Lauréate de l’édition sénégalaise Elite Model Look en 2010, Aminata a.k.a Amy Faye, a fait ses armes en tant que modèle au pays natal. Elle a foulé les podiums de stylistes reconnus du continent, à commencer par la tête pensante de la marque Adama Paris à l’occasion de la Dakar Fashion Week, ou encore de l’émérite couturier nigérien Alphadi.
C’est lors de la finale de la Black Fashion week en 2014, vitrine du mannequinat afrodescendant à Paris, qu’elle se fait repérer. Un an après, elle devient le petit poulain d’une agence parisienne et décroche le Graal : l’opportunité de collaborer pour la prestigieuse maison Balmain dirigée par le prodige de la mode : Olivier Rousteing, icône de la génération de modeurs biberonnés à Instagram. Entretien avec Amy : nouvelle recrue africaine de la « Balmain army » !
De quelle manière votre carrière a-t-elle commencé ?
En 2010, une amie m’a inscrite au concours Elite Model Look Sénégal et j’ai remporté la finale nationale. Je me suis ensuite envolée pour la Chine à l’occasion de la grande finale qui a réuni des mannequins issus de toutes les nationalités. Une fois rentrée au Sénégal, je me suis dit pourquoi ne pas essayer de devenir mannequin ici. Je pouvais continuer à suivre mes études en première année de business administration, et mes activités comme le volley-ball.
Quelles ont été les retombées immédiates suite au concours ?
Fin 2010, j’ai participé à quelques défilés, notamment celui du Festival des Arts Nègres qui hébergeait cette année-là un pôle mode. Tout s’est très vite enchaîné ensuite pour moi à Dakar. Il y a eu la Dakar Fashion Week en 2011, l’événement mode phare de l’année. J’étais donc très fière d’y participer et d’être acceptée du premier coup. Cela m’a motivée à persévérer dans le secteur. Parmi les temps forts, on retrouve aussi le FIMA (Festival International de la Mode Africaine), en 2013 avec Alphadi.
Encore une fois, c’était une fierté de défiler pour ce couturier. Au Sénégal, le mannequinat n’est pas très bien perçu. Les gens n’ont pas une bonne image du milieu et des mannequins. Heureusement que mes parents étaient compréhensifs. Tant que je continuais mes études, ils n’y voyaient pas d’inconvénients. En outre, les mannequins que j’ai rencontrés lors des différents shows étaient très sympas avec moi. J’ai vraiment évolué dans un climat positif.
Puis, il y a eu l’émission de téléréalité La Nouvelle Top en 2014…
Oui, je venais de finir mon Master. Alors j’ai tenté l’aventure. J’ai passé une dizaine de jours dans une maison située sur l’île de Gorée en compagnie d’autres mannequins d’origines ivoirienne et sénégalaise. Je suis arrivée en finale avec Feuza Diouf (Sénégal, ndlr). Le défilé s’est tenu dans le cadre de la Black Fashion Week de Paris en octobre 2014. C’était mon premier défilé à Paris, sur le continent européen. L’organisation était différente. Côté staff, travail, ponctualité etc. Quand je suis rentrée à Dakar, j’ai apporté ce professionnalisme avec moi. Cette expérience m’a appris à respecter le métier.
Comment avez-vous démarché les agences de mode ?
J’avais fait le listing de toutes les agences de la capitale. J’ai profité de mon séjour parisien pour frapper aux portes, armée de mon book. J’ai finalement été repérée par WM Models. En février 2015, on m’a fait venir une nouvelle fois à Paris pour vivre la fashion week. Là, c’était un niveau supérieur. On avait des castings du matin au soir, une quinzaine par jour environ. Je rentrais vers 22h. C’était vraiment intense. Mais j’ai finalement obtenu le casting pour le designer américain Rick Owens. Le seul défilé que j’ai fait pendant la fashion week de Paris.
Comment suit-on le rythme d’une fashion week à Paris ?
Je suis sportive à la base, et je pense que j’ai tenu grâce à cela. Sans compter les castings du matin au soir pendant une semaine qui sont fatigants, Paris ce n’est pas le même rythme ni le même système de transport qu’au Sénégal. Il faut pouvoir suivre. Il faut être prête physiquement et mentalement. J’étais plus armée lors de ma deuxième fashion week, en septembre 2015, pour la collection printemps-été.
Racontez-nous votre collaboration avec Balmain. Comment les choses se sont-elles enchaînées ?
Balmain cherchait un mannequin pour un showroom. Olivier Rousteing avait vu mon book et a voulu me garder en tant que mannequin-cabine. Je devais essayer les vêtements à leur sortie d’atelier. C’est un process qui permet de configurer le line-up pour le défilé, c’est-à-dire l’ordre de passage de chaque vêtement. J’ai réitéré l’expérience plusieurs fois.
Comment est Oliver Rousteing ?
