65 milliards de dollars pour les pays producteurs de pétrole, dont l’Angola et le Nigeria, alors que les prix du pétrole brut continuent de chuter.
L’empire du Milieu a déjà accordé plusieurs annulations de dette
Cependant, allant à l’encontre des idées reçues, une récente étude sur l’allégement de la dette chinoise a conclu que les annulations de la Chine étaient « courantes ». « Oui, la Chine a annulé plus de 4 milliards de dollars de dette des pays à faible revenu depuis 2000 », déclarent les auteurs de ces travaux. Cependant, « ces dettes annulées – plus de 376 d’entre elles – provenaient presque toutes d’une petite catégorie de prêts chinois : des prêts d’aide étrangère sans intérêt qui avaient atteint la maturité sans être entièrement remboursés. En Afrique, les prêts sans intérêt s’élèvent aujourd’hui en moyenne à 10 millions de dollars et représentent moins de 5 % des prêts chinois. »
En 2018, la Chine a annulé la dette du Cameroun de 78 millions de dollars, la dette du Botswana de 7,2 millions de dollars et 10,6 millions de dollars dus par le Lesotho, et l’année précédente, elle a annulé 160 millions de dollars dus par le Soudan. Mais s’il y a un épisode important à connaître sur cette question, c’est sans nul doute la restructuration de la dette de 1,6 milliard de dollars de la République du Congo en 2019. Le pays était au bord de la cessation de paiements et la Chine, sous les appels du FMI et de la Banque mondiale, était intervenue pour fournir de nouvelles conditions pour huit des deux douzaines de prêts chinois du pays. Cet examen compliqué, prêt par prêt, a montré la différence d’approche avec le Club de Paris, qui traitent généralement l’intégralité du stock de dette. Au bout du processus, le FMI avait débloqué 449 millions de dollars pour aider le pays.
Tract (avec le Point)