Sérieux ? Peut-on (déjà) gagner de l’argent en faisant des podcasts?

Le programme de création de podcasts Google 2020 pour les créateurs de podcasts (12 000 USD de financement)

AVEC DES TITRES ÉVOCATEURS TELS QUE “LES COUILLES SUR LA TABLE” OU “LES MECS QUE JE VEUX KEN”, OU « JOYEUX BAZAR » DE LA FRANCO-CAMEROUNAISE ALEXIA SENA (SUR LE METISSAGE), LES FEMMES ONT PRIS LA PAROLE ET LE POUVOIR SUR CE MÉDIA DIGITAL. POUR L’ARGENT, IL FAUDRA ATTENDRE ENCORE UN PEU. À MOINS QUE LES HOMMES S’EN MÊLENT…

IL Y A PLUSIEURS SIGNES qui indiquent que les podcasts sont désormais pris davantage au sérieux. Les gens qui y travaillent n’ont plus besoin d’expliquer à leurs parents ce dont il s’agit (« Mais alors, c’est comme de la radio ? »). Dans de grandes entreprises, on organise désormais des réunions pour décider d’une stratégie en matière de podcast (reprenant les
arguments des réunions consacrées autrefois aux CD-ROM, puis aux sites Internet, puis aux blogs). Les vieux médias investissent, pas convaincus qu’il y ait de l’argent à gagner dans l’affaire, mais pas certains non plus qu’il n’y en ait pas. Dernier signe d’un secteur qui se structure – comme on dit quand l’argent se manifeste –, le Paris Podcast Festival, dont la troisième édition se tenait du 15 au 18 octobre, avait trouvé de nouveaux partenaires, ajouté des journées professionnelles à son programme, avec un marché, des conférences aux titres prometteurs, des experts qui proposent « des solutions de monétisation » ou qui se présentent comme « chief of customer success » et se quittent en se disant « on essaie de se voir bientôt ». Autant d’attributs des domaines en effervescence.

À QUOI ON LES RECONNAÎT

Ils ont la trentaine et les pionniers sont le plus souvent des femmes. Elles savent ce que sont le « mansplaining », le « male gaze », la charge mentale ou l’intersectionnalité. Elles ont appelé leurs podcasts « Les Couilles sur la table », « Une sacrée paire d’ovaires » ou « Les Mecs que je veux ken » et se moquent comme Katia Sanerot, la directrice du studio Louie Media, de ce secteur où « tout le monde veut avoir la plus grosse » (audience). Il y a aussi des féministes soucieuses de traiter des sujets qui leur semblaient ignorés, ou encore de jeunes journalistes qui se sont glissées dans le podcast faute de pouvoir se faire une place ailleurs.
Tant qu’il y avait peu d’argent et que le podcast était avant tout une aventure éditoriale, elles se sentaient « entre meufs ». Récemment, elles ont remarqué à un pince-fesses de Spotify, dans les tables rondes ou lors de levées de fonds de nouveaux studios que les hommes étaient soudain plus nombreux. Le secteur se professionnalise – comme on dit quand il se masculinise.
Lors de la soirée de clôture du festival, Rosa Bursztein, l’autrice du podcast « Les Mecs que je veux ken », a posé la question à l’auditorium : « Qui se fait de la thune avec le podcast ? » Et en réponse au silence : « C’est aussi pour ça que le podcast est le média des femmes. »

COMMENT ILS PARLENT

« On s’est plongé dedans pendant le confinement. » « On n’arrête pas de dire qu’on veut élargir l’audience, ce qui veut dire sortir de Paris, mais si les contenus qu’on fait sont les mêmes et s’adressent toujours aux mêmes personnes et avec des reprises par les mêmes médias on ne va pas avancer. » « J’ai pas encore écouté, mais tout le monde m’en parle. »
« C’est incroyable qu’avec mon niveau d’audience, je n’arrive pas à en vivre. » « J’ai presque plus le temps de travailler à Radio France. » « Quand Alice Coffin est interviewée dans le podcast de Charlotte Pudlowski, on se rend compte qu’elle est bien plus complexe que dans une minute sur BFM. » « On peut pas faire comme si c’était un sujet qui n’intéressait que les trentenaires qui vivent dans le 11e arrondissement de Paris. »
« Dans le nom “Les Couilles sur la table”, le plus important, c’est pas les couilles, mais la table. »

LEURS PONCIFS

La voix, c’est le média de l’intime. Le bouche-à-oreille est notre meilleur allié. Tout se joue pendant les deux premières minutes. Le podcast, c’est l’inverse du Tweet. On n’a peut-être pas beaucoup d’auditeurs mais ils nous écoutent longtemps. On n’a peut-être pas beaucoup d’auditeurs mais on a les jeunes antipub que les autres médias n’arrivent plus à toucher.

LEURS QUESTIONS EXISTENTIELLES
Comment je peux faire pour être mis en avant par Deezer ? Quel sera l’écosystème dans trois ou quatre ans ? Est-ce qu’un jour on pourra proposer du payant ? Faut-il répondre à ceux qui demandent : « Mais tu gagnes ta vie avec ça ? » Est-ce que je serais pris plus au sérieux et que je gagnerais plus d’argent si j’en faisais un livre ?

LEUR GRAAL
Avoir fait partie des premiers auditeurs du podcast américain culte « Serial » en 2014. Pouvoir recevoir dans son podcast quelqu’un de médiatiquement rare (comme Virginie Despentes aux « Couilles sur la table »).

LA FAUTE DE GOÛT
« Les Grosses Têtes » de RTL toujours leader des podcasts sur Apple.