JCC 2021 – Entretien avec Baba Diop, critique de cinéma honoré à Carthage

Baba DIOP a été honoré par les Journées Cinématographiques de Carthage (JCC), 32è édition (30 oct. – 06 nov. 2021), en compagnie de l’actrice égyptienne Nelly KARIM, du producteur libanais Anwar Sadek SABBAH ainsi que du journaliste et critique de cinéma tunisien Khémais KHAYATI, pour son « parcours exceptionnel » et les services rendus aux cinémas africains.
Le journaliste et critique de cinéma sénégalais a reçu samedi 30 octobre, lors de la cérémonie d’ouverture du Festival un Tanit d’or des mains de la ministre des Affaires culturelles, Hayet Guettat Guermazi, et de Ridha Béhi, Délégué Général, à la Cité de la Culture, Tunis.
Il a longtemps accompagné les JCC par des analyses, commentaires, textes décortiquant les films arabes et africains. Ce journaliste et critique fait la fierté d’une Critique cinématographique africaine dont on reconnait aujourd’hui l’existence et l’importance de la contribution dans l’accompagnement et le développement des cinémas d’Afrique. Il avait déjà été distingué par le FESPACO en 2019. ENTRETIEN.

 

M. Baba Diop, comment appréciez-vous ce geste de reconnaissance des JCC à votre égard lors de cette 32eme édition ?

Ce trophée, je le partage avec la Fédération Africaine de la Critique Cinématographique (FACC), à commencer par les associations nationales, avec aussi tous les amoureux du cinéma. Puisqu’enfin les festivals reconnaissent le travail que font les critiques qui accompagnent, éclairent les films en leur donnant une visibilité, sans oublier aussi les festivals. Ce n’est qu’un début. Je crois que les autres festivals doivent porter une attention particulière à la Critique. Et aussi aux techniciens parce qu’il n’y a pas que les réalisateurs. D’habitude, ce sont ces derniers que l’on met uniquement en lumière. Mais on se rend compte que, grâce à la presse, les festivals ont une visibilité et que la Critique aussi accompagne la circulation.
J’ai l’habitude de dire qu’un film sur lequel il n’existe pas d’écrit, c’est comme s’il n’existait pas. Il faut que les gens et les archives cinématographiques gardent en mémoire l’existence de ces films. Cest par le travail de la Critique que cela est possible. Je salue cette initiative des JCC de reconnaître le travail des journalistes critiques de cinéma dans leur rôle d’éclairage dans la compréhension des films. Mais aussi dans l’histoire du cinéma parce que les critiques ne font pas seulement de l’écriture immédiate, mais peuvent aussi, des années après, revenir sur des films pour que ceux qui les ont réalisés soient connus du public qui les ignorait.

Justement, en parlant de Critique, comment analysez-vous le travail de celle-ci sur les cinémas d’Afrique ?

Il y a beaucoup d’efforts qui ont été faits. Je me souviens qu’à mes débuts, il y avait peu de critiques de cinéma. Il y avait déjà une association sénégalaise de critiques avec Paulin Soumanou Vieyra et autres. Et à cette période, il n’y avait que la presse nationale, celle privée n’était pas encore née. Aujourd’hui, je vois les critiques existent en masse ; de plus, ils sont formés à travers des ateliers. Dans ce cadre, la Fédération Africaine de la Critique Cinématographique (FACC) fait un effort pour mettre à jour les connaissances du cinéma afin de permettre jeunes de bénéficier de l’expérience de leurs devanciers. Grâce à ces efforts, nous avons aujourd’hui pas mal de pays qui adhérent à la FACC.
Il faut aussi souligner ce travail d’accompagnement, parce qu’auparavant, les Premières des films avaient lieu à l’extérieur de nos pays. Mais présentement, l’on voit bien que maintenant la tendance s’est renversée ; les Premières de nos films se passent sur le continent. Et les premiers à écrire sur ces films, ce sont les journalistes du continent. Avant, il fallait avoir l’aval de la presse étrangère pour pouvoir dire qu’on a parlé de son film. La primeur revient donc aux presses nationales. Et plus on ira de l’avant, je crois que les films, grâce au regard des critiques, les réalisateurs seront plus exigeants quant à l’esthétique, l’approche thématique, etc. Parce qu’effectivement la Critique accompagne ce changement. En regardant un film, on peut disséquer ce qui est de l’ordre de la progression du réalisateur aussi bien thématique que stylistique, mais aussi la progression des autres cinémas qui ont abordé les mêmes thématiques. Aujourd’hui, il y a des tendances quand il s’agit de traiter de la question de l’immigration ; on se dit « qu’est-ce que ce film a apporté de nouveau comparativement aux autres ? Quelle est la perception, le point de vue du réalisateur ? » Il y a aussi dans ces tendances les autres questions liées au viol, à l’homosexualité, etc. Maintenant ce qui est important, c’est de savoir comment le réalisateur a abordé cette thématique. C’est cela qui fait que le regard du Critique devient important.

