D’un geste sûr, Kekouta Dembélé – comme le joueur de foot, précise-t-il – saisit la brebis, la retourne, la rassure de la main. Inspection des dents, des yeux, des mamelles : ce jeune réfugié malien, apprenti dans une ferme en Gironde, est prêt à participer jeudi au concours régional de berger.
« Je veux gagner le concours », sourit Kekouta, 17 ans, fourche à la main pour donner du foin aux brebis et à leurs petits. « Il y aura des gars des Pyrénées, peut-être que ça va être compliqué », modère-t-il.
Kekouta va en effet participer aux Ovinpiades des jeunes bergers à Bazas (Gironde), un concours réservé aux élèves d’établissements agricoles dont la finale aura lieu au salon de l’Agriculture à Paris, dans un mois.
« Il est bon en pratique », assure Serge Chiappa qui l’accueille avec son épouse à la ferme Beauséjour à Gironde-sur-Dropt depuis avril 2018.
Le jeune homme, qui n’a jamais été à l’école dans son pays, « sait manipuler, gérer les animaux. Si un animal a un problème, qu’il est malade, il a l’oeil. Quand il est arrivé, on a vu qu’il connaissait le métier », ajoute M. Chiappa.
Depuis octobre, le jeune homme partage son temps entre le centre de formation d’apprentis de la Réole et la ferme où il vit avec les Chiappa. Le mardi et jeudi matin, il apprend à lire et à écrire.
« Il a envie d’apprendre, il progresse à la vitesse grand V », souligne M. Chiappa, fier de ce jeune, tout comme la grand-mère Clémentine, qui lui passe affectueusement la main sur la tête. Des amis ont donné des vêtements et des chaussures de foot pour qu’il puisse s’entraîner au club local, avant de s’essayer à la course à pied.
En combinaison rouge et grise, bottes assorties et bonnet noir sur la tête, Kekouta trouve bien des différences avec le Mali : « Chez nous, les animaux sont dehors, en liberté. On ne coupe pas les ongles, on ne tond pas les bêtes et on ne les pèse pas. Ici, elles sont dedans, tu leur donnes du granulé, du foin. Ici, on ne tire pas l’eau du puits, c’est plus facile ! »
L’adolescent surprend même parfois Serge, comme ce jour où un agneau avait des petits bouts de foin dans l’oeil. Il met de l’eau dans sa bouche et fait gicler un peu de liquide dans l’oeil de l’animal. « Nous, on aurait été chercher un sérum chez le vétérinaire », se souvient l’agriculteur.
En Libye, « c’était dur »
Car Kekouta a une longue expérience. Tout petit avec son père puis seul à 11 ou 12 ans, il garde les animaux dans son village à la frontière du Sénégal.
Un jour de mai 2017, tout a basculé. Avec sa tante « qui a décidé mais ne m’a rien dit du tout, on a pris le car jusqu’à Bamako », raconte Kekouta.
Après la traversée du Niger, ils arrivent en Libye. « C’était dur, compliqué », dit-il, précisant juste que les Arabes l’ont frappé. La traversée de la Méditerranée se fait en Zodiac, la nuit. « On est nombreux, on a vu les gros bateaux européens », relate le jeune homme. Récupéré par un bateau, il passe plusieurs mois dans un centre à Bergame, en Italie.
Ce qu’il n’évoque qu’à demi-mots, c’est qu’en Libye sa tante a été tuée dans un camp, qu’en Italie, il a été hospitalisé, les fesses brûlées par le sel durant la traversée en mer… La nuit parfois, Kekouta fait des cauchemars de ce voyage.
Puis il passe en France en février 2018 avec l’aide d’un Malien : Marseille, Nice, Lyon, Toulouse, Rodez pour terminer dans un foyer Emmaüs en Gironde.
Un des éducateurs propose à M. Chiappa de prendre en stage un jeune Malien qui s’y connaît en agriculture. Il est tellement doué qu’il est qualifié pour le concours régional de berger, comme l’a relevé le journal Sud-Ouest.
La suite ? Kekouta sera majeur cette année. Il pourra demander une carte de séjour, justifiant d’un emploi à la ferme. Curieux et travailleur, il pense ensuite apprendre la cuisine ou la boucherie, rester en France et rentrer au pays de temps en temps voir sa famille.