CULTURES – Pavillon des lettres d’Afrique au Salon du livre de Paris, Francophonie, Biennale de Dakar, musée des Civilisations noires… Le ministre de la Culture du Sénégal revient sur tous les sujets brûlants de l’actualité culturelle.
Il a été un journaliste d’investigation emblématique, notamment dans le groupe Sud Communication et à La Gazette, avant de prendre des responsabilités politiques en 2012, après l’élection de Macky Sall. Ancien ministre de la Bonne Gouvernance, puis secrétaire général du gouvernement, Abdou Latif Coulibaly est devenu, en 2017, le ministre de la Culture… et a dû gérer très vite de gros chantiers.
De passage à Paris à l’occasion du Salon du livre, il revient sur quelques-uns des plus pressants d’entre eux : le soutien au monde de l’édition, la Biennale de Dakar et le musée des Civilisations noires, qui doit être inauguré à la fin de l’année.
Vous participez, cette année encore, au Pavillon des lettres d’Afrique au Salon du livre de Paris. Comment l’État sénégalais soutient-il le secteur de l’édition et la présence de vos auteurs au Salon ?
Abdou Latif Coulibaly : L’État a mis en place, depuis des années, une politique forte de soutien au livre. Entre autres initiatives, un fond pour aider les auteurs a été porté à 500 millions de francs CFA (environ 760 000 euros). Nous avons mis en place des comités de lecture nationaux qui reçoivent les manuscrits et les accompagnent sur le marché africain. Le ministère prend parfois en charge jusqu’à 50 % du coût de fabrication des livres.
Les livres africains, malheureusement, ont aujourd’hui peu de chance d’être connus s’ils ne sont pas édités en Europe
Concernant le Salon du livre, nous choisissons chaque année des écrivains en vue pour nous accompagner : pour cette édition Rahmatou Seck Samb, Aminata Sow Fall… mais aussi des critiques littéraires, des personnalités du monde de l’édition. En tout, nous sommes venus avec une délégation d’une quinzaine de personnes, dont nous payons le transport et l’hébergement. Le budget de l’opération, au total, est d’environ 70 millions de francs CFA.
En quoi ce salon, qui se tient à Paris, est-il un moment important pour la culture sénégalaise ?
C’est un moment important pour la promotion de nos talents, ne serait-ce que parce que les auteurs ont besoin d’échanger avec leurs confrères d’autres pays. Les livres africains, malheureusement, ont aujourd’hui peu de chance d’être connus s’ils ne sont pas édités en Europe.
Felwine Sarr, l’un des grands auteurs sénégalais, a édité son dernier ouvrage, Afrotopia, chez un éditeur français, Philippe Rey. Regrettez-vous qu’il n’ait pas choisi une maison africaine ?
Felwine Sarr est un écrivain prometteur, que je félicite car il a été choisi par Emmanuel Macron pour travailler sur la question de la restitution des biens culturels. Mais ce n’est pas l’écrivain le plus prometteur du Sénégal. L’auteur Mohamed Mbougar Sarr ne fait peut-être pas la couverture de newsmagazines français, mais il n’est pas moins pertinent. Je n’ai pas de regret que Felwine Sarr soit publié par une maison d’édition française… le principal, c’est qu’il soit publié. De notre côté nous travaillons pour mettre plus de moyens à disposition de nos auteurs, pour les aider à exister sur place.
On ne peut pas parler de littérature africaine sans évoquer la Francophonie. Celle-ci fait encore débat, sous la plume de divers intellectuels du continent comme Alain Mabanckou, qui, dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron, rappelait qu’elle est encore perçue comme la continuation de la politique étrangère de la France dans ses anciennes colonies…
Ce n’est pas du tout mon opinion. Les États africains sont responsables des politiques qu’ils mènent. La présence du Sénégal dans la Francophonie est une volonté étatique. Moi, mon rapport à la langue française n’est pas un rapport de complexé… Le français offre des opportunités.
Si je ne parlais pas français, je n’aurais peut-être pas fait cet entretien, ni de PhD au Canada. Et l’usage du français ne présuppose pas d’abandonner les autres langues nationales.
Il faut étudier ces questions prudemment car privilégier une langue plutôt qu’une autre, c’est remettre en cause l’unité nationale. Et cela peut déstabiliser un pays. Ce n’est pas une question théorique !
La Biennale de Dakar se tiendra cette année du 3 mai au 2 juin. C’est l’un des rendez-vous incontournables de l’art contemporain africain. Or, tous les deux ans, se pose la question de sa pérennité. L’organisation et le financement de l’événement – à 75 % par l’État sénégalais – sont-ils compliqués ?
Jamais il n’a été question de savoir si la Biennale aurait bien lieu ! Nous avons toujours assuré, dans le budget du ministère, une place pour l’événement. Cette fois, les invités d’honneur sont le Rwanda et la Tunisie, et tous les préparatifs sont déjà achevés, et les avances payées. Il est vrai que l’Europe a cessé de subventionner la manifestation [en 2010, NDLR], mais elle est partie à cause d’un quiproquo.
Nous avons reçu l’ambassadeur de l’Union européenne pour nous expliquer, et nous sommes heureux d’annoncer que l’UE est revenue avec une subvention consistante, car elle a compris qu’il s’agit d’une des plus grandes manifestations sur le continent. Une manifestation que nous avons voulue plus populaire : le « Off » sera étoffé cette année, il y aura de la musique, du théâtre, et nous allons accueillir, pour la première fois en Afrique, la comédie musicale Madiba, sur la vie de Nelson Mandela… Nous souhaitons que l’événement ne soit pas réservé à une élite : les populations ne doivent pas rester en rade.
Le musée des Civilisations noires, à Dakar, doit être inauguré au dernier trimestre 2018. Les délais seront-ils tenus ?
Oui. Théoriquement, il sera inauguré en décembre 2018, mais tout devrait être livré dès juillet. Enfin, il s’agira d’un musée où l’Afrique ne sera pas réduite à ses masques et autres pièces muséologiques ! Les dimensions ethnologique et anthropologique seront évidemment présentes, mais ce ne seront pas les seules. Nous voulons montrer que les Africains ont maîtrisé la civilisation universelle avant qu’elle ne nous échappe, et bien avant l’avènement des Lumières ! Les visiteurs seront heureux d’apprendre que l’on a eu des fourneaux de production sidérurgique ou que l’on a su maîtriser très tôt la fabrication du fer, par exemple. Nous voulons que les Noirs africains qui visitent le musée en ressortent avec une fierté d’eux-mêmes !
Jeune Afrique