Par Ousseynou Nar Gueye – Toussaint ? Tous ceints ! C’est la surprise du chef : on s’étonnait qu’il n’y eut aucun bouleversement institutionnel, constitutionnel ou électoral qui ait pu justifier la dissolution du gouvernement sénégalais, décidée par Macky Sall, le mercredi 28 novembre dernier. Eh bien, il y en avait bien un : l’élargissement de la majorité présidentielle à des acteurs très représentatifs de l’opposition, en cette Toussaint 2020. Ceci n’a été révélé au grand jour que ce dimanche 1er novembre, avec l’annonce du nouveau gouvernement et la nomination concomitante d’Idrissa ‘Idy’ Seck comme président du Conseil économique, social et environnemental. Arrivé second à la présidentielle de février 2019, avec un peu plus de 20% des suffrages, Idy rejoint l’équipage présidentiel, avec armes et bagages. Et avec ses hommes : deux de ses lieutenants dans le parti Rewmi, Yankhoba Diattara (Economie numérique et Télécommunications) et Aly Saleh Diop (Elevage), sont nommés dans ce nouvel attelage mackyen.
« Tous ceints » ? Ou presque ? C’est un gouvernement « d’union » ou encore « de mission », selon les éléments de langage des spin doctors du palais présidentiel. Union ? Macky Sall réunit presque toute la famille libérale, issue des partis nés des flancs du PDS : en plus des rewmistes d’Idy, il y a là l’ex numéro 2 (jusque récemment) du PDS et leader du Parti des Libéraux et Démocrates PLD-And Suqqali, Oumar Sarr, qui siègera désormais aussi en conseil des ministres.
En faisant l’union, Macky Sall opère aussi une soustraction mentale : on peut en effet valablement penser que l’actuel chef de l’Etat (dé)montre ainsi qu’il ne postulera pas à un troisième mandat en 2024. Et qu’il veut consacrer toute son énergie aux trois années et demi de mandat qui lui reste. En faisant de la place aux affaires à Idrissa Seck, Macky Sall sait bien que celui – ci n’abdiquera pas tout destin présidentiel futur pour ses beaux yeux et le confort des strapontins ainsi offert. Mais de toute sa classe d’âge, Macky Sall a considéré que celui avec qui il partage le même père aux velléités politico-infanticides passées, c’est à dire Abdoulaye Wade, Idrissa Seck donc, était le plus légitime pour tenir les rênes du char de l’Etat après lui. Exit donc tous les ambitieux de son parti, l’APR, qui étaient présumés à tort ou à raison vouloir lui succéder en 2024 : Amadou Ba, Mouhamadou Makhtar Cissé, Oumar Youm, et last but not least Aminata Mimi Touré, ont été priés de plier bagages. Dans une démarche très dioufienne, Macky Sall montre que le rôle d’un chef de l’Etat, au Sénégal, c’est aussi de préparer son successeur, fut-il son opposant le plus irréductible. Comme Abdou Diouf en avait fait de son opposant Abdoulaye Wade en 1991, puis en 1995, Macky Sall place à ses côtés son opposant à ses yeux le plus valable. Car Idrissa Seck est « le plus ancien dans le grade le plus élevé ». Et Macky Sall veut en revenir à la tradition qui a donné au Sénégal des présidents de la République par le fait de leur longévité et de leur endurance à attendre dans l’antichambre du pouvoir suprême. Abdou Diouf avait attendu (10 ans officiellement) avant de devenir président, et plus encore, depuis 1964 jusqu’en 1980, selon des révélations faites dans ses « Mémoires » parus en 2014. Abdoulaye Wade aura attendu 26 ans dans l’opposition. En 2012, seul l’accident de la quête irréaliste du troisième mandat par le président Wade a suscité l’arrivée au palais d’un président presque par génération spontanée : celle de lui-même, Macky Sall. Le Sénégal est donc remis sur les rails de son cours historique politique normal.
Outre les rewmistes et Oumar Sarr, Macky Sall confie un maroquin régalien, celui des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur, à l’ex-pasionaria du parti Socialiste, Aissata Tall Sall, qui l’avait déjà rejoint avant la présidentielle avec son mouvement « Oser l’avenir » et à qui le président Sall aura fait attendre le délai de décence d’être considérée par la majorité présidentielle BBY comme étant des leurs, avant de la nommer au gouvernement.
