SENtract – Ursula Von Leyen, présidente de la Commission Européenne a annoncé la mobilisation de 300 milliards d’euros d’ici à 2027, dans le cadre de l’initiative Global Gateway lancée en décembre 2021. Lors des assises du 10 Février 2022 à Dakar au Sénégal, l’Union Européenne a fait état du déblocage programmé de la première tranche de cette initiative, soit 150 milliards d’euros de fonds publics et privés au profit des pays africains. Cette somme est destinée au financement des infrastructures, de l’industrialisation, de la santé, de l’éducation, etc. Ce geste s’apparente à la réponse européenne, voire occidentale à la situation de crise que vit l’Afrique de l’Ouest, marquée par le mécontentement et une contestation grandissants contre la présence et le rôle des européens sur le sol africain, par une jeunesse laissée-pour-compte, mais plus que jamais déterminée à faire entendre sa voix.
Il y lieu de préciser qu’il ne s’agit pas d’aide ou de dons au sens propre des termes, qui signifient secours ou soutien désintéressé, par altruisme et générosité du donateur. L’aide au développement octroyée aux pays africains est assortie de taux d’intérêts proches de l’usure, avoisinant parfois les 15 % ; de conditions de remboursement iniques, à tel point que ces pays « aidés » sont amenés à payer des taux d’intérêts plusieurs fois supérieurs au capital emprunté. Résultat des courses, les pays africains se retrouvent prisonniers d’un cercle vicieux et infernal ; les dettes et les intérêts s’accumulent et se perpétuent sans fin, aggravant par la même occasion l’appauvrissement de ces pays. L’aide au développement est contre-productive parce que à cause de ce mécanisme machiavélique bien huilé, 50% environ du produit de cette aide retourne directement dans les caisses des bailleurs de fonds, qui sont également adjudicataires de contrats et de marchés de réalisation des projets concernés ; 25% reviennent aux Etats ; 20 % environs sont détournés ou distribués en pots de vin et autres subsides aux complices locaux, élites et décideurs ; à peine 5% reviennent aux populations. C’est donc sur la souffrance et les privations de cette population oubliée du développement que repose injustement le remboursement futur de cette dette colossale. Les aides au développement se transforment ainsi en aides au sous-développement, avec comme corollaire le maintien ad vitam aeternam de ces pays surendettés sous la dépendance des bailleurs de fonds étrangers.
L’aide au développement agit comme des pompes aspirantes de ressources matérielles branchées sur les pays africains déjà exsangues et au bord de l’apoplexie. Elle permet de garder ces pays sous assistance permanente, juste assez pour qu’ils restent en vie, qu’ils soient dans un tel état de faiblesse qu’ils ne soient plus capables de se passer de la perfusion de l’aide, et ne puissent pas se prendre en charge tous seuls. La boucle est bouclée, ces pays surendettés s’installent alors dans la paresse et se spécialisent dans la consommation. Les bailleurs de fonds, qui utilisent cette « aide » comme une arme d’asservissement et de chantage, les menacent littéralement de leur « couper les vivres », chaque fois qu’un dirigeant d’un pays « aidé » rechigne à se soumettre à leurs quatre volontés, même au détriment de ses intérêts personnels et ceux de ses populations. A titre illustratif, dans une conversation devenue virale sur les réseaux sociaux, attribuée à tort ou à raison à un chef d’Etat africain et un ancien Premier Ministre, l’un des interlocuteurs relève que les autorités maliennes sont incapables de payer les salaires sans l’aide de fonds extérieurs. Cette affirmation révèle la situation de dépendance choquante et inacceptable que vivent la quasi-totalité des Etats africains, mais qui est malheureusement courante et banalisée.
Là où le bât blesse, c’est que les Etats d’Afrique sub-saharienne sont très riches en ressources diverses ; certains sont même considérés comme des « scandales géologiques », tellement leur sous-sol déborde de minerais précieux. Mais paradoxalement, la plupart de ces pays africains riches sont classés parmi les pays les plus pauvres d’Afrique et du monde, et plus de la moitié de leur population en majorité jeune vit au-dessous du seuil de pauvreté. Ces derniers sont contraints de risquer leur vie sur les chemins de l’émigration clandestine vers l’Europe et les autres pays du Nord pour « se chercher », pour survivre. Selon les données du FMI et de la Banque Mondiale, les 10 pays les plus pauvres du monde sont : le Burundi, la République Centrafricaine (RCA), La RDC, l’Erythrée, le Niger, le Malawi, le Mozambique, le Libéria, le Sud-Soudan, la Sierra-Léone. Les cas de la RCA, de la RDC et du Niger nous interpellent particulièrement parce que leur sous-sol regorge d’immenses richesses ; il y a là quelque chose d’inhumain et d’inacceptable qui mérite d’être corrigé instamment. L’initiative Global Gateway dit promouvoir « les valeurs auxquelles l’Europe et l’Afrique sont attachées, comme la transparence, la durabilité, la bonne gouvernance et le souci du bien-être des populations » ; mais la réalité est toute autre, car ce sont plutôt l’opacité, la précarité, et la mal-gouvernance endémique qui prévalent à ce niveau.
L’Afrique n’a pas besoin d’aide, elle a suffisamment de ressources matérielles et humaines pour assumer par ses propres moyens l’essentiel de ses charges de fonctionnement courantes. Les emprunts extérieurs ne devraient être consacrés qu’aux investissements lourds et stratégiques. Ce qui manque aux pays africains aujourd’hui c’est la bonne gouvernance de ses dirigeants, le sens de l’intérêt commun, l’établissement de nouveaux rapports gagnant-gagnant qui tiennent compte des besoins des populations. La jeunesse africaine supporte de moins en moins ce système inégalitaire qu’elle subit, elle exprime son ras-le-bol et semble plus que jamais déterminée à faire entendre ses revendications. Il est temps pour les dirigeants du monde de revoir leur copie, de changer totalement ce logiciel des rapports internationaux qui est en plein bug aujourd’hui, afin d’éviter l’explosion qui se profile à l’horizon, laquelle pourrait donner lieu à des radicalisations incontrôlables où tous ont à perdre. Cette issue semble désormais inévitable, au regard de la cécité et du silence persistants du côté des dirigeants du monde.
Caroline Meva
Écrivaine Camerounaise