Jean Pierre Leurs est décédé, hier après-midi, à l’hôpital Fann de Dakar. Ce comédien devenu metteur en scène a vécu sa passion du théâtre jusqu’au bout. Il ne s’est jamais éloigné du septième art malgré le poids de l’âge. Ce lauréat du Grand Prix du Président de la République pour les Arts a parfaitement joué son rôle et seule la mort l’a l’obligé à respecter le clap de fin. Retour sur la carrière exceptionnelle de ce monument qui a tout donné à son Art, avec le quotidien Le Témoin.
Jean Pierre Leurs a toujours aimé le théâtre et il n’a pas mis beaucoup de temps avant de choisir sa passion. Après l’obtention de son Baccalauréat, il intègre l’Ecole Nationale des Arts. De son propre aveu, son attrait pour le théâtre s’est révélé très tôt. Dans un entretien accordé à nos confrères du Soleil en juin 2018, il révélait avec un art consommé de la narration cet épisode de son existence. Il faut signaler que c’était à l’occasion de la décoration que l’Association de la Presse Culturelle lui avait décernée pour service rendu à la Culture en 2018. « Elève, mes professeurs ont très tôt décelé en moi des prédispositions artistiques, surtout quand j’interprétais des classiques français. Par ailleurs, ma mère, Ramatoulaye Dièye, qui n’était pas une artiste professionnelle, était une bonne danseuse. Après le bac, je me suis inscrit à l’Ecole nationale des arts, à la section dramatique où je suivais les cours du soir. J’étais assez dynamique parce que j’avais créé une sorte de troupe qui s’appelait « Le trésor africain ». Cette troupe a été formée avec Joseph Diakhité, mon ancien éducateur au foyer, qui a accepté de fusionner sa troupe avec la mienne. « Le trésor africain » comptait un ensemble instrumental, un ballet et une troupe dramatique avec des gens qui sont devenus de grands comédiens» s’était-il souvenu. Très vite, il est remarqué par Maurice Sonar Senghor, le Directeur général du Théâtre Sorano de l’époque. Ce dernier avait été impressionné par la mise en scène que Jean Pierre avait faite d’une œuvre de Seydou Bodian Kouyaté. Sa réponse fut naturellement positive et il intégra le saint des saints en même temps qu’Omar Seck, et Jacqueline Scoot Lemoine entre autres. C’était en 1968. Jean-Pierre Leurs avait succédé en 1971 à Doura Mané au poste de directeur de la troupe dramatique du Théâtre national Daniel-Sorano, dont il va diriger le service de la production à partir de 1979, après avoir fait un troisième cycle d’études à l’Institut théâtral de Bruxelles. Il était rentré de la Belgique avec de solides capacités de metteur en scène. Et depuis 1968, Jean Pierre n’a jamais quitté le milieu et le théâtre Sorano. Même après sa retraite, les autorités culturelles du pays ont souvent fait appel à lui pour réaliser et mettre en scène de grandes et belles créations.
Respecté pour son savoir et son humilité
Respecté pour son savoir et son humilité, celui qui s’était converti à l’Islam et qui portait le nom de Babacar était un fervent disciple de la famille d’El Hadji Malick Sy. Il vouait une grande admiration au premier Khalife de Maodo dont il portait le nom mais aussi à Dabakh qu’il vénérait beaucoup. Revenant sur les temps forts qui l’ont marqué, il révélait à nos confrères du « Soleil » que ce sont les grands festivals à côté du Grand prix des Arts entre autres. « Mais, le moment qui m’a le plus marqué, c’est la fresque sur « l’Afrique et l’Homme Noir » qui représentait le Sénégal au Festival de Lagos en 1977 » racontait-il à nos confrères. Jean Pierre Leurs a également mis en scène de nombreuses pièces dont « Du sang pour un trône ou Guy Juli » » de Cheik Aliou Ndao, « L’os de Mor Lam » de Birago Diop etc., Il a également interprété le rôle d’Edouardo dans la pièce « Les bouts de bois de Dieu » de Sembéne Ousmane mis en scène par Hermantier. Tout ceci ne représente qu’une infime portion de l’énorme travail abattu par cet infatigable militant de la culture qui savait aussi asséner ses vérités. « Nous avons besoin que le théâtre redevienne ce qu’il est : un outil d’éducation, de sensibilisation, de préparation de l’être par rapport à sa société et par rapport à sa construction personnelle. On a mis une vingtaine d’années, 20 à 25 ans à nous fourvoyer dans une sorte de théâtre qui n’en est pas, il faut dire les choses telles qu’elles sont. Les dramatiques à la télévision, ce n’est pas ça le théâtre. Ce qui leur manque, c’est qu’il n’y a plus d’auteur. L’auteur est mort», disait-il au cours d’une rencontre à la maison de la Culture Douta Seck. «Tuxusu-Beun, Ribidion», une de ses dernières créations, a été un spectacle interprété par les artistes et comédiens du Ballet national «La Linguère », de la troupe nationale dramatique et de l’ensemble lyrique traditionnel à la fin de l’année 2018. Ce grand metteur en scène a également signé la dernière grande création de la styliste et costumière, Oumou Sy. Il quitte définitivement la scène, mais a réussi à susciter la vocation chez sa fille qui marche lentement sur les pas du père.
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