Sen’tract – Après la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) où il a travaillé pendant plusieurs décennies et ex-conseiller technique en investissement du ministère de l’Industrie, l’économiste Abdoulaye Ly commente ici, les recommandations faites par le Fonds monétaire international (FMI).
Il est, actuellement, le Directeur Exécutif du Club des Investisseurs Sénégalais (CIS).
M. Ly, nous avons parcouru, le jeudi dernier, un rapport du FMI qui mettait en exergue plusieurs recommandations et observations. Parmi elles, prenons cette nécessité, pour le gouvernement Sénégalais de supprimer la subvention qu’il accorde à l’énergie, relevée par le FMI.
En tant qu’économiste et Directeur exécutif du Club des investisseurs Sénégalais, quel pourrait être, selon vous, l’impact de l’arrêt de ces subventions indexées ?
Le rapport du FMI ressemble à un rapport du FMI avec comme souvent une charge très dogmatique sur la maîtrise des dépenses publiques, la suppression des subventions et la levée des exonérations fiscales. Il convient, à cet égard, de souligner que le Sénégal a fait le pari de la souveraineté économique, notamment en matière alimentaire et pharmaceutique consignée dans le Plan d’actions prioritaires 2 ajusté et accéléré (Pap 2a) pour la relance de l’économie qui s’accommode difficilement des restrictions de dépenses publiques. Il s’y ajoute que la période d’incertitudes que le monde entier connaît appelle un volontarisme des États dans l’impulsion de l’offre domestique plutôt que la réduction des dépenses. Étant encore une jeune nation, c’est à ce prix que nous pouvons privilégier la construction de capacités domestiques durables sans renoncer, bien sûr, aux avis de nos partenaires. Quoi qu’on en dise, le rapport du FMI demeure le document de référence des partenaires publics et privés du Sénégal, en matière d’analyse économique. J’ai noté les perspectives de croissance du Sénégal qui sont estimées autour de 10% en moyenne sur la période 2022-2023, sous l’effet de la production de pétrole et du gaz. Selon le FMI, l’inflation devrait retomber à 2 % après avoir atteint plus de 10% en août 2022.
Pour en arriver à votre question, les subventions sont créées pour soutenir la consommation nationale particulièrement chez les couches les plus défavorisées de la population. Incidemment, elles favorisent le maintien d’un niveau de vie décent et confèrent une dynamique à l’offre du secteur privé. C’est donc un facteur déterminant dans la vie et le développement des PME. Avec la subvention, on essaye de maintenir ou d’atténuer l’effet de la courbe ascendante des prix. Supprimer les subventions en appliquant les prix réels du marché, peut conduire à l’inaccessibilité d’une partie importante de la population à l’énergie, eu égard au niveau élevé de la pauvreté qui touche 37,8% des Sénégalais. Au moment où on veut démocratiser l’accès à l’électricité, promouvoir l’auto-emploi et impulser le développement de PME, il parait incongru de supprimer la subvention. De surcroît, il n’est pas souhaitable d’envisager une telle mesure en période de tension inflationniste comme c’est le cas actuellement. Il est vrai maintenant que les subventions représentent une charge financière importante pour l’Etat, estimée à plus de 120 milliards de F Cfa, chaque année. Mais, je considère qu’on peut faire des économies budgétaires ailleurs sur des dépenses non prioritaires qui n’ont pas d’impact macroéconomique avéré. Cela pose, une nouvelle fois, la lancinante question de la qualité de la dépense publique. Certains évoquent la suppression des dépenses dites «de prestige » et la fusion de certaines administrations notamment celles en charge d’appuyer les investisseurs. Outre les économies à réaliser, cette option permettrait d’asseoir les conditions d’une rationalisation du service public pour les affaires et garantir plus d’efficacité à l’action de l’Etat.
Au total, il convient de favoriser les dépenses d’investissement, d’une part et les dépenses sociales de protection des bourses des plus vulnérables, d’autre part, ne serait-ce que dans une phase transitoire. Le tout avec la chasse aux économies en toile de fond.
Le FMI qui plaide pour l’élimination des exonérations fiscales onéreuses. Etes-vous pour ?
Les exonérations fiscales sont généralement instituées avec des objectifs précis, notamment de promotion des investissements pour augmenter le PIB, créer des emplois et développer les exportations. Sous ce rapport, avant d’envisager une suppression des exonérations fiscales, il faudrait en mesurer le niveau et le coût d’opportunité. Le simple constat du coût élevé des exonérations ne suffit pas pour les supprimer. Qui plus est, le Sénégal aura bientôt un code des investissements rénové qui consolide les engagements dans les exonérations fiscales. En permettant à une entreprise, d’importer des biens d’équipements de production sans payer des droits de douanes, la puissance publique lui facilite la tâche, surtout par rapport à nos concurrents. Donc, la dépense fiscale est aussi un élément d’attractivité et de compétitivité nationale. Maintenant, est-ce que le coût est couvert par les résultats finaux ? Est-ce que les résultats visés à travers les exonérations sont obtenus ? Personnellement, je ne peux pas répondre à ces questions. Mais, en tout état de cause avant de procéder à une suppression des exonérations, il faut voir ex ante si elles ont permis d’atteindre leurs objectifs notamment en matière d’attractivité économique et de dynamisation de l’économie globalement. Je ne peux pas aller plus loin en termes d’analyse, n’ayant pas les éléments d’évaluation.
Dans le rapport de la FMI, il y a un point qui a été mis en exergue, il s’agit du renforcement du recouvrement des recettes.
