SENTRact – Pendant que les peuples colonisés d’Afrique appelaient de leurs vœux l’indépendance, l’esprit artistique animait les sensibilités au point que naissèrent des groupes musicaux légendaires qui porteront le rêve africain de prise en charge de son propre destin. Ainsi arriveront au devant de la scène le T.P. OK Jazz, mère du célèbre titre « Mario », et aussi Les Bantous de la capitale, tous deux portés sur la Rumba, ce genre né en Afrique Centrale. Mais aujourd’hui, qu’en reste-il ?
Dans le cadre du Festival « Cinéma 48 – Les Rencontres du film musical de Dakar (27-29 janvier 2022) », organisé par le journaliste Alioune Diop en partenariat avec le Goethe Institut Dakar, il a été revisité la Rumba Congolaise, un genre qui en inspira plus d’un musicien sur le continent africain depuis les années pré-indépendance. Cela, à l’intention des journalistes culturels participant aux séances du Salon Ndadjé, et auxquels leur confrère congolais, Paul Sani Benga, présent à Dakar pour la circonstance, a permis d’en connaître un bout sur les étapes historiques de ce genre musical d’Afrique Centrale.
Une conférence sur le Parcours des Bantous de la capitale, mythique groupe fondé en 1958, deux ans après celui du T. P. OK Jazz (1956). Une séance précédée par la projection, pour une vingtaine de minutes, du documentaire sur Nganga Edo, le dernier des Bantous de la capitale. Un regard en caméra est posé sur le destin exceptionnel de ce chanteur qui a marqué les esprits de son temps, en symbolisant aujourd’hui la mémoire vivante (ou parlante) d’une épopée glorieuse née de part et d’autre du fleuve Congo, entre Brazzaville et Léopoldville – lieu privilégié des structures de production – devenu plus tard Kinshasa. Un parcours débuté à l’orchestre T. P. OK Jazz dont il fut l’un des membres fondateurs. Lesquels d’ailleurs faisaient les répétitions en cachette dans l’objectif de jouer la musique de leur propre pays où le retour fut une nécessité de survie, puisqu’avec le temps le secret sera découvert. Une histoire que raconte le dernier survivant de l’orchestre.
Suivra, après cet instant filmique, l’intervention du journaliste congolais Paul Sani Benga qui commence son propos basé sur les travaux des chercheurs, par l’histoire des origines de la Rumba. Il est, e effet, admis, d’après ses explications, que les deux Congo en partage la paternité de cette musique. Celle-ci « est aussi une danse. Elle est aussi allée dans les Caraïbes avec l’esclavage, avant de revenir en Afrique vers les années 1940 », dira-t-il.
Et obéissant aux évolutions des sociétés, la Rumba a subi des métamorphoses, passant du traditionnel au moderne jusqu’au rythme endiablé. Une évolution accompagnée par la mode ou, pour être plus précis, par la Sape (Société des ambianceurs et des personnes élégantes) dont la tête d’affiche était l’icône Papa Wemba, disparu, il y a quelques années. Des gens qui venaient « juste pour se montrer ».
Malheureusement, dans son nouveau visage musical des temps modernes, la Rumba en a perdu le sens des messages qui lui offraient plus de facture. Le conférencier de souligner qu’au début il y avait beaucoup de messages de conscientisation, comme, par exemple, inciter les jeunes à aller étudier et à se former ou encore chanter le panafricanisme (« Indépendance Tcha Tcha »). «Aujourd’hui, les chanteurs, au lieu de chanter, choisissent dans leurs titres de citer des noms de personnes sur le mode de l’éloge. Ce qui a pour conséquence l’appauvrissement du texte. Le message n’existe presque plus », regrette le journaliste congolais.
De nos jours, c’est le marché qui commande : tout ce qui rythmique et endiablé faisant danser les jeunes est bienvenu. Avec derrière les producteurs qui tirent les ficelles. Et de plus, les nouvelles générations d’artistes dont Fally Ipupa fait partie, présentent à Kinshasa « donnent l’impression que ce sont eux qui portent cette musique ».
Paul Sani Benga insistera à la fin sur l’importance de la communication dans la diffusion de la Rumba aux quatre coins du monde. Si la Rumba est venue à Dakar – pour la première fois au Festival mondial des arts nègres en 1966 -, c’est grâce à la communication. Prenant ainsi exemple de ce qu’ont réussi les Jamaïcains avec le Reggae et les Cubains avec la Salsa. La musique est transportée par les lobbies et surtout par les médias, dira M. Benga. Et le fait qu’il soit aujourd’hui classé, le 14 décembre 2021, Patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, lui permettant de « sortir du ghetto », légitime la reconnaissance de sa beauté et de sa richesse, surtout à travers une langue, le Lingala, dont « les mélodies font que vous écoutez parce qu’elles vous parlent même si vous ne comprenez pas la langue ».
Bassirou NIANG