Sentract – Caroline Meva, romancière majeure camerounaise, nous parle de sa dernière publication : La science des sorciers de Koba, publié aux éditions Saint-Honoré en octobre 2021. Un roman qui se pose comme l’exceptionnelle de l’interminable dialogue entre la sorcellerie et la science.
Vous êtes-vous inspirée d’une histoire réelle pour écrire ce roman ?
– En ce qui concerne les récits des faits de sorcellerie, je me suis inspirée des histoires vécues ou entendues. Pour le reste, c’est de l’imagination, fondée parfois sur des faits réels. La description des mondes fantastiques découverts par Almega, le héros de l’histoire, au cours de son initiation mystique est fondée sur des théories scientifiques, des cosmogonies et des récits d’expériences mystiques.
De quoi parle-t-on exactement quand il est question de sorcellerie et/ou d’occultisme ?
– Je vise deux objectifs dans mon œuvre :
Premièrement, me servir de l’initiation mystique du héros de mon histoire pour présenter ma vision holistique et écologique du monde : il s’agit d’un ensemble cohérent dans lequel les éléments sont solidaires et concourent tous, chacun à son niveau, au destin commun dudit ensemble. Tous les êtres du monde ont un point commun : ils sont tous composés de la même brique fondamentale, la particule/énergie Alpha ; leur schéma d’évolution et leur mode de fonctionnement sont quasi identiques. Les êtres conscients du monde se doivent donc de prendre soin et de préserver l’existence de tous ces éléments, car leur survie dépend de l’équilibre et de la relation harmonieuse entre les éléments qui composent l’univers. En clair, l’être humain est sommé de préserver la nature autour de lui, car en cas d’altération ou de destruction de l’un de ces éléments, ses chances de survie sont hypothéquées.
Deuxièmement, dénoncer le phénomène essentiellement nocif de la sorcellerie, qui est un fléau dans nos campagnes africaines, facteur d’obscurantisme, d’irrationalité, d’exode rural, de superstition, de sous-développement mental et matériel. Almega découvre qu’en fait, le scientifique et le sorcier manipulent tous les deux divers types de forces, le premier de manière objective, en pleine lumière, dans le but d’accroître ses connaissances ; tandis que sorcier le fait secrètement, et dans l’intention de nuire à son prochain. Par le recours de mon imagination à travers laquelle je formule un souhait, j’ai mis sur pied un subterfuge : la découverte propice de la science Energétique par Almega, dans le but ultime d’annihiler définitivement les effets néfastes de la sorcellerie.
Croyez-vous que les pratiques occultes, de sorcellerie puissent être considérées comme une identité culturelle en dépit de leur caractère péjoratif, comme nous l’avons vu lorsque la mère d’Almega fut tuée mystiquement ?
– La sorcellerie est un ensemble de pratiques occultes focalisées sur la négativité, les crimes, la destruction, par conséquent elle ne saurait être considérée comme une valeur positive. Elle n’est pas non plus une identité ou une particularité propre à un peuple, un groupe social déterminé. Bien qu’elle soit plus active dans les zones reculées et sous-scolarisées d’Afrique, la sorcellerie est un phénomène universel, présente dans toutes les sociétés à travers le monde. S’agissant de la mort de la mère d’Almega, il y a bien une cause objective qui est la maladie dont elle souffrait depuis un bon moment, mais dans un monde dominé par l’interprétation magique des phénomènes, on lui attribue une cause mystique.
Dans le chapitre 2, L’initiation, page 51, il est dit à l’entame de la première ligne, je cite : « Nyamoro le grand-père maternel d’Almega (…) il était craint et respecté en tant que maître et dépositaire des savoirs ancestraux, initié aux pouvoirs occultes (…) ». Pensez-vous qu’il existe des sorciers bons ou mauvais ? ou ce terme est juste employé de façon péjorative ?
– Précisons que la sorcellerie est un phénomène occulte essentiellement négatif, funeste, il n’y a donc pas de « bons sorciers » ; cependant tous les phénomènes occultes et les personnes qui pratiquent l’ésotérisme ne sont pas forcément négatifs ; Nyamoro est devin, guérisseur et clairvoyant (pages 55 et 56), il occupe le degré supérieur sur l’échelle du monde de l’occulte ou de la nuit, et fait partie des « bons et utiles ». En tant que justicier, il est garant de l’équilibre entre le monde du jour et celui de la nuit ; il intervient à l’occasion pour sanctionner les sorciers et autres fauteurs de trouble.
Lors de l’initiation d’Almega, vous n’hésitez pas à mettre en face du lecteur, des connaissances qui ne sont pas toujours accessibles à l’individu lambda, pourquoi ce choix ?
– Comme je vous l’ai expliqué au point 1, je présente ma vision du monde, qui est en fait une synthèse de diverses théories de création et de fonctionnement du monde : le big bang, la théorie des cordes, le champ de Higgs, le principe de l’œuf primordial, origine de l’univers dans les cosmogonies des peuples Dogon du Mali et Beti du Cameroun, le phénomène quantique de l’intrication, etc. Pour faciliter la compréhension, je présente les choses sous forme de métaphores, une mer agitée (page 66), un sac de pièces à agencer (page 79), par exemple.
Pensez-vous que la science et la sorcellerie vont de pair ?
– Je pense que la science et la sorcellerie ont des points communs Almega estime qu’ils portent tous les deux des énergies sur la manipulation des énergies, influencent psychologiquement les individus et leur action, mais dans un but différent : la science impacte les esprits objectivement et positivement par un savoir ouvert à tous, la sorcellerie agit négativement, de manière hermétique, par des savoirs cachés aux yeux de tous. On peut penser que la science et la sorcellerie sont deux faces d’une même médaille, la face lumineuse et la face sombre de la réalité. Ils suivent parfois le même chemin, la sorcellerie n’étant qu’un savoir balbutiant, une science en puissance, non réalisée et non encore révélée au grand jour. La sorcellerie précède la science, tout comme l’alchimie précéda jadis la chimie, et que les cosmogonies antiques donnèrent naissance à l’astronomie. La sorcellerie est un savoir empirique confisqué par les initiés, par égoïsme et désir de puissance.
A la page 54, troisième paragraphe il est écrit : « il pensait qu’il fallait libérer les mentalités des Africains en tuant à la racine les maux tels que l’obscurantisme et la superstition véhiculés par la sorcellerie, et pour cela il fallait d’abord les cerner objectivement ». Ne s’agit-il que de la mise en dialogue de la sorcellerie et de la science dans votre roman ?
– Dans mon roman, je voudrais montrer que la sorcellerie est un phénomène néfaste et destructeur qui repose sur la peur distillée par l’ignorance, l’obscurantisme, la crédulité, la naïveté. L’ignorance et la peur sont des croyances en la supériorité du sorcier, qui rendent les victimes qui le redoutent vulnérables et manipulables. En revanche la simple assurance par l’individu de son invulnérabilité face aux manœuvres du sorcier lui permet de se mettre hors d’atteinte de l’emprise de ce dernier. En quelque sorte c’est l’individu lui-même qui donne le pouvoir au sorcier sur sa personne. L’information, l’éducation, la foi en son invulnérabilité, l’exercice de l’esprit critique permettent d’échapper à la peur du sorcier. Almega, quant à lui, dans la fiction, a cerné objectivement les manœuvres des sorciers en leur donnant une explication scientifique, à savoir la manipulation des énergies. Il a par la même occasion trouvé un moyen radical, notamment la fabrication d’objets, d’appareils émetteurs d’ondes positives, et la mise sur pied de protocoles thérapeutiques pour neutraliser les pensées et les actions nocives des sorciers.
Inès Amougou