ET DIT TÔT- (Cet éditorial a été publié une première fois le 5 juillet 2020. Il est republié à la faveur de la situation actuelle à Ndengler, ce 5 mai 2021 : face aux troubles, le préfet de Mbour a demandé par arrêté la suspension des activités agricoles de Sedima dans cette localité et mobilisé la gendarmerie. Les populations de Djilakh, plus proches du site litigieux que celles de Ndengler, soutiennent la Sedima). Dans cette vidéo où il tient une conférence de presse, le sieur Bassirou Diomaye Faye de Ndiaganio « accuse » Sedima de vouloir faire des populations de Ndengler des « ouvriers agricoles ». Mais si cela était vrai, en quoi est-ce scandaleux ? Des puissances mondiales développent leur agriculture sur des surfaces latifundiaires employant des centaines d’ouvriers agricoles. Et c’est très bien ainsi, avec une haute productivité et des rendements élevés. Car la seule autre alternative viable pour un agribusiness de développement, c’est l’agriculture mécanisée où deux personnes dans un champ, au volant de tracteurs et de moissonneuses-batteuses, produisent à eux seuls des récoltes pour des centaines de milliers de personnes. Et cette option n’est pas à privilegier au Sénégal, dans un pays au chômage élevé (notamment celui des jeunes) et à l’emploi précaire généralisé. Quant à l’agriculture dite familiale sur de petites parcelles, c’est une douce utopie qui nous fait revenir aux temps moyenâgeux du troc et de l’agriculture de subsistance. Nous n’en voulons pas.
Mais pour comprendre cette répulsion des Sénégalais à être des ouvriers agricoles, il faut entrer dans leur psyché. Dans un pays dont les ethnies majoritaires (Wolofs et Hal pulaar) croient au système des castes, l’agriculture était l’apanage des prétendus « nobles ». Donc, quand ils cultivent pour un patron, les Sénégalais pensent devenir des esclaves captifs. Ainsi, en devenant ouvrier agricole, le Sénégalais a l’impression qu’il se retrouve à l’époque des champs de coton esclavagistes des Amériques où ont été convoyés des Africains mis en captivité durant la Traite Atlantique. Il revoit le feuilleton Racines avec Kunta Kinté. Et ce préjugé tenace et rétrograde est est aussi un des obstacles au décollage des DAC, les domaines agricoles du PRODAC qui peinent à trouver des ouvriers agricoles et comme palliatif bancal, le PRODAC établit des contrats de travailleurs indépendants pour un nombre encore très insuffisant d’entre eux et pour un résultat inopérant. Les Sénégalais ont hélas un rapport fétichiste à la terre et restent ainsi des intermittents de l’agriculture quand ils sont cultivateurs, travaillant la terre trois mois sur douze, en s’en remettant au bon vouloir du ciel quand il veut bien ouvrir ses vannes et déverser des pluies. Nos compatriotes refusent donc, majoritairement, toute évolution, aussi bien en termes de méthodes de culture modernes , qu’en termes de relations contractuelles entre ouvrier agricole et promoteur agricole. Au pire, ils veulent bien louer la terre qu’ils cultivent à son propriétaire. De plus, on semble n’avoir le droit de cultiver au Sénégal que sur les terres du village de ses ancêtres. Diantre ! Trêve d’obscurantisme.
A cet égard, il ne faut d’ailleurs pas oublier la tradition d’antan des « Navétanes », où pendant l’hivernage (Nawet) propice au semis et au labour, le Sénégal importait des ouvriers agricoles venus de la sous-région (Mali, Guinée,etc), comme si le travail champêtre n’était pas fait pour les Sénégalais bon teint.
Il faut définitivement arrêter avec ces représentations mentales féodalistes qui voudraient qu’un citoyen libre ne puisse pas louer ses bras comme ouvrier agricole. Et l’État du Sénégal doit prendre ses responsabilités pour faire prévaloir ce discours et faire évoluer les mentalités.
Ousseynou Nar Gueye
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