Le harcèlement sexuel, ce fléau qui accable les Sénégalaises

SENtract – Le cyber harcèlement constitue une problématique majeure à laquelle sont confrontés les utilisateurs de l’internet, particulièrement les files. Le harcèlement via internet se fait de nos jours par mail, sur les réseaux sociaux, parfois sur des commentaires sur des publications sur internet ou sur YouTube. Ces pratiques ont des effets négatifs sur la santé mentale des jeunes filles, entrainant des conséquences manifestes de plusieurs natures.

Silence  ! Des filles soufrent. Au Sénégal certaines sont souvent victimes du harcèlement, particulièrement sur les réseaux sociaux où elles sont parfois exposées à des contenus pornographiques. En effet, victimes d’insultes, de photos-vidéos montages, de chantages et d’arnaques à la webcam, des filles se trouvent souvent réduites au silence, par peur d’être marginalisées. Ce qui, dans une certaine mesure, peut entrainer des conséquences sur le parcours scolaire, avec une baisse des niveaux, l’absentéisme, le suicide ou tentative de suicide. Et ce n’est pas Mouna qui dira le contraire. Elève en classe de Terminale, cette jeune fille, âgée de 20 ans, a été victime du harcèlement. «Un homme s’est procuré mon numéro de téléphone, sans mon consentement. Il m’appelait et m’envoyait des messages via WhatsApp à longueur de journée. Malgré le fait que j’avais bloqué ses appels et messages, il persistait toujours en essayant de me joindre avec d’autres numéros. Durant une année, j’ai vécu ce harcèlement en silence, à travers ses messages indécents que je recevais à tout moment. Même en classe et lors de mes tournages», confie-t-elle.

POUR UNE MEILLEURE PROTECTION DES FILLES EN LIGNE ET DONNER SUITE AUX PLAINTES DEPOSEES A LA CDP ET LA GENDARMERIE

Finalement, la jeune Mouna, qui ne pouvait pas partager ce qu’elle subissait avec son entourage, a eu l’idée de capturer tous les messages qui lui ont été envoyés par cet homme et a déposé une plainte au niveau de la Commission de protection des données personnelles (Cdp). «J’ai fait des screens et j’ai rassemblé toutes les preuves pour déposer une plainte au niveau de la Commission de protection des données personnelles. C’était vraiment compliqué pour une jeune fille qui n’avait aucune expérience pour ces genres de choses. Les gens doivent prendre au sérieux ces mauvaises pratiques. Nous sommes scotchées sur nos téléphones 24 heures sur 24 et partout d’ailleurs. Je conseille à mes camarades qui ont vécu ses formes de violences d’avoir le courage de les dénoncer», lance-t-elle. Tout comme Mouna, Adji Fatou aussi a été victime du harcèlement en ligne. Cette jeune fille qui s’active dans l’art engagé pour les droits des filles, recevait des messages de la part d’un inconnu à tout moment. «J’avais souvent entendu parler des harcèlements, mais je ne croyais pas que cela pouvait m’affecter à ce point. Quand j’ai commencé à devenir un peu célèbre dans ma commune, je commençais à recevoir des messages désobligeants. Même quand je travaille avec ma machine, je reçois ces messages via Facebook et autres. C’est par la suite que j’ai capturé tous les messages et je les ai envoyés à la Cdp. Nous les filles sommes les plus vulnérables sur les réseaux sociaux. Cela fait très mal. C’est pour cette raison que je demande une meilleure protection pour les filles en ligne», a-t-elle plaidé. Elle demande ainsi aux autorités en charge de ces questions de donner suite aux plaintes qu’elles déposent au niveau de la Cdp et de la Gendarmerie.

L’ECOLE, UN AUTRE TERREAU FERTILE POUR LES HARCELEMENTS

En dehors des réseaux sociaux, les filles subissent d’autres formes de harcèlement. A l’école, elles sont souvent victimes de maltraitances de la part même de leurs camarades de classe. C’est le Cas de Aïcha, âgée de 16 ans. «En classe de 4ème, j’étais harcelée par mes camarades de classe. Je venais juste d’arriver dans ce collège. Il arrive que quand tu es très dynamique en classe et que tu as de bons résultats, les élèves ne t’apprécient pas beaucoup, surtout quand tu es nouvelle. J’ai eu la mal chance d’être snobée. Comme c’était un groupe qui se connaissait déjà et que je venais d’arriver, personne ne m’adressais la parole. J’avais fait une nouvelle coiffure et on se moquait de moi. On rigolait derrière mon dos, avec des surnoms. Du fait de ce harcèlement, mes notes ont commencé à baisser car, je n’avais plus l’esprit tranquille et je séchais les cours, rien que pour les éviter», raconte-t-elle. Cette étape de sa vie a beaucoup impacté son parcours scolaire. Il est urgent, dit-elle, de mettre fin au harcèlement partout au Sénégal, avec la volonté politique d’octroyer une assistance psycho-sociale et communautaire de proximité.

