L’apparition du covid-19 avait fini par bouleverser le monde et mettre tous les secteurs de la vie sens dessus-dessous. Le domaine éducatif n’était pas épargné par cette déchirure structurelle imposée à la société dans son ensemble par cette petite bête invisible. Le déroulement des cours et l’organisation du Baccalauréat 2020 au Sénégal furent ainsi impactés, de la réduction du programme au choix des épreuves. Ainsi, les résultats issus à ce concours, un fort taux de réussite qui se dessine si la tendance au premier tour se confirme, sont diversement appréciés, analyse Ababacar Gaye de Senenews.
Voici ce qu’il écrit : Au Sénégal, après plus de 4 mois d’arrêt, les classes d’examen étaient enfin appelées à reprendre les cours au moment où « vivre avec le virus » devenait l’hymne international. C’est dans ce contexte que fut organisé l’examen du baccalauréat 2020 dont le taux de réussite semble au-delà des attentes. Ces résultats a priori satisfaisants sont interprétés de façon différente et certains, les adeptes de la théorie du complot notamment, voient derrière ces performances une manipulation.
Après quatre mois d’arrêt de cours, tous les acteurs du système éducatif s’attendaient à une reprise difficile au vu de la progression de la maladie. Même si le convoyage des enseignants et leurs retours furent mouvementés, avec des scènes de stigmatisation signalées quelque part, il faut reconnaître qu’il y a eu plus de peur que de mal au niveau des établissements. Rares furent en effet les cas de contamination au sein de l’école, aussi bien du côté des élèves que du personnel enseignant et administratif. Voilà, s’il faut contextualiser, la situation dans laquelle élèves et enseignants ont dû terminer l’année scolaire et aborder les épreuves du Baccalauréat 2020.
Réduction du programme pour ce Baccalauréat 2020
A l’annonce de la reprise des cours le 2 juin passé, reporté au 22 juin pour cause de contamination d’enseignants, tout le monde se posait légitimement la question relative à la possibilité de terminer l’année, de la « sauver » comme il est de coutume, alors que 4 mois étaient déjà perdus. Les autorités scolaires, conscientes du peu de temps disponible, puisqu’il fallait passer les examens en l’espace de deux mois, avaient finalement jugé nécessaire de reconsidérer le volume du programme dans chaque discipline. Ainsi, beaucoup de chapitres furent charcutés pour faciliter la tâche aux élèves quant à l’assimilation des cours dispensés.
Naturellement, la réduction du volume des cours à apprendre va impacter positivement sur la performance des élèves. Moins de leçons à parcourir veut dire plus de temps à leur consacrer et partant plus de maîtrise et de compréhension. Voilà en partie ce qui explique la différence entre le baccalauréat 2020 où un fort taux de réussite se profile et les éditions précédentes durant lesquelles les candidats furent obligés de tout parcourir sans beaucoup de maîtrise.
Le choix des épreuves: un bottom-up process
On avait l’habitude d’accuser l’Etat de vouloir réduire le nombre d’étudiants à chaque fois que le taux de réussite au baccalauréat était faible. D’aucuns se payaient même l’impertinence de s’en prendre aux correcteurs et jurys en oubliant que le résultat final dépend entièrement du candidat, de son comportement. L’examen du baccalauréat 2020 comme tous les autres de fin de cycle n’est pas un concours de recrutement où il faut tenir forcément compte du nombre de places disponibles. Aujourd’hui que la courbe semble renversée, avec un bon taux de réussite en vue, les accusations changent de nature et portent sur le choix des sujets qui seraient trop faciles, selon certains impertinents.
Comme démontré plus haut, la réduction du volume des cours entraîne non seulement une diminution des leçons à maîtriser mais aussi réduit considérablement le périmètre du choix des sujets. Dans cette stratégie dictée par la pandémie du covid-19, il y a un énorme bien que les candidats au bac 2020 ont pu tirer, et c’est celui de se consacrer à l’essentiel. Malgré tout, il serait ahurissant de penser que les épreuves étaient des cadeaux aux apprenants, loin de là.
