SENtract, Le Point – Thandiwe Muriu, c’est la photographe qui monte. Kényane, jeune, à peine trente ans, elle enchaîne les expositions. À Paris, 193 Gallery, qui représente l’artiste en France, lui consacre un solo show dans son nouvel espace à deux pas de place de la République. Ses portraits de femmes noires, sur des fonds graphiques très colorés, vibrent comme un hymne à la beauté africaine. Pour elle, l’année 2020 a été celle de sa révélation au public international. Bien que la pandémie du Covid-19 ait limité les événements culturels, les portraits très colorés de Thandiwe Muriu se sont retrouvés dans plusieurs foires telles que Photo London et AKAA, en ligne pour des raisons compréhensibles, mais aussi à la 193 Gallery à Paris, en novembre-décembre dernier dans une exposition collective intitulée « Colors of Africa » et consacrée à une nouvelle génération de photographes qui revisitent le genre du portrait en Afrique. En mars dernier, Thandiwe Muriu a été invitée à l’Alliance française de Nairobi. Aujourd’hui, sur son compte Instagram, elle se réjouit : « Incroyablement excitée d’annoncer ma première exposition personnelle @ 193 Gallery à Paris ! »
La photographie, une passion précoce
Depuis ses 14 ans, la photographie fait partie de sa vie. Entourée d’une famille imprégnée d’art, une de ses sœurs est styliste, une autre est pianiste, elle passe son adolescence à photographier, empruntant le reflex de son père. À 17 ans, elle imite le style photo de mode pour magazine féminin, sa sœur jouant les modèles. Magie des réseaux sociaux, elle se fait remarquer et on la contacte pour des shootings. À l’époque, cela reste un moyen de gagner de l’argent de poche.
Bonne élève, des études en marketing s’offrent à elle. Une carrière toute tracée ? Non. Sa famille la soutient. Elle se lance comme photographe professionnelle, travaille avec de grandes marques et des entreprises qui apprécient sa créativité. Elle poursuit son apprentissage auprès de photographes plus expérimentés tels qu’Emmanuel Jambo, Osborne Macharia et Mutua Matheka.
De la photo commerciale à la photo plaisir
À côté de son travail de photographe, elle entreprend en 2015 une série qu’elle poursuit depuis. Il s’agit de « Camo ». La démarche diffère. Elle photographie pour elle. « J’ai commencé par me demander : “Qu’est-ce que j’aime ?” La réponse a été simple : “Les couleurs !” J’ai élargi le concept des couleurs africaines et j’ai joué avec les motifs », raconte-t-elle sur le site de l’Unesco. Inspirée par la photographie de mode, elle ne se reconnaît pas dans ces standards de beauté véhiculés par les magazines occidentaux.
Ses modèles seront des femmes noires. À travers son objectif, elle magnifie leur peau foncée. Son idéal, « explorer la beauté africaine ». « Je voulais que les petites filles se voient dans mon travail, qu’elles reconnaissent la beauté de leur peau, de leurs lèvres et de leurs hanches », poursuit-elle.
Mise en exergue de l’esthétique africaine
Pas de doute, l’artiste a une signature. Ses clichés s’identifient par la palette des couleurs éclatantes, des tissus vibrants en fond, géométriques, coordonnés au vêtement, au point de créer parfois un effet 3D qui imprègne la rétine. Le camouflage est parfait (d’où le titre de la série, « Camo »). Le modèle féminin pose fièrement, frontalement le plus souvent. Ces couleurs vives font ressortir la couleur de la peau, les cheveux, à l’afro ou tressés, avec des perles construisent des images fortes et des portraits audacieux.
Dans un entretien à CNN, elle explique son choix pour des modèles qui ont des caractéristiques africaines uniques, comme les dents du bonheur, un nez un peu épaté, des lèvres marquées. Elle adore la couleur de peau foncée de ces modèles. « Black is beautiful », c’est le message qu’elle veut faire passer.
« La partie 2 de la série célèbre nos cheveux, réinventant les coiffures africaines traditionnelles comme des couronnes de beauté avec lesquelles nous devrions les chérir », détaille-t-elle sur Instagram. Elles utilisent aussi des objets du quotidien, les détournent. Des pinces à linge, elle fait des boucles d’oreilles, une passoire devient un couvre-chef, des moules à gâteaux se transforment en lunettes. Ce sont des ustensiles, typiquement africains, qui donnent un côté pop aux images.
Photographe et militante
Thandiwe veut faire passer le message. Elle va dans les écoles pour raconter son histoire et dire aux jeunes Kényanes que les métiers de la création ne sont pas réservés aux hommes. À elles de s’en emparer, voire de les réinventer. Jeune femme photographe, elle a dû se battre pour affirmer sa place et son individualité dans une profession jusque-là dominée par les hommes plus âgés et souvent occidentaux.
Elle organise des ateliers pour transmettre aux prochaines générations des techniques et des informations qu’elle a eu du mal à obtenir pour progresser dans sa pratique photographique. Frustrée par la faible présence de mannequins noirs dans les magazines féminins, elle milite pour une valorisation de la femme noire. « Aujourd’hui, j’ai moins peur de mettre mon identité au premier plan. Je la porte fièrement comme une marque d’honneur », affirme-t-elle sur le site de l’Unesco.