Arrivée des voyageurs à l’aéroport de Libreville, l’humidité équatoriale embaume l’air, mais une seconde plus tard, c’est un effluve plus inattendu qui effleure les narines: celui des croissants tout juste sortis du four de la boulangerie française qui fait face au terminal.
Alors que le pays célèbre lundi ses 60 ans d’indépendance, « les Français sont chez eux au Gabon, ils ont leurs boutiques, leurs restaurants », se moque Annie, gérante gabonaise d’un bar-maquis. Et les Gabonais qui fréquentent les même lieux? « Eux, ils se croient en France ».
Dès la décolonisation, le Gabon se distingue des autres pays d’Afrique francophone: le président Léon Mba réclamait la départementalisation, et l’indépendance de 1960 est imposée par Paris.
« L’imaginaire né de cette acte fondateur continue de hanter les rapports entre la France et le Gabon » comme le paysage de la capitale, estime le sociologue-anthropologue gabonais Joseph Tonda.
Depuis l’aéroport, embranchement de droite: le boulevard de l’Indépendance s’étend le long du bord de mer jusqu’au centre politique.
Sur la gauche, la résidence de l’ambassadeur de France est nichée sur les hauteurs d’un immense parc arboré.
Dans ce jardin tropical français, un bal grandiose est donné chaque 14 juillet. Verre de champagne à la main, ministres influents comme opposant battu à la présidentielle s’y pressent pour trinquer à l’amitié franco-gabonaise.
Le domaine ferait presque de l’ombre, cinq kilomètres plus loin, au palais présidentiel doré construit par Omar Bongo Ondimba, placé au pouvoir par la France en 1967 et qui dirigea le pays durant 42 ans.
« Le Gabonais a une patrie, le Gabon, et une amie, la France », disait-il. Jusqu’à sa mort en 2009, il a été l’un des symboles de la « Françafrique », l’ensemble de relations politiques, d’affaires parfois entachées de scandales, nouées par la France avec ses anciennes colonies.
– Camp De Gaulle –
Riche en pétrole et en uranium, le Gabon, deux millions d’habitants, a longtemps constitué un pays clé pour la France sur le continent.
L’idée selon laquelle il est impossible de devenir président sans l’aval de la France reste très répandue au Gabon. « Et lorsque les opposants doivent s’exiler, c’est en France qu’ils trouvent refuge », remarque le professeur Tonda.
Retour à l’aéroport, embranchement à gauche: une muraille grise hérissée de barbelés s’étire sur des kilomètres. Bienvenue au Camp De Gaulle, l’une des quatre bases militaires françaises en Afrique, avec près de 400 soldats.
« La France au Gabon? Ce n’est plus ce que c’était, nous n’avons plus l’influence que nous avions sous le père Bongo », tempère une source sécuritaire française à Libreville.
A la mort d’Omar en 2009, son fils Ali lui succède et promet de mettre fin à la relation quasi exclusive avec l’ancienne puissance coloniale.
Une dizaine d’années plus tard, l’Hexagone a perdu du terrain sur le plan économique au profit d’investisseurs, principalement asiatiques, qui ont repris des secteurs stratégiques, comme l’exploitation du bois ou la gestion du port, constate l’analyste économique Mays Mouissi.
Dans le quartier industriel, les immeubles et hôtels chinois ont poussé comme des champignons. Et en 2014, la Chine est devenue le premier partenaire commercial.
« Mais la Chine ne fait pas autant rêver que le pays de l’ancien colonisateur », soutient M. Tonda.
L’ambassadeur de France, Philippe Autié, évoque une « profonde proximité culturelle ».
« Cette parenté est durable car elle touche à l’histoire et à l’identité (…), mais aussi parce qu’elle est attendue et voulue par nos deux pays », ajoute-t-il.
– Passion PMU –
Dans les supermarchés gabonais fréquentés par les plus aisés, les produits français sont partout: beurre, camembert, lait…
« La consommation du Gabon est liée à son histoire avec la France, car nous avons hélas, une faible production gabonaise », affirme Alain Rempanot Mepiat, conseiller du PDG de Ceca-Gadis, le premier distributeur du pays, dont près de 80% des produits arrivent de France.
L’Hexagone reste le premier fournisseur du Gabon. Notamment pour la boisson: Bourgogne ou Bordeaux, les bouteilles, de la piquette aux grands crus, remplissent des rayons entiers.
Dans les « matiti », les quartiers populaires, on préfère la Régab, bière locale mais brassée par le groupe français Castel, présent depuis les années 1960.
Dans ce labyrinthe de baraques délabrées, les paraboles Canal+ du Français Bolloré surmontent les toits de tôle. Touche rose bonbon dans ce paysage grisâtre: les stands du PMUG, où se pressent les Gabonais épris de paris hippiques.
Propriété de l’homme d’affaire corse Michel Tomi, le PMUG promet « de changer de vie » contre quelques francs CFA, en pariant sur les courses de Longchamp ou Vincennes, en région parisienne.
Pour certains Gabonais, la présence française « agresse », comme le chante le célèbre rappeur Lord Ekomy Ndong, demandant: « A quand une base militaire congolaise en plein Paris? ».
Mais pour d’autres, la relation franco-gabonaise importe peu. « La France on s’en fout, on veut se soigner et manger, on a d’autres problèmes », explique Mathilde, Librevilloise d’une vingtaine d’années.