En matière de recettes fiscales, le Sénégal a fait beaucoup de progrès qui ont donné lieu à l’augmentation subséquente du budget. Quand les recettes augmentent, le budget augmente, dans la même proportion suivant les impératifs d’équilibre macroéconomique. Maintenant, il est important d’identifier les niches fiscales sans remettre en cause les avantages accordés à ceux qui sont alignés sur les priorités stratégiques du moment, dont les industriels, ceux qui œuvrent dans l’innovation et les investissements dans les territoires. Il s’agit de recenser ceux qui ne payent pas l’impôt correctement, de manière à leur conférer un statut fiscal équilibré. Il ne faudrait pas que tout le monde ou tous les secteurs payent le même impôt, mais d’instituer un régime progressif dont le taux obéit au statut économique de chaque contribuable. Cela procède, comme disait quelqu’un, de l’intelligence fiscale pour maintenir la durabilité de la base fiscale et l’équité économique.
L’assainissement des finances a aussi été préconisé par ladite institution. M. Ly, pensez-vous que les finances publiques sont bien gérées au Sénégal ?
Il serait, peut-être, fastidieux de parcourir toutes les finances publiques en parlant de la fiscalité, de la dette, des dons, des dépenses, etc. L’analyse des finances publiques, sous l’angle des recettes fiscales, laisse apparaître une tendance assez positive en la matière. Ce n’est pas suffisant. Mais, la tendance est globalement positive. Il convient de noter que quand l’Etat réalise des performances fiscales dans ses recettes douanières, ça souligne, au moins, une situation défavorable : Nous n’avons pas l’appareil productif pour fabriquer les biens dont nous avons besoin. Nous sommes, dès lors, obligés de les importer. Donc, en important nous créons une base fiscale pour la douane. Et ça, c’est négatif du point de vue économique surtout pour la balance des paiements quel que soit par ailleurs les recettes qu’on aura collectées.
Plus généralement, il convient de favoriser plus d’équité fiscale pour empêcher qu’un petit nombre de personnes physiques et morales payent l’impôt à la place des autres. Dans une démocratie, il n’est pas acceptable qu’un petit nombre de personnes qui disposent des revenus payent à la place des autres. Il faut bien faire fonctionner l’Etat, mais tous les Sénégalais qui disposent de revenus doivent y participer, sans préjudice de l’exigence des exonérations fiscales.
Parlons maintenant de la vulnérabilité croissante de la dette publique. Quel commentaire faites-vous, à ce sujet?
Le repère pour la dette, c’était les critères de convergence de l’UEMOA. Les pays membres avaient décidé, il y a plus de 25 ans de retenir des indicateurs de performance convergente en matière fiscale, d’inflation, de déficit budgétaire rapporté au PIB, de niveau de dette comparée au PIB. Et jusqu’ici, il y avait un accord pour considérer qu’au-delà de 70% du PIB, le niveau de la dette devenait critique. Avec l’avènement de la Covid-19, ces critères ont été gelés en avril 2020 par des Etats de l’Union (UEMOA) dans le cadre des « mesures urgentes et les plans de riposte » contre les effets économiques de la pandémie. Il a fallu, pour les 8 pays membres, mobiliser 5 285 milliards de F Cfa, à cet effet. Dès lors, parler de niveau exagéré de la dette pourrait paraître inconvenant dans la mesure où le critère de 70% qui constituait le repère a été gelé. Toutefois, quand une économie se dit libérale, au-delà de la convergence des économies, il faut bien qu’elle ait une dette maitrisée. Parce qu’une dette qui flambe est une source de contre-attractivité pour le pays. En effet, les investisseurs peuvent être amenés à considérer que le niveau important de la dette comparée au PIB pourrait conduire l’Etat à augmenter la fiscalité de manière à disposer de recettes additionnelles pour rembourser la dette. Donc, vous comprenez très bien que la hausse non maîtrisée de la dette n’est pas souhaitable dans une économie libérale comme celle du Sénégal. Le niveau de la dette est un instrument de mesure également de l’attractivité du pays. Sous ce rapport, les investisseurs privés étrangers et nationaux lisent les indicateurs de la dette, de finance publique et de l’évolution globale de l’économie qui constituent, à des degrés divers, des déterminants de l’investissement. Ils ne sont pas enclins à investir dans des pays où l’explosion de la dette pourrait donner lieu à une augmentation de la fiscalité pour honorer les engagements. Cela constitue un poids pour les entreprises et leur profitabilité. À partir de là, l’appel du FMI raisonne plus comme une invite à la cohérence lancée au Sénégal. Les choix d’allocations par le secteur privé requièrent beaucoup d’orthodoxie dans la gestion d’ensemble des finances publiques.
Une dernière considération globale sur ce rapport du FMI rendu public en fin de semaine ?
La situation économique difficile que nous vivons, quel que soit l’angle d’analyse, est le reflet d’une insuffisante offre domestique singulièrement en ce qui concerne les produits alimentaires. Avec un degré d’ouverture de 30%, nous sommes allés trop loin, il me semble, dans l’ouverture commerciale qui comporte des avatars surtout en période d’incertitudes, alors que nous disposons de tous les atouts pour nous rendre largement autonome, à travers un aménagement des surfaces de la vallée du Fleuve pour produire nos principales céréales. Cela donnerait lieu à des créations d’emplois, à l’autosuffisance alimentaire, à un élargissement de la base fiscale et à une atténuation des tensions inflationnistes. Le secteur privé national a déjà donné suffisamment de gages de ses dispositions à relever les défis y relatifs.
Hadj Ludovic