Tract – Les contrôles routiers effectués par la Police et la Gendarmerie renferment des secrets que seuls les chauffeurs peuvent raconter.
Sur plusieurs jours, nous nous sommes intéressés à cet aspect du trafic routier pour savoir davantage comment les transporteurs, particulièrement les chauffeurs de taxi, interagissent avec les policiers ou gendarmes lors des contrôles.
Nous avons choisi l’axe Saint-Louis Ville/ Université Gaston Berger (UGB) où nous avons constaté un trafic plus ou moins dense, comme notre terrain de collecte d’informations. Dans nombre de taxis que nous avons pris pendant plusieurs jours, nous avons essayé d’entretenir, à chaque fois, une discussion avec les chauffeurs.
Si d’aucuns refusent d’aborder catégoriquement ce sujet par mesures de prudence malgré nos assurances, d’autres, très rares, ont accepté de s’ouvrir à nous, à condition que leur identité soit protégée.
Pour cette raison, nous avons choisi d’accorder des noms d’emprunt à nos interlocuteurs pour donner suite à leur demande de préservation de leur anonymat.
Abdoulaye Gueye, après plusieurs refus que nous ont opposés ses camarades « taximen », a accepté de nous parler en ces termes: « Voilà un sujet sur lequel il faut se pencher et écrire en réalité. Parce que, très franchement, nous souffrons péniblement à cause des policiers et gendarmes sur la route. On dirait qu’on travaille pour eux, car le quart (¼) de ce que nous gagnons dans la journée leur revient. Dans une seule journée, on peut donner, au minimum, 4.000f aux policiers et gendarmes qui font les montages. Ce que l’on ne comprend toujours pas, est qu’entre Saint-Louis ville et l’Université Gaston Berger, sur une distance de 10 kilomètres, il y a quatre montages. Ainsi au niveau de chaque montage, on est obligé de donner 1.000f si on veut faire notre travail. Encore le soir, il y a d’autres agents pour les relever, encaissant à leur tour. Alors, si tu acceptes une fois de leur donner les 1.000f, c’est fini : chaque jour, ils vont t’arrêter pour encaisser. Et, c’est devenu normal. Maintenant, si quelqu’un d’entre nous voit qu’à tel point, de nouveaux agents ont remplacé la première équipe, il appelle au téléphone ses camarades qu’il a laissés au garage pour leur faire changer d’itinéraire. C’est pourquoi vous constatez parfois le manque de taxi entre la ville et l’université. On n’en parle pas souvent, mais on en souffre. Maintenant, c’est devenu normal et on oublie même que ça ne devait pas se faire », accuse-t-il à voix basse.
Dans le même sillage, Pape Sarr réagit à notre interrogation et affirme être une exception parmi les chauffeurs de taxi: « Moi, contrairement aux autres, je n’accepte jamais de donner les 1.000 aux policiers sur la route parce que je sais qu’ils n’ont aucune raison de faire ça. C’est une vraie corruption. Je préfère qu’on m’écrive une contravention et que j’aille payer au poste de Police plutôt que de donner de l’argent à un agent. Ils me reconnaissent tous, parfois ils ont même la flemme de m’arrêter parce qu’ils savent que je ne vais rien leur donner. Mais parfois, ils sont en colère et ils m’arrêtent pour me demander des papiers dont je n’ai jamais entendus parler. Si tous les taximen acceptaient de payer des contraventions au poste de Police et refusaient de donner les 1.000f aux agents dans les montages, je peux vous garantir qu’ils vont arrêter de nous arrêter à chaque fois pour des soi-disant contrôles. Pour anecdote, un jour, un agent m’a arrêté et m’a demandé mes papiers, je lui ai remis mon permis de conduire, l’assurance, et la carte grise : j’étais en règle quoi. Et après, voulant me créer des problèmes, il m’a demandé mon contrat d’embauche et je pense que c’est un inspecteur du travail qui est habilité à demander ça si je ne me trompe pas. Ce qui se passe sur la route entre les transporteurs et les policiers et gendarmes dépassent l’entendement. On ne pourra pas tout vous dire. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui me fait croire que le Sénégal ne va pas se développer de sitôt », a-t-il regretté.
Sur un autre angle de la question, Mamadou Ngom laisse entendre ces mots: « Vous savez, en dehors des 1.000f qu’ils nous soutirent à chaque ‘montage’, il y a aussi le fait qu’il nous causent beaucoup de retard dans notre travail. Parfois, ils peuvent nous arrêter pour un contrôle durant une dizaine de minutes. C’est parce qu’ils arrêtent beaucoup de voitures à la fois, et avant de venir à nous, ils mettent du temps. Financièrement, c’est nous qui souffrons, tout comme les clients aussi qui peuvent avoir du retard à cause de ces multiples arrêts en longueur des minutes. Nous les taximen, sommes leurs proies préférées. Je ne sais pas comment il sera possible d’arrêter ça. Mais, il faut un corps dans la Police qui doit se charger du contrôle des agents envoyés sur le terrain. Ces derniers font rentrer plus d’argent dans leur poche que dans les caisses de l’État », déplore-t-il.
Les rapports taximen interurbains et policiers/gendarmes, une affaire assurément sensible, et à première vue un peu nébuleuse, sur laquelle Tract cherchera à donner bientôt la parole aux forces de l’ordre en charge de la circulation routière, qui sont ainsi mis sur la sellette.
Hadj Ludovic (avec la collaboration d’Ousseynou Nar Gueye, fondateur de Tract.sn)