Union ? Macky Sall doit aussi se préparer à accepter de la division. Car cette ouverture à d’autres pans significatifs de l’opposition, actée par ce gouvernement de Toussaint du 1er novembre 2020, augure de la survenance de problèmes progressifs et croissants entre Macky Sall est ses alliés historiques que sont l’AFP et le PS. Ces deux partis, à plus ou moins long terme, et en tout cas avant la présidentielle de 2024, ont vocation à sortir de la majorité présidentielle. Ou à en être éjectés. Présidentielle de 2024 à laquelle le PS comme l’AFP ne manqueront pas de présenter des candidats. Pour l’instant, ce sont exactement les mêmes personnalités qui ont été maintenus aux mêmes postes ministériels, pour ce qui est des départements déjà détenus par ces partis, que sont le PS, l’AFP et le PIT. Deux départs -surprises toutefois : celui de l’inusable Mahammed Boun Abdallah Dionne (reposé pour raisons de santé ?) et celui du jeune ministre Abdou Karim Fofana, jusque là détenteur du portefeuille de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique, qui a beaucoup donné sur le terrain et sur les plateaux TV et radios, depuis un an et demi. Il est cependant exfiltré par le haut, prenant en charge le PSE avec rang de ministre. Fofana, un joker que le président Sall ne veut pas griller.
L’ouverture aux rewmistes et les départs de présumés « mastodontes aux dents qui rayent le parquet » du gouvernement précédent laisse entrevoir aussi que cela va sérieusement tanguer chez les directeurs généraux et PCA de société publiques. Car, il va falloir faire de la place aux lieutenants des nouveaux arrivants et aussi « désamorcer » tous les DG et PCA qui sont des affidés des ministres qui ont été limogés.
Idrissa Seck devra, quant à lui, faire sortir ses députés du seul groupe parlementaire d’opposition, le groupe Liberté et Démocratie (présidé par un député du PDS), où ils n’ont plus rien à faire. Quant aux contorsions de gymnaste obligatoires pour faire accepter son ralliement à Macky Sall, Idy sait y faire. Il a déjà refilé le mistrigri au président du comité de pilotage du Dialogue national Famara Ibrahima Sagna (celui-là même qui avait négocié l’entrée de Wade dans le gouvernement d’Abdou Diouf en 1991) et au général à la retraite Mamadou Niang, qui fut un ministre de l’Intérieur impartial pour départager le président Wade et son opposition d’alors : Idrissa Seck les a remerciés tous les deux, pour leur « facilitation » du rapprochement entre lui et Macky Sall. De même qu’il a remerciés les chefs de religieux, régulateurs sociaux incontournables et directeurs de conscience des Sénégalais, dont il a laissé clairement entendre qu’ils ne sont pas étrangers à ce nouveau pacte inédit. Enfin, il a aussi plaidé l’urgence du rassemblement autour de l’essentiel pour l’intérêt du pays : « la nécessité nous est apparue de répondre utilement aux besoins de la nation pour faire face aux urgences du moment. Je respecte le choix et l’intelligence de chacun, mais j’ai choisi le chemin pour redresser notre pays. Nous avons pris un choix positif de répondre à l’appel du président de la République». Mais à cette position de désormais troisième personnalité de l’Etat, Idrissa Seck devra surtout apprendre à (continuer de) se taire et à ronger son frein, en attendant son heure, et en évitant d’installer toute dualité. Depuis la présidentielle de février 2019 consommée, il a prouvé qu’il savait avoir un silence d’or. Idy peut se rassurer, également, enfin, avec les précédents historiques de « reniements-ralliements » (transitoires) dans l’histoire politique contemporaine du pays. Notamment celui de l’alors opposant Abdoulaye Wade au président Abdou Diouf, par deux fois. Wade (père et fils) et le PDS, qui décidément, sont les plus grands perdants de ces grandes manœuvres mackyennes, cornérisés qu’ils sont désormais dans l’opposition (radicale ?), dont ils devront se disputer le leadership avec le Pastef en pleine crise de croissance d’Ousmane Sonko.
Gouvernement de mission ? Celle confiée à ce gouvernement de la Toussaint est de permettre à Macky Sall de se donner toutes les chances de réussir sereinement son « Fast Track », avec des réalisations et des avancées socio-économiques palpables sur une période à venir de trois ans, dans un contexte mondial de Covid-19, une économie nationale quelque peu chamboulée de ce fait et un environnement géostratégique sous – régional de l’Uemoa et de la Cedeao très peu stable, dans l’horizon temporel des prochaines années.
Ousseynou Nar Gueye
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