Je travaillais en direct avec Olivier et son équipe. Il est super gentil. Toute l’équipe est sympa. Malgré la fatigue, les longues journées de travail, ils installent une ambiance chaleureuse et conviviale. Ils m’ont véritablement mise à l’aise. Olivier est très respectueux, il ponctuait toujours ses phrases par un « s’il te plait » avant que j’essaie une tenue…
Ensuite il y a eu la fameuse campagne Balmain pour la collection croisière…
Oui, on m’a appelée pour qu’on shoote le lookbook de la collection croisière 2017. J’étais la seule « new face » aux côtés de trois tops établis. J’étais un peu stressée, c’était la première fois que je posais dans ces circonstances. Je n’avais pas la même expérience que les autres. J’ai essayé de gérer au mieux, mais j’étais encore une fois bien encadrée. Ça s’est super bien passé.
Que vous inspire la maison Balmain dirigée par Olivier Rousteing ? Qu’est-ce que ça vous a fait de collaborer avec un DA qui incarne une vision de la mode métissée ?
J’étais super fière de faire notamment partie de ce qu’Olivier appelle sa « Balmain Army », qui compte Joan Smalls, Jourdan Dunn, Naomi Campbell, toutes les grandes ! Sans oublier Rihanna. C’était comme si je faisais partie de la famille. On sait qu’Olivier est très concentré sur la diversité. C’était quelque chose de faire partie de cette armée !
Que vous inspire le slogan Black Models Matter ? Quel est votre regard sur la position de la mode face à la diversité ?
En Europe, il y a encore un peu de retard. Il y a encore des défilés où on ne voit quasiment pas une seule peau foncée. En tant que femme noire, ça me choque. Il y a du boulot à faire. Ce n’est pas facile. Comme je le disais, le rythme pour lancer sa carrière est intense, et de savoir que ça ne pourrait ne pas aboutir [à cause de la couleur de la peau, ndlr], c’est dur. Il faut être forte mentalement, sinon on décroche. A New York, c’est mieux. On encourage les designers à respecter des quotas (une démarche mise en place par le conseil des créateurs de mode – CFDA – américain qui incite, mais n’oblige pas, les créateurs à travailler avec des mannequins non-blancs, ndlr).
On sent toutefois une petite évolution. L’essentiel, c’est de sentir que ça bouge même si c’est lent. Cela donne de l’espoir et motive.
Qu’est-ce que vous donne suffisamment de motivation justement ?
Quand on est passionnée, on est motivée. Je suis du genre à persévérer. Cela est sûrement dû à mon côté sportif et au soutien de ma famille, qui joue beaucoup.
Ebonee Davis, mannequin africain-américain, a adressé une lettre ouverte aux professionnels de la beauté dans laquelle elle dénonçait leur manque de savoir-faire vis-à-vis des peaux noires et des cheveux afro. Elle n’est pas le seul model à s’être prononcé sur le sujet. Quel est votre vécu ?
C’est une réalité, surtout au niveau du maquillage. Je suis toujours obligée d’avoir mon fond de teint et ma poudre avec moi, juste au cas où. Souvent les make-up artists n’ont pas le fond de teint adapté à ma carnation. Il faut savoir qu’un mauvais fond de teint, c’est aussi du travail en plus pour le photographe qui doit effectuer des retouches, dans le cadre d’un shooting. Et c’est aussi le risque que le mannequin ne soit pas très à l’aise devant l’objectif. Quand j’emmène mon maquillage, je le fais autant pour moi que pour l’équipe avec qui je travaille. C’est une question d’assurance. Mais, je ne fais pas de généralités, parfois ça se passe très bien et les professionnels sont équipés.
Parlez-nous de votre vision de la beauté africaine…
On a une beauté naturelle. La femme africaine est belle, qu’elle ait le teint clair ou foncé, le cheveu lisse ou crépu. On a mis du temps à se rendre compte de la beauté africaine naturelle. Aujourd’hui, non seulement on l’accepte mais on l’embrasse ! Je fais partie des mannequins noirs, africains et je suis fière de moi. Je suis contre la dépigmentation. Je constate que les gens apprécient ma couleur, alors peut-être que je participe à aider d’autres femmes à se sentir mieux dans leur peau en voyant des femmes noires défiler.
Un mot pour encourager les lectrices à « embrasser leur beauté »…
Chaque femme est belle à sa façon. Les morphologies sont différentes, les carnations et les textures de cheveux, donc il faut s’accepter… Les générations futures auront plus de chance de s’accepter parce que la société est en train de changer aussi face au critère de beauté référent : la peau claire.
Qui sont vos mannequins iconiques ?
Katoucha, qui n’est hélas plus là. Elle est la première femme sénégalaise, d’origine guinéenne, à avoir défilé sur les grands podiums. Elle était l’égérie d’Yves Saint Laurent. Il y a aussi Alek Wek. Elle est très grande, elle a la peau foncée, le crâne rasé, elle incarne vraiment une personnalité forte ! Et bien sûr, Grace Jones et son style décalé, Naomi, et Iman Hamman pour la nouvelle génération.
Votre rêve ?
J’aimerais faire la couverture de Vogue ! N’importe quelle édition, après cela je pourrai arrêter (rires). Mais il y a beaucoup de travail à faire avant !
Quel est votre état d’esprit du moment ?
Là je suis au Sénégal, je profite de ma famille. Quand je ne suis pas à Dakar, je lui manque. Alors on se voit régulièrement, on prépare des gâteaux et on passe des moments simples tous ensemble. Je me ressource et je profite du soleil !