D’abord, pour balayer les accusations fallacieuses des adeptes de la théorie du complot, il faut dire que les sujets sont proposés par les enseignants et validés par les inspecteurs habilités à le faire. Il s’agit donc d’un bottom-up process au lieu d’un top-down, et l’Etat, ici représenté par l’office du Bac, n’intervient en dernier ressort que pour le tirage et le convoyage des copies. Autrement dit, l’Etat est comptable de l’organisation matérielle des épreuves, et sur ce plan, il n’y a aucun grief à signaler pour cette édition. Nonobstant cela, dans certaines disciplines, des difficultés se sont signalées. C’est le cas en Espagnol où le sujet donné en examen de Lv1 est en total déphasage avec ce qui a été conclu : le chapitre de l’Amérique Latine n’était pas de la version révisée du programme.
Dans les autres matières à composer, les professeurs qui ont corrigé se sont rendu compte qu’il n’y a pas une grande différence entre les épreuves de cette année et celles des sessions passées. D’ailleurs, pour l’épreuve LV1 anglais, les professeurs ont eu d’énormes difficultés de trouver un terrain d’entente sur certaines questions lors des concertations. De même, l’épreuve de Français était jugée ambiguë dans sa consigne ou sa reformulation, de l’avis de certains professeurs.
On évalue mais on n’éprouve pas
Le débat que suscite le taux de réussite, maladroitement entretenu par certains acteurs de l’école est impertinent. On dirait qu’en tant qu’hommes et femmes du secteur, certains ont complètement oublié le sens de leur mission. L’enseignant, le vrai, devrait se satisfaire d’une telle performance si elle se confirme avec les épreuves du second tour au lieu de chercher noise à des autorités qui n’ont rien à voir avec si ce n’est qu’en aval. Malheureusement, au Sénégal, on a eu l’habitude d’éprouver les apprenants au lieu de les évaluer.
On éprouve en rendant les choses complexes comme si l’on avait à faire à des Einstein mais on évalue à travers des choses bien aisées afin de faciliter l’accomplissement de l’élève. Il ne s’agit nullement de réinventer la roue mais l’évaluation est distincte de l’épreuve ; la première teste la progression et la compréhension tandis que la seconde (éprouver) semble dresser une montagne russe face aux concernés. Le Baccalauréat 2020 laissera des traces dans l’éducation nationale du Sénégal si la tendance notée se confirme. De partout se signalent des résultats satisfaisants avec un nombre important de mentions Très bien et bien cette fois-ci. Ces appréciations ont été obtenues au terme d’une correction rigoureuse de la part des enseignants, qui sont en amont comme en aval des épreuves, de leur conception-proposition à la délibération.
La courbe des dernières éditions est pourtant ascendante
Au moment où en France, le taux du baccalauréat est estimé à 95,7% en 2020 contre 88,1% en 2019 et en Côte d’Ivoire où on compte 40,08% contre 41,23% soit une petite baisse, des voix s’élèvent au Sénégal pour essayer de discréditer le sésame pour l’obtention de laquelle certains élèves ont dû passer des nuits blanches. Comme si nous devons évoluer, et faire évoluer nos élèves dans un cycle de médiocrité, rappel nous est souvent fait par ces rabats-joie que ce bac n’est pas normal. On est tenté de leur demander ce qui est normal dans leur vie depuis l’apparition du covid-19.
Pourtant, ce que ces critiques semblent ignorer intentionnellement c’est de faire une lecture globale des résultats à partir des dernières sessions. Si l’on analyse bien les statistiques issues des éditions précédentes, on en viendra à la conclusion que ce que nous voyons aujourd’hui obéit parfaitement à la logique. Depuis 3 ans, le taux au baccalauréat, quoique faible, n’a cessé d’évoluer progressivement. Estimé à 31, 7% en 2017, le taux a atteint les 35,9% en 2018 et 37,5% en 2019. Qu’il atteigne aujourd’hui un niveau record ne devrait surprendre personne au vu de la situation inédite qui a dicté un certain nombre de choix déterminants.
Au lieu de ces questions très peu pertinentes, la réflexion devrait porter sur comment faire pour réduire le programme dans toutes les disciplines. Parce que cette situation exceptionnelle vient juste nous montrer que tout le curriculum, très volumineux, n’a pas besoin d’être considéré pour avoir un bon système éducatif.