[Littér’ataya] Note de lecture | « Bedi-Ngula, l’ancien maquisard » de René Philombe : jeté dans le monde !

René Philombe est l’auteur de ce roman publié à titre posthume, en 2002, par les presses de Bayreuth African Studies.

Par Baltazar Atangana Noah

 

Tout se passe au Cameroun. Le « tcha-tcha » des indépendances vient d’être chanté. Adieu maquis, bienvenue la réconciliation nationale. Les ennemis d’hier sont tes amis d’aujourd’hui et peut-être tes complices de demain. C’est dans cette ambiance, où plane l’ambigüité, que le « subversif » Bedi-Ngula est jeté dès sa sortie de « Konde-ngui » : «  un petit coin de terre empuanti  par l’odeur du sang et de la misère, où la bêtise humaine est poussée à l’extrême limite !… ». Quinze terrifiantes années passées loin des siens en déambulant de force, de prison en prison : « Mantum ; Tcholiré… ». Le héros est lancé dans une compétition dont le trophée est la réinsertion sociale bien que ses vis-à-vis aient du mal à oublier la marque de son costume avant l’écho du tcha-tcha des indépendances : c’est-à-dire maquisard. Il se heurte donc à des personnages différents les uns des autres, du chauffeur de taxi «  intrépide » à Massaga « fonctionnaire de police vicieux » en passant pas Nga-Zanga « la mère agaçante », Belinga Libert «  l’ancien camarade déchu décidément pas libéré », Assumu «  le député qui ne boude pas le griotisme » et Kungu «  chef coutumier véreux ». Une alternative s’offre à  Bedi-Ngula. « Danser la danse du jour » comme ses anciens congénères du parti U.P.C pour bénéficier des bonnes grâces du régime sur lequel il ne cesse de vomir, demeurer subversif  mieux, un fervent révolutionnaire et ne bénéficier d’aucune grâce du régime dont « Maguida » est le patron national.

 

L’esthétique du courage est mise en avant dans cette œuvre. René Philombe fait de chaque personnage un miroir dont le reflet est une représentation des heurs et des malheurs qui travaillent la société : le trafic d’influence ; le griotisme ; la corruption atomisée ; la confiscation du pouvoir ; l’agonie de la liberté d’expression. Philombe est un écrivain dont l’engagement est organisé. Il défend ses droits ; critique le passage du colon chez-lui mais il ne refuse point de s’ouvrir à lui : « Ah s’ils pouvaient revenir, ces braves pionniers de la nuit coloniale…Oui, mais pourvu qu’ils laissent aux vestiaires de l’histoire leurs chicottes, leurs balances truquées… Leurs préjugés raciaux et tout le tremblement » .

 

Il s’arme d’une poétique du rire folle et pointue à l’image de Mongo Beti, pour dédramatiser les situations tragiques et la subversion des valeurs. Aussi use-t-il, ça et là, des camerounismes et des expressions en ewondo  pour dégourdir et raviver la foi du lecteur ; celui-ci est appelé à boire froides ou chaudes ces 310 pages. Philombe n’ignore pas que «  c’est du rire que l’humanité nivelle ses différences et efface ses rides. »  Pour parler comme Marcel Proulx.

 

De cette captivante odyssée habillée de moments de joie et de tristesse, il appert que la mission impérative est de sortir des vieux placards d’autres « Bedi-Ngula…ancien maquisard », que les circonstances ont servi à la fourchette et qui ont été condamnés à ne plus franchir les seuils des librairies camerounaises, afin qu’ils soient des repères pour les générations actuelles. Lesdites générations actuelles qui sont en quête d’elles-mêmes, après rupture de la chaîne de transmission des valeurs morales, dans ce royaume où, désormais, l’écart est roi à la place du roi et la norme est pouilleuse…esclave !

 

Baltazar Atangana Noah, dit Nkul Beti, est écrivain, critique littéraire et chercheur associé à L’Institut Mémoires de l’Edition Contemporaine. Il a publié Aux Hommes de tout… (2016) et Comme un chapelet (2019).