Sentract, Tract du Sénégal – Bismilah ci bilé sëmbëxloo…!
Avec une pointe de nostalgie, les journalistes de la vieille garde racontent que Sédar, au temps de sa senghorienne splendeur, convoquait quelquefois les directeurs de rédaction au Palais pour des séances de correction grammaticale, orthographique et syntaxique. Il paraît qu’avec sa méthode proverbiale, il passait en revue les titres du jour d’un œil sévère, soulignait les coquilles, décortiquait les fautes, traquait les solécismes, pourfendait les barbarismes, redressait les branlantes proses, tempêtait contre le mauvais usage des temps et modes, s’attristait qu’on recourût à un prudent subjonctif quand la phrase appelait l’imparfait du subjonctif.
Vrais ou non, réels ou exagérés, ces récits font partie de la légende d’un homme fou de langue, si fou qu’il a essayé de jouer au prof non plus en français mais en wolof, avec moins de certitudes et une mauvaise foi consommée. Il faut le redire : sur les célèbres cas Ceddo et Siggi, qui l’opposèrent respectivement à Sembène et Cheikh Anta, Zengh’ avait linguistiquement tort. Reste qu’il est plutôt amusant de l’imaginer orchestrant ces séances de travail. Et c’est encore plus amusant quand on essaie de visualiser (j’ai dit essayer, hein) l’actuel locataire du Palais – on reviendra un jour ici sur ses goûts littéraires douteux – faisant pareil avec la presse sénégalaise d’aujourd’hui.
Il faut être honnête : dans l’ensemble, sans être des orfèvres du style, les journalistes sénégalais écrivent correctement. Je parle, entendons-nous bien, de la presse à peu près sérieuse ou qui se présente comme telle. Les grandes plumes – il y en a – ne s’y bousculent pas ; les articles, dans leur majorité, sont neutres sur le plan de la langue et strictement informatifs ; les textes n’évitent bien sûr pas les clichés journalistiques et brillent paradoxalement par leur absence d’éclat, mais il est rare, dans l’écriture, d’y lire des phrases infâmantes et formellement scandaleuses. C’est plutôt rassurant ; et à la réflexion, je me suis demandé si ce n’était pas le fantôme de Léopold, et avec lui, ceux de toute une génération de directeurs de publication, de maîtres, de profs sourcilleux quant à la correction de la langue, qui continuaient à hanter la presse.
Il ne faut jamais sous-estimer l’influence d’une tradition – fût-elle stylistique – dans « l’inconscient scriptural » d’un pays. Dans le nôtre, l’usage de la langue française est extrêmement respectueux, voire classique, voire académique, marqué, en tout cas, par une attention exagérée à la correction : clairement senghorien, pour tout dire. On le constate en littérature (on y reviendra aussi un jour), mais cela vaut également pour tout le reste, de l’université à la politique, en passant par la presse, donc. Quand il s’agit du français, le Sénégal est un pays effrayé par l’écart par rapport à la norme, et cette terreur symbolique le confine à une sobriété confortable, limpide et un peu traînante, qui exclut ou annihile toute velléité d’invention, de jeu, d’audace. Il suffit de voyager un peu en Afrique de l’Ouest pour voir combien certains de nos voisins sont plus créatifs et, en un sens, insolents dans « leur » français. Ici, pour le dire un peu vite, c’est de la belle eau de prose bien maîtrisée, mais on s’emmerde un peu, parfois. Cela dit, mieux vaut lire en s’emmerdant un peu qu’être dégoûté de toute lecture. Et puis, tout le monde ne peut être un génie d’une langue, a fortiori quand on n’a pas tété à ses mamelles…
Et maintenant, le petit jeu du palais senghorien : quelques remarques sur les unes du jour. Je ne cite pas les titres, da may daw coow. Voici la revue de la revue de presse :
-« à côté de l’Afrique des solutions, il y a l’Afrique des solutions avec ses immenses potentialités… ». C’est sûr qu’il n’y a aucun problème.
-« des députés accoutrés à la tradition d’Oussouye ». On comprend l’idée, mais la forme ressemble à un étrange accoutrement…
-« dans ce temps bouleversé des hommes pressés la lucidité est un héroïsme » Une virgule, peut-être ?
-« déconstruire les narratifs… » Que cette substantivisation droit sortie de l’anglais « narratives » est laide !
-« le monde ne peut pas bouger sans le vieux continent », pour parler de l’Afrique. Là aussi, on comprend, mais gare à la confusion, car le vieux continent, d’habitude, désigne… l’Europe !
-« Barthélémy Dias s’absteint de voter »…
-« fusillade mortelle ayant coûté la vie… »
-« équipe national… »
-« On doit être capable de battre n’importe quelle équipe devant nous ». En face, non ?
-« le cinéma africian… »
Je vous laisse continuer.
Par Dugu-Dugu Wagaan*
Chef-chroniqueur
Sentract.sn & Tract.sn
(Dugu-Dugu Wagaan est l’auteur- maison de cette rubrique « Sëmbëxloo bi ». Qui est-il? Homme ou femme? Vieillard à l’orée du trépas ou jeune pétulant et pétillant ? Cadre retraité qui a géré sa carrière recta et veut désormais dire m….e à ses contemporains du SenRégal? Ou trentenaire adepte de fortes boissons qui oublie parfois de prendre les comprimés pour la stabilité de son humeur ? Duquel Dugu Wagaan n’est pas payé suffisamment par Sentract.sn pour révéler sa véritable identité. Un jour, peut-être…
Cette rubrique sera d’abord quinzomadaire. Pour vous tester. Si vous êtes sages et sans rage, la chronique deviendra hhebdomadaire.Ceci était l’entrée numéro 2. « Tout le monde s’asseoit et Dieu nous pousse! ». À bon entendeur…)
*Dugu-Dugu Wagaan
Chef- chroniqueur
Sentract.sn & Tract.sn
Dugu-Dugu Wagaan est l’auteur- maison de cette rubrique « Sëmbëxloo bi ». Qui est-il? Homme ou femme? Vieillard à l’orée du trépas ou jeune pétulant et pétillant ? Cadre retraité qui a géré sa carrière recta et veut désormais dire m….e à ses contemporains du SenRégal? Ou trentenaire adepte de fortes boissons qui oublie parfois de prendre les comprimés pour la stabilité de son humeur ? Duquel Dugu Wagaan n’est pas payé suffisamment par Sentract.sn pour révéler sa véritable identité. Un jour, peut-être… Ceci est la 3ème entrée.
Cette rubrique sera d’abord quinzomadaire. Pour vous tester. Si vous êtes sages et sans rage, la chronique deviendra hebdomadaire. A bon entendeur…: « tout le monde s’asseoit et Dieu nous pousse! »