On a vu récemment au Fespaco, à Ouagadougou, une collaboration entre La Semaine de la Critique [Cannes, France] et la FACC. Ce n’est que légitime ?

S’il y a une collaboration, c’est parce qu’ils sont au courant du travail que fait la FACC. Nous avons un site qui est le premier sur le cinéma africain. Ce qu’on ne peut quand même pas ignorer. Avant, les journalistes et réalisateurs disaient qu’il n’y avait pas de Critique Cinématographique en Afrique. Je leur répondais que c’est parce qu’ils ne lisaient pas la presse. Aujourd’hui, que l’on reconnaisse que la FACC fait un travail formidable pour la visibilité des cinémas nationaux d’Afrique, signifie que Cannes suit de très près le travail extraordinaire que nous sommes en train de faire. Et que ça l’intéresserait de prendre connaissance de l’évolution des cinémas en Afrique.
C’est intéressant parce que, généralement, ces festivals ne connaissent pas vraiment les cinémas d’Afrique. Ils connaissent juste ‘es têtes d’affiche. Et en général, comme les festivals font leur marché dans les festivals, ce sont à peu près les mêmes films que l’on voit un peu partout. Alors que, dans la production, pour prendre le cas du Sénégal, il n’y a pas qu’Alain Gomis ou Mansour Sora Wade. Il y a toute une jeunesse, même si elle fait en grande partie des courts-métrages et elle a des propositions qui sont intéressantes.
Et puis, nos cinémas commencent à quitter le Plateau (Quartier huppé de Dakar) pour d’installer en banlieue. Ce sont des jeunes qui ont des choses à dire et qui commencent vraiment à émerger. Il faut donc retenir qu’il y a d’autres réalisateurs ; pas seulement ceux que l’on voit dans les festivals. Cannes comme Venise ont donc intérêt à s’appuyer sur le travail que fait la FACC pour être au courant de qui fait quoi et qui est qui dans la production, et qu’elle est l’avancée de nos cinématographies respectives.

Aujourd’hui, en tant que Critique, quel regard d’analyse posez-vous sur la production cinématographique actuelle en Afrique ?

C’est vaste ! L’Afrique n’est pas un pays, mais un continent [avec 55 pays reconnus par l’Union Africaine, NDLR]. Dans la zone ouest-africaine, je vois quand même qu’il y a une avancée des cinéastes femmes. Elles ont des problématiques et des approches intéressantes. On a vu Aïcha Macky faire Zinder ; on se serait attendu à ce qu’un homme réalise ce documentaire. [Amina] Weira a fait un film sur la question de l’uranium [La colère dans le vent, 2016]. L’on voit là que ce sont des sujets sensibles abordés par des cinéastes femmes.

Celles-ci commencent à s’approprier le cinéma pour dire leur vision aussi bien sur les problèmes environnementaux que sur ceux sociétaux. Pour le moment, c’est un peu dans le domaine du documentaire qui semble être la voie la plus facile pour elles de s’exprimer parce qu’il faut dire que beaucoup de pays n’ont pas encore de fonds d’appui à la production cinématographique.

Entretien réalisé à Tunis par
Bassirou NIANG

Source : www africine.org