Depuis le début 2020, quelques élections présidentielles se sont tenues en Afrique, dont les conséquences, parfois violentes, sont encore loin d’être circonscrites. D’autres scrutins, en cours ou à venir, sont autant de sources récurrentes d’inquiétude, qui s’étendront jusque dans les premiers mois de 2021. Mais, lorsque vous dites que la plupart de ces pays ne sont pas en démocratie, l’on ne peut que vous demander, en paraphrasant Francis Bebey, d’où sortez-vous donc ce gros mensonge ?
De la vérité ! Des réalités que vivent, depuis trente ans, la plupart de ces nations que l’on qualifie pompeusement de démocraties, sous prétexte qu’elles en ont fini avec les partis uniques des deux ou trois premières décennies d’indépendance. Et les opposants d’hier n’ont cessé de se présenter comme des démocrates. Ce qui, dans certains cas, relève de l’imposture, étant donné qu’en les observant au pouvoir, l’on a pu apprécier à quel point ils sont peu différents de ceux qu’ils ont si longtemps critiqués et combattus.
Certes, les expériences que vivent, ici ou là, certains peuples africains, relèvent de l’état de droit et de la démocratie. Mais il ne suffit pas d’en avoir simplement fini avec le despotisme plus ou moins obscur antérieur, pour s’estimer subitement en démocratie. Cela s’apprend. Et sur la durée.
Et alors, comment apprend-on la démocratie ?
D’abord, en en acceptant les règles. La première étant que l’on ne peut pas toujours gagner ; qu’il faut donc savoir quitter la table, lorsque les électeurs ont tranché. Sur ce continent où l’on aime tant le football, lorsque votre équipe est battue, vous êtes, certes, tristes, déçus, mais vous rentrez chez vous, en espérant faire mieux, la fois d’après. Et si, à de rares exceptions près, les équipes et leurs supporters acceptent toujours les résultats, c’est parce que les règles sont claires et ne peuvent être modifiées par une équipe. Les rencontres se déroulent sous le regard de tous, et l’impartialité des arbitres peut s’apprécier. En démocratie comme au football, la transparence est donc la condition déterminante dans l’acceptation du verdict.
Or, en politique, avec une Commission électorale partisane, une administration aux ordres, et une lâcheté de cour constitutionnelle, il est facile, pour un pouvoir tricheur, de venir asséner aux citoyens des résultats sortis de nulle part, en refusant de les confronter aux procès-verbaux des adversaires, que l’on écrase, s’il le faut.
Le rôle de la population ne devrait-il pas être déterminant, en dernier ressort ?
Il se trouve que les opposants arrivent tous au pouvoir en promettant au peuple de mettre fin à ses souffrances. Dans les faits, le peuple en question se réduit vite à leurs partisans, sinon à leur groupe ethnique, ou même à leur seule famille. Un peuple de suiveurs, en somme, prêt à mourir pour les miettes qui tombent de la table des dirigeants, et donc d’autant plus dangereux qu’il peut aisément, selon les mots d’un brillant avocat ivoirien, s’avérer être un peuple d’électeurs moutons, prédisposé au fanatisme. Mais un peuple peut aussi porter le meilleur, en effet, s’il est éduqué pour accepter la défaite, avant ou après le triomphe. Et, surtout, pour distinguer les dirigeants dignes de confiance de ceux qui n’en sont pas.
L’Afrique continuerait à voguer de frustrations en déceptions, tant que les leaders politiques, magistrats et autres fonctionnaires persisteront à se croire dispensés des règles de base de la démocratie. Et le continent perdrait alors d’autres décennies à se mentir, à force de croire que la démocratie consiste, pour les opposants, à juste se débarrasser des dictateurs, pour, ensuite, en lieu et place, aller eux-mêmes jouer aux dictateurs, sur le dos de leur peuple.
*Publiée par Rfi