Ma foi d’Africain a été publié en 1985 et réédité en 2009 aux éditions Karthala. Le but de cet ouvrage est de souligner l’urgence de « negro-africaniser » le christianisme en Afrique noire.
Par Baltazar Atangana Noah
Jean-Marc Ela a séjourné dans la zone septentrionale du Cameroun aux côtés de son confrère Baba Simon. Ce séjour lui a permis d’expérimenter sa « pastorale du grenier » dans les zones enclavées. Il a donc été témoin de la misère affligeante, de l’analphabétisme chronique et des frustrations traumatisantes auxquelles (les gens de la montagne) font face quotidiennement. Jean-Marc Ela démontre l’ambivalence entre le christianisme canonique et les réalités quotidiennes dans l’arrière-pays. Et partant, dans les sociétés africaines en général.
Le christianisme est la chose la mieux partagée en Afrique subsaharienne, parce qu’il est accessible à toutes les strates de la population. Jean-Marc Ela en déduit que son re-ajustement impliquera celui de tous les autres secteurs (culturel, social et politique donc). Ainsi, apparaît l’urgence de réorienter et de réinterpréter le logos-discours du chritianisme en Afrique. Ledit ne doit plus être passéiste, mais contemporain. En d’autres termes, le christiannisme ne devrait plus être une doctrine canonique sans impact sur la décadence actuelle des sociétés africaines, mais une clé sans laquelle la résolution des problèmes de l’existence quotidienne et concrète est impossible.
De la théologie « à ras-du-sol »…
Le christianisme à partir de la « périphérie ». Une théologie dont les fondements sont irrigués à profusion par le peuple. Elle rame à contre-courant de la misère, l’injustice et l’oppression. Particulièrement, une manière d’exercice liturgique qui s’appuie sur la culture pour structurer et systématiser à la fois une foi et un culte « à partir de la vie des gens, où la croyance aux ancêtres est profondément enracinée, pour faire jaillir, peu à peu, un nouveau langage de l’Evangile ».
La « participation observante » est la méthode de Jean-Marc Ela pour mener à bien son analyse. Il a vécu parmi et avec les populations. Ces gens de la montagne qui souffrent du grand mépris de l’histoire. Puisque leur mode de vie et leur culture n’ont pas été pris en compte lors de la transmutation (culturelle, sociale, politique mais surtout religieuse) des sociétés auxquelles ils appartiennent. Le prélat, vu qu’il en est un, propose donc de « repenser la théologie africaine ». Il s’agit là d’une entreprise exigeante et de longue haleine qui nécessite objectivité et détermination. Bien que les différentes étapes à explorer paraissent simples. Elles demeurent complexes. Il faut réveiller les mémoires, adapter les sermons des hommes d’Eglise à l’actualité et à leur environnement. Et Jean Marc Ela de déterminer l’apport du catholicisme romain (par exemple) dans le projet de la renaissance de la terre africaine, afin que les peuples retrouvent leur authenticité et leur créativité. L’africanisation du christianisme « ne manquera pas de manifester un nouveau visage du Christ et de l’Eglise » en Afrique à la Kasabele Lumbala.
Jean-Marc Ela lie bien le bois au bois. Il suggère « l’insertion positive » à la Cardinal Malula. De fait, il est question que les missionnaires s’intéressent peu ou prou à la vie politique et culturelle de leur nation. Cette façon d’évangeliser sortira le chrétien africain de la longue nuit de l’inculture. Elle le liera également, par ricochet, à sa véritable actualité, le rendant moins dépendant de Rome par exemple. Les innovations liturgiques, notamment, permettront à la foi des africains chrétiens de s’affirmer sans pour autant renier les traditions ancestrales.
La vision théologique de Jean-Marc Ela est une théologie « à ras-du-sol », c’est-à-dire une théologie « non-classique » qui dépasse les dogmes et préceptes du théologico-politique contraint d’adopter les axes souverains de l’État et de l’Église. À partir des « vieux » canons du christianisme romain, Jean-Marc Ela construit un « discours collectif », qui se transforme en une praxis-force majeure de délivrance totale.
Baltazar ATANGANA NOAH, dit Nkul Beti, est critique littéraire, écrivain et chercheur associé à l’Institut Mémoires de l’édition Contemporaine. Il a publié Aux Hommes de tout…(2016) et Comme un chapelet (2019).