*Les noms sont des noms d’emprunt, pour la protection de ces victimes

COMMISSAIRE ALY KANDE, CHEF DE LA DIVISION SPECIALE CYBERCRIMINALITE : «La couche féminine est la plus grande victime de ce harcèlement en ligne»

Le cyber harcèlement constitue une problématique majeure à laquelle sont confrontés les utilisateurs de l’internet. Le harcèlement via internet se fait de nos jours par courriels, les réseaux sociaux, parfois à travers des commentaires sur des publications sur internet ou sur YouTube. Selon le commissaire Aly Kandé, chef de la Division spéciale Cybercriminalité, le cyber harcèlement est le fait d’utiliser les technologies d’information et de la communication pour porter délibérément atteinte à un individu, d’une manière répétée dans le temps. «C’est une forme d’agression qui se caractérise par la réception non désirée et répétée de messages, par tous les canaux, pour nuire une ou un groupe de personnes. Cela se traduit, à la longue, par une dégradation de la santé physique ou mentale de la personne harcelée. C’est une forme de mal faisances qui n’épargne aucune catégorie de la société», prévient-il. Par ailleurs, il informe qu’au sein de la Division spéciale de la Cybercriminalité, le harcèlement le plus récurent concerne les diffusions de données à caractère personnel notamment des images et vidéos qui pourraient porter atteinte à l’intégrité morale de la personne. «La couche féminine est la plus grande victime de ce harcèlement car n’ayant pas assez d’outils pour faire face à de telles pratiques. Toutefois, il faut noter que toutes les tranches d’âges et couches sociales sont parmi les victimes», souligne le commissaire. Dans sa politique de lutte contre ces types d’infractions, Commissaire Kandé révèle que la Police nationale a mis en place un ensemble de structures de veille, d’alerte et de prévention pour protéger les populations contre ces fléaux. «La Division spéciale de Cybercriminalité occupe une place de choix pour le traitement de ces infractions. En effet, elle constitue un cadre où les victimes sont accueillies», ajoute-t-il. Cependant, il indique que la meilleure prévention contre le cyber harcèlement consiste à protéger ses données personnelles par la gestion des paramètres de confidentialité sur les réseaux sociaux.

ABOUBACAR DIAKHATE, PSYCHOLOGUECONSEILLER A LA DIVISION DE LA SANTE MENTALE : «Ces pratiques ont des conséquences psychologiques et émotionnelles chez la fille»

Ces pratiques qui sont souvent négligées dans notre société peuvent être à l’origine de nombreuses pathologies psychiatriques chez la fille. «Il y a des conséquences psychologiques et émotionnelles. Il y aura toujours des séquelles, parce que la jeune fille qui a été harcelée, si elle n’est bien suivie, risque d’avoir des perturbations sur le plan scolaire  ; cela peut même engendrer un abandon des études. Sur le plan familial, des filles qui ont été victimes des harcèlements sont souvent marginalisées. Ce qui crée une sorte de manque de confiance en soi chez la fille qui a été victime d’abus ou du harcèlement», explique Aboubacar Diakhaté, psychologue-conseiller à la Division de la Santé mentale du ministère de la Santé et de l’Action sociale. Ainsi, il invite l’Etat à prendre en charge correctement ces filles qui sont victimes de ces mauvaises pratiques, le plus rapidement possible, car elles ont des effets néfastes sur la santé globale. «Il va falloir une prise en charge précoce pour que la fille puisse retrouver le sourire. Généralement, on constate qu’elles ont perdu leurs potentiels. Il faudra que l’Etat prenne en charge correctement ces politiques de prise en charge de ces cas, de plus en plus en voie de recrudescence, du harcèlement  ; ce qui crée finalement un problème de santé publique», prévient-il.

SEULS QUATRE CENTRES POUR LA PRISE EN CHARGE DES PATHOLOGIES PSYCHIATRIQUES POUR TOUTE LA POPULATION JEUNE

Par ailleurs, il relève que la dépression constitue, aujourd’hui, la troisième pathologie au niveau des tableaux cliniques, avec un pourcentage très élevé chez les jeunes. «On retrouve souvent des pathologies psychiatriques comme la Schizophrénie, la dépression, l’utilisation de la drogue chez les enfants qui sont souvent victimes du harcèlement. Ces jeunes doivent être traités dans des centres de prise en charge», indique Dr Diakhaté. Toutefois, il souligne que le nombre de ces centres est très réduit au Sénégal. «Dans notre paysage médical, on a peu de centres qui prennent en charge ces pathologies chez l’enfant. Les seuls centres dont nous disposons sont le centre de prise en charge psychiatrique de Diamniadio, le Keur Khaleyi de Fann, Albert Royer et le Cpiad. Donc quatre centres pour toute la population jeune. C’est l’occasion de faire le plaidoyer auprès des autorités afin qu’elles essayent d’augmenter le nombre de structures de prise en charge des jeunes», lance-t-il

MARTIAL KOUNOU, DIRECTEUR PAYS DE L’ONG PLAN INTERNATIONAL : «C’est inacceptable, intolérable, anormale et condamnable»

Le harcèlement et des violences sexistes sont de nos jours tellement récurrents qu’on a tendance à les prendre pour une norme. Ce qui est inacceptable, intolérable, anormale et condamnable. Au lieu d’être encouragées à s’exprimer en ligne, les filles sont abusées et mises à l’écart des espaces collectifs. C’est le cri de cœur du Directeur pays de l’Ong Plan International, Marcel Kounou. Il informe que le travail de plaidoyer accompli pour la campagne «Pass the Mic» a permis de capitaliser des témoignages de plus de 1000 filles de Dakar, Louga, Saint-Louis, Kaolack, Thiès et Kédougou. «Tous ces témoignages racontent un vécu similaire, jonché d’insultes, de photos-vidéos montages, d’extorsions, de chantages et de menaces de publication sans leur consentement, d’arnaque à la webcam. A cette discrimination, s’ajoutent divers types d’abus qui, en raison du niveau d’éducation des filles, leurs éventuels handicaps et leur appartenance géographique, continuent à accentuer leur vulnérabilité. Les filles se trouvent ainsi réduites au silence par des pratiques de harcèlement», déplore-t-il. Il rappelle ainsi que les Objectifs de développement durable (Odd) préconisent l’utilisation des technologies de l’information et de la communication et la généralisation de l’accès à l’internet dans le but de lutter contre les inégalités entre les femmes et les hommes. «Les marchés de technologies mobiles sont en pleine expansion dans les pays en développement, particulièrement au Sénégal. Toutefois, trop souvent, dans ce boom technologique, on ne met pas les garde-fous indispensables à la sécurité des filles, pour les protéger des violences sexistes perpétuées en ligne», indique M. Kounou. Selon lui, rares sont les rapports crédibles portés par les détenteurs de pouvoirs qui pourraient régler, d’une part, l’ampleur de la nature du problème et, d’autre part, l’existence de mécanismes de signalement des sites internet et de plateformes sur les réseaux sociaux. Il est nécessaire, selon lui, que les entreprises technologiques, les réseaux sociaux et les gouvernants démontrent leur sensibilité par rapport au harcèlement en ligne mais surtout envisager des mesures punitives à l’encontre de leurs auteurs.

LUTTE CONTRE LE HARCELEMENT EN LIGNE : L’Association des femmes juristes du Sénégal s’engage

L’Association des femmes juristes du Sénégal (Ajs) a décidé de porter le combat pour que les filles puissent être protégées en ligne. «Nous avons constaté que les jeunes filles souffrent beaucoup du harcèlement en ligne ; alors qu’elles n’ont pas de répondants. Même si des institutions sont mises en place à cet effet, les filles portent plainte au niveau de ces structures, mais souvent sans retour. L’Association des juristes sénégalaises peut participer à cette lutte en portant le plaidoyer, parce que cela rentre dans nos missions de protection des droits humains en général et des droits des enfants et des femmes en particulier», soutient Alimatou Diaw, chargée des projets à l’Ajs. Selon elle, il est vraiment crucial de discuter de la question et de trouver des solutions à ce fléau, pour que les filles puissent avoir gain de cause lorsqu’elles sont victimes du harcèlement