[Humeur] Le thiéboudiène inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO ? Lettre à Macky Sall (Par Elgas)

[ Sentract.sn – Publié une première fois dans le P’tit Railleur Sénégalais, dont le fondateur de Tract.sn a été rédacteur en chef, le 22 février 2017) et une deuxième fois le 29 décembre 2020 sur Tract.

On ne s’en lasse pas : Republié ce 15 décembre 2021 sur Sentract, à l’occasion de l’inscription du riz au poisson sénégalais au patrimoine immatériel mondial de l’Unesco : viva tiéboudiene! Jamais deux, sans trois-]

Monsieur le Président de la République,

C’est avec les égards dus à votre fonction et un peu de gravité que je vous adresse cette note. C’est une contribution dans le sens du bien être des Sénégalais. Vous sachant très réceptif et ouvert aux sollicitations vertueuses, je ne doute pas un seul instant qu’attention, soin et certainement suite, seront accordés à cette correspondance.

Un grand mal national me déchire le cœur. Or, il est occulté, nié, relégué au bas des attentions. Aussi, je fais appel à votre sentence de chef d’Etat. Il s’agit, Monsieur le Président, de la préparation du plat national, le « thiéboudiène ». Un plat dont la multiplication des modes de cuissons du poisson, tue l’essence et à force, notre culture. L’abâtardissement de la cuisine nationale, froisse le gourmet identitaire que je suis. Le mal fend et déchire l’unité culinaire du pays. J’en suis peiné et profondément meurtri. Il sied de sévir et vous êtes la seule voix autorisée.

Je m’en réfère à vous pour prendre en main sérieusement ce problème des plus épineux : faut-il donc frire le poisson lors de la préparation du thiéboudiène ou le cuire avec le bouillon du plat ? Question décisive du quinquennat.

Deux confréries s’opposent : les tenants de la friture. Et les défenseurs du bouillon. Pour ma part, je suis pour les seconds. Il sied, en votre qualité de chef suprême des armées, de choisir le bataillon qui doit défendre notre pays. Prenez-y garde, une décision tiède peut vous être fatale.

La friture du poisson dans le ceeb, qui succède à l’étape de la farce avec le persil, est délicate et beaucoup de mauvaises ménagères cèdent sous la gravité du moment, il s’en suit un bazar en cuisine, en bouche, en couple, en société. La friture durcit la peau et ressuscite les écailles. Ainsi, outre le choc contre le palais, on perd la saveur divine du poisson dont les filets peu habitués à l’huile, se recroquevillent et durcissent. Il me paraît ensuite incongru de plonger ces fritures dans le bouillon ; outre le temps englouti, la saveur s’en trouve dénaturée. L’effet croustillant recherché n’est qu’un vague souvenir et ces poissons précuits, meurent décomposées dans la sauce. Ceci est grave.

Alors que la cuisson dans le bouillon maintient cet état céleste, où la chair du poisson, moelleuse et fondante, nous remémore les douceurs de l’existence humaine. Est-ce à vous, Président rondelet et adorateur des saveurs gracieuses que je ferai cet éloge plus longuement ? Il faut dans le secret de la marmite garder les victuailles à l’unisson, servir le but national et faire luire notre identité gastronomique.

La science du poisson à travers sa cuisson peu nécessiteuse des grandes chaleurs, nous a enseigné cette vérité générale que nul, ni même les négationnistes les plus teigneux ne sont en mesure de contester : « les poissons préfèrent l’eau à l’huile ». Une question de vie. Vous en conviendrez.

Alors M. le président de la république, agissez. Le sujet est épineux, c’est le seul drame qui touche 13 millions de Sénégalais sans distinction de niveau social. Plus qu’une priorité, c’est là-dessus que votre mandat sera évalué.
Dans l’attente de vous lire, méditez sur le « suul » – autre querelle du ceeb – et prochaine question de la décennie.

Elgas

Écrivain et journaliste

elgas.mc